Pandore et la modernité
Par nature, la recherche avance plus vite que son cadre éthique. Que faire alors ?
Invité de l’Association, Jacques Testart s’est demandé en quoi il pouvait être remarquable ? On est toujours remarquable par rapport à un groupe ; quelle différence peut-il avoir avec les auditeurs ? Docteur ès sciences, ordre du Mérite, Prix scientifique de la Ville de Paris, prix Moron (philosophie) de l’Académie française, il est le seul à ne pas avoir eu son bac, mais un CAP de jardinier. Il pense qu’il a été « remarqué », probablement du fait de ce qu’il n’a pas fait.
Jacques Testart se trouve au coeur d’une tourmente de ce type lorsque qu’il invente la » vache porteuse » puis Amandine, le premier bébé-éprouvette français ; il est alors confronté à des » récupérations » hasardeuses, nourries par des appétits individuels de médiatisations. Il décide alors de faire une pause. Catalogué comme » celui qui refuse la recherche « , il continue le métier de chercheur tout au long de sa vie professionnelle. D’où de multiples questions : » qu’est-ce que le métier de chercheur ? « , » quel doit être le rapport entre recherche et société » ? Face à la demande du tri des embryons dans l’œuf, il a réclamé un » droit à la non-recherche « .
Les utopies qui emballent
Une autre démarche pour tenter l’aventure du financement consiste à la mise en place » tactique » d’utopies qui emballent. L’utopie du moment est celle de la » mystique génétique « . Elle vient d’une idée répandue depuis moins de cinquante ans qui a dit que le gène, c’est la vie et que l’ADN est une molécule-clé qui contient tout le programme de développement. Non. L’ADN n’est pas une molécule vivante.
Ce n’est donc pas la » vie « . C’est une molécule importante dans laquelle il y a des gènes (que l’on connaît encore très mal) qui donnent des informations mais pas de programme ! Une preuve simple à observer : les feuilles d’un arbre. Elles sont différentes en taille ou en couleur, selon leur positionnement dans l’arbre. Elles ont pourtant le même ADN.
Aujourd’hui, les chercheurs sont devenus des spécialistes. On les appelle aussi des experts. Ils sont à la fois indispensables et dangereux. Indispensables car ils ont un savoir phénoménal sur un sujet précis ; dangereux car ils perdent la vue d’ensemble. Et s’ils l’ont, ils ne sont pas autorisés à faire-valoir des arguments qui n’appartiennent pas à leur champ d’expertise.
Il y a trente ans environ, un philosophe des sciences nommé Gilbert Hottois propose un nouveau mot pour décrire l’activité moderne de recherche : la technoscience. Elle évoque le cercle vertueux de la relation constante entre le laboratoire et les technologies ; l’un alimente l’autre et vice-versa. Cette définition évoque également la prédominance de la maîtrise sur la connaissance. La finalité devient plus importante que la découverte et la course aux brevets et aux produits, la finalité suprême.
Coût du savoir ou coût de la maîtrise ?
Le chercheur est une taupe monomaniaque EINSTEIN
La recherche fondamentale coûte cher et n’est plus valorisante. Les technologies ne résolvent pas tous les problèmes, mais, dans la recherche publique, il faut démontrer que l’on a été capable d’intéresser un industriel qui accepte de participer au développement. Commence alors la course aux enjeux contradictoires. Le plan cancer, lancé il y a cinq ans, n’a produit aucun résultat. Pourtant, on sait que 50 % des cancers de campagne sont issus de problèmes environnementaux (pollution agricole) et domestiques. Aujourd’hui, personne ne travaille sur cet aspect. Il est probablement difficile de trouver les industriels intéressés.
La recherche… par l’absurde
Or, qu’est-ce qui est important ? Rechercher le gène qui provoque un cancer et ne pas savoir quoi en faire ? Ou, rechercher dans l’environnement ce qui provoque le cancer ? Pourquoi pas les recherches dans toutes les directions, si on en a les moyens ? Mais on n’en a pas les moyens. Le choix est donc un vrai sujet de discernement.