Carl de Poncins (X99) a cofondé Panthea-Theatre in Paris. © Audray Saulem

Panthea-Theatre in Paris : leader du sous-titrage pour le spectacle vivant

Dossier : TrajectoiresMagazine N°779 Novembre 2022
Par Hervé KABLA (X84)

En 2014, Carl de Pon­cins (X99) a cofon­dé Pan­thea-Theatre in Paris, lea­der euro­péen des solu­tions de sous-titrage pour le spec­tacle vivant. Pan­thea pro­pose des ser­vices com­plets de sur­ti­trage, qui incluent le décou­page et la tra­duc­tion des sur­titres, l’implantation tech­nique sur place, ain­si que les dif­fé­rentes pres­ta­tions pen­dant les repré­sen­ta­tions. Pan­thea gère éga­le­ment Theatreinparis.com, un site de billet­te­rie en ligne pour les spec­ta­teurs inter­na­tio­naux à Paris, la ville la plus visi­tée d’Europe.

Quelle est l’activité de la société Panthea-Theatre in Paris ? 

Nous avons deux acti­vi­tés, l’une BtoB et l’autre BtoC. Sous la marque Pan­thea, nous avons déve­lop­pé une acti­vi­té de ser­vices et maté­riels de sous-titrage à des­ti­na­tion des pro­duc­teurs, théâtres, opé­ras et fes­ti­vals. Nous leur four­nis­sons les écrans de pro­jec­tion, des tra­duc­tions de grande qua­li­té grâce à l’utilisation d’un logi­ciel que nous avons déve­lop­pé sur mesure, et enfin les opé­ra­teurs de régie qui, concrè­te­ment, sont ceux qui font défi­ler le sous-titrage lors du spec­tacle, à l’aide du même logiciel.

“Nous avons développé une activité de services et matériels de sous-titrage pour le théâtre.”

Nous avons éga­le­ment déve­lop­pé un ser­vice révo­lu­tion­naire per­met­tant le sous-titrage indi­vi­dua­li­sé sur appa­reils mobiles, notam­ment sur des lunettes connec­tées. Dans ce cas, les sous-titres appa­raissent dans les lunettes, ce qui per­met à chaque spec­ta­teur de pro­fi­ter du spec­tacle dans sa langue, avec un affi­chage per­son­na­li­sé dans son champ de vision, sans déran­ger les autres spec­ta­teurs dans la salle. Nous avons été les tout pre­miers à mettre sur le mar­ché une telle solu­tion pour le théâtre. C’est un art par­ti­cu­liè­re­ment adap­té à ce sys­tème de réa­li­té aug­men­tée, car le spec­ta­teur a besoin de gar­der les yeux sur la scène pour res­ter concen­tré et pro­fi­ter plei­ne­ment de l’expérience. Les lunettes connec­tées per­mettent donc un gain en confort impor­tant par rap­port à des écrans classiques. 

En paral­lèle, nous gérons une acti­vi­té BtoC sous le nom « Theatre in Paris ». Theatreinparis.com est un site de billet­te­rie per­met­tant de réser­ver des spec­tacles pari­siens acces­sibles à tous, Fran­çais comme étran­gers. Nous pro­po­sons notam­ment opé­ras, concerts de musique clas­sique, jazz, et des pièces de théâtre en fran­çais sous-titrées en anglais pour le public anglo­phone. Le site est dis­po­nible en anglais et en fran­çais, et nous soi­gnons tout par­ti­cu­liè­re­ment le ser­vice client pour être au niveau des stan­dards des spec­ta­teurs venus du monde entier qui ne connaissent pas tou­jours les codes des salles de spec­tacle fran­çaises, mais aus­si pour la clien­tèle fran­çaise exigeante. 

Quel est le parcours des fondateurs ? 

Nous sommes trois asso­ciés à l’origine du pro­jet : Chris­tophe Plo­tard, jour­na­liste dans le sec­teur du tou­risme, Romain Bey­tout, chan­teur d’opéra, et moi-même, X99 ayant tra­vaillé dix ans dans l’innovation dans de grands groupes indus­triels. Nous nous sommes ren­con­trés au conser­va­toire de Leval­lois où nous chan­tions ensemble dans le Jeune Chœur d’Île-de-France. Mal­gré la diver­si­té de nos par­cours, nous étions réunis par l’amour du chant en par­ti­cu­lier, et du monde du spec­tacle en géné­ral. Pour ma part, j’avais acquis de pre­mières expé­riences dans la conduite de pro­jets inno­vants, puis dans la ges­tion d’un por­te­feuille d’innovations. À un moment don­né, je me suis dit que, après avoir mené ces pro­jets d’innovation au ser­vice d’actionnaires, j’avais envie de le faire de façon auto­nome, en créant ma propre entreprise. 

En 2016, nous avons fusion­né avec une agence alle­mande spé­cia­li­sée dans le sous-titrage de théâtre, ce qui nous a ame­nés à être rejoints par deux asso­ciés ber­li­nois : David Mass et Anna Kas­ten. Aujourd’hui, Pan­thea est donc pré­sent à Paris et à Ber­lin. Cette expan­sion à l’international, et en Alle­magne en par­ti­cu­lier, fait écho à mon par­cours, car j’ai effec­tué mon école d’application à l’université alle­mande d’Aix-la-Chapelle, la RWTH. Du génie indus­triel et auto­mo­bile au monde du spec­tacle, il y avait un long che­min, mais c’est fina­le­ment la langue alle­mande et le goût de l’innovation qui en ont été le fil directeur.

Comment t’est venue l’idée ?

L’idée est née de dis­cus­sions avec Nico­las Lor­meau, socié­taire de la Comé­die-Fran­çaise, en 2013. Il nous avait racon­té son expé­rience de tour­nées en Rus­sie et en Chine, et je cite de mémoire : « Nous jouions une comé­die de Fey­deau en fran­çais à Mos­cou, et la salle riait plus qu’en France ! » Intri­gué par cette expé­rience au-delà des fron­tières, j’en ai par­lé avec deux amis du conser­va­toire et après quelques bières nous avons déci­dé de creu­ser cette ques­tion : et si, avec des sous-titres anglais, il était pos­sible d’ouvrir le théâtre fran­çais au public international ? 

Par la suite, nous avons élar­gi le concept pour pro­po­ser une billet­te­rie qui place le spec­ta­teur au centre de l’expérience, avec un soin par­ti­cu­lier appor­té au ser­vice client. Nous avons diver­si­fié notre offre pour réfé­ren­cer tous les spec­tacles acces­sibles aux étran­gers, puis avons ouvert une ver­sion en fran­çais du site Theatreinparis.com, pour que les clients fran­co­phones, ou par­tiel­le­ment fran­co­phones, ou sim­ple­ment à la recherche d’un site plus per­son­na­li­sé et pre­mium que les grandes billet­te­ries, trouvent leur bonheur.

“Et si, avec un sous-titrage, il était possible d’ouvrir le théâtre français au public international ?”

Très vite, nous avons iden­ti­fié le besoin d’améliorer et numé­ri­ser les outils dédiés à la tra­duc­tion pour le monde du spec­tacle, afin de gérer les volumes gran­dis­sants. L’un de nos par­te­naires, la Schaubühne de Ber­lin, diri­gée par Tho­mas Oster­meier, est par exemple l’une des plus grandes scènes au monde pour le théâtre contem­po­rain. Leurs spec­tacles tournent lit­té­ra­le­ment dans le monde entier. Il pou­vait donc exis­ter, pour un spec­tacle don­né, jusqu’à 9 fichiers de sous-titres dans des langues dif­fé­rentes et par­fois sous des for­mat dif­fé­rents (Power­Point, for­mat texte…). Si une scène de ce spec­tacle était modi­fiée un jour aux États-Unis, elle devait être adap­tée éga­le­ment pour la repré­sen­ta­tion de la semaine sui­vante en Corée du Sud… un véri­table enfer de trai­te­ment manuel. 

Lau­réats du Concours d’innovation numé­rique du minis­tère de l’Économie, nous avons déve­lop­pé un logi­ciel appe­lé Spec­ti­tu­lar® qui est deve­nu une pla­te­forme SaaS pré­sen­tant tous les avan­tages du cloud : col­la­bo­ra­tive, mul­ti­lingue, mul­ti­sup­port. Nous appor­tons un vrai pro­fes­sion­na­lisme dans l’art du « sur­ti­trage » (le nom don­né au sous-titrage dans le théâtre et l’opéra), qui est un métier qui était peu recon­nu jusqu’alors.

Qui sont les concurrents ? 

Du côté de l’activité de sous-titrage, il existe quelques agences his­to­riques qui sont pour la plu­part locales et liées à un lieu emblé­ma­tique : 36caracteres en Espagne et le Tea­tro Real de Madrid ; Pres­cott Stu­dio en Ita­lie et la Sca­la de Milan ; ou encore Sta­ge­text au Royaume-Uni qui a le sta­tut de cha­ri­ty. Nous nous dif­fé­ren­cions par une offre com­plète, com­bi­nant la loca­tion-vente de maté­riel (écrans, lunettes connec­tées), le logi­ciel, la créa­tion des conte­nus et l’opération – qui pour­rait paraître simple mais qui en réa­li­té demande une exper­tise très poin­tue – consis­tant à faire défi­ler les sous-titres pen­dant les repré­sen­ta­tions. Aujourd’hui nous dis­po­sons d’un réseau unique au monde de près d’une cen­taine de tra­duc­teurs et opé­ra­teurs mul­ti­lingues. Notre objec­tif est vrai­ment qu’un maxi­mum de spec­tacles soient acces­sibles au plus grand nombre grâce au sous-titrage. 

Pour la branche BtoC, dans la billet­te­rie inter­na­tio­nale, les grands acteurs sont Tri­pAd­vi­sor (via sa filiale Via­tor) et GetYour­Guide, une start-up alle­mande. Ce sont les grands super­mar­chés inter­na­tio­naux des acti­vi­tés tou­ris­tiques. Tou­te­fois, au-delà des grands incontour­nables tels que bateaux-mouches, sta­tue de la Liber­té, tour Eif­fel, etc., il est dif­fi­cile de trou­ver sur ces sites des pro­po­si­tions qui sortent des sen­tiers bat­tus. C’est sur ce cré­neau que nous nous posi­tion­nons à Paris. Dans la billet­te­rie fran­çaise, les lea­ders sont bien connus : Fnac, Bille­tre­duc, Ticke­tac, Thea­treon­line. Là aus­si, notre spé­ci­fi­ci­té est claire : outre une navi­ga­tion entiè­re­ment pen­sée pour un visi­teur occa­sion­nel inter­na­tio­nal, nous pro­po­sons un ser­vice d’épicerie fine. Sur Theatreinparis.com, vous pou­vez ain­si décou­vrir une sélec­tion de spec­tacles choi­sis, un ser­vice client per­son­na­li­sé et bilingue, avec un tra­vail soi­gné de mise en valeur de la cen­taine de spec­tacles référencés.

Quelles ont été les étapes clés depuis la création ? 

Dès 2014, à la créa­tion du site Theatreinparis.com, nous avons connu une récep­tion enthou­siaste du mar­ché et de l’écosystème. Cela nous a per­mis de défendre une marque BtoC très tôt dans un sec­teur tou­ris­tique peu pro­pice à l’émergence d’idées inno­vantes, puis de lever des fonds et de conti­nuer notre développement.

Fin 2016, la fusion évo­quée pré­cé­dem­ment avec l’Allemagne nous a per­mis de déve­lop­per une branche BtoB pro­po­sant aux théâtres, opé­ras et fes­ti­vals à tra­vers le monde des ser­vices de tra­duc­tion et de sous-titrage, une niche sur laquelle nous sommes désor­mais lea­der avec plus de 150 clients par­te­naires dans toute l’Europe et au-delà : Opé­ra de Ber­lin, Fes­ti­val de Salz­bourg, Théâtre natio­nal de Bre­tagne, Odéon Théâtre de l’Europe, Théâtre natio­nal de Bruxelles, Schaubühne de Ber­lin, et bien d’autres. Récem­ment, nous avons équi­pé le Tea­tro Sta­bile de Turin en Ita­lie, le Théâtre fran­çais de Toron­to au Cana­da et bien­tôt le Royal Ope­ra House à Londres.

“Nous avons développé le sous-titrage multilingue sur appareils mobiles, notamment sur lunettes de réalité augmentée.”

Nous avons éga­le­ment déve­lop­pé des solu­tions tech­no­lo­giques inno­vantes (on ne se refait pas !) en étant les pre­miers au monde à pro­po­ser le sous-titrage mul­ti­lingue sur appa­reils mobiles, notam­ment sur lunettes de réa­li­té aug­men­tée. Cette tech­no­lo­gie, qui per­met une per­son­na­li­sa­tion de l’expérience et un confort de lec­ture inéga­lé, est déployée régu­liè­re­ment dans des fes­ti­vals et dans des lieux pion­niers sou­hai­tant offrir un ser­vice d’accessibilité inno­vant. Nous l’avons déployé sur des spec­tacles du fes­ti­val « IN » d’Avignon, notam­ment sur la scène ico­nique de la cour d’honneur du palais des Papes.

Cette sai­son, l’Opéra de Lille s’est éga­le­ment équi­pé de lunettes de réa­li­té aug­men­tée pour pro­po­ser, en com­plé­ment du sous-titrage tra­di­tion­nel sur écrans, des sous-titres en néer­lan­dais ou en fran­çais adap­tés aux sourds et mal­en­ten­dants. Concrè­te­ment le spec­ta­teur sourd ou mal­en­ten­dant voit dans ses lunettes une per­sonne qui parle en langue des signes. C’est un pro­grès impor­tant pour cette grande mai­son publique qu’est l’Opéra de Lille dans sa volon­té d’être acces­sible au plus grand nombre !

Les 24 derniers mois ont été difficiles pour le monde du spectacle. Comment s’est passée la reprise ? 

Pour dire les choses sans détour : nous sor­tons de deux ans de cau­che­mar. Quand vos clients et vos four­nis­seurs (tou­ristes et théâtres) dis­pa­raissent simul­ta­né­ment, il ne vous reste que vos yeux pour pleu­rer… Heu­reu­se­ment, nous avons pu béné­fi­cier d’une com­bi­nai­son de deux fac­teurs : d’une part, notre struc­ture finan­cière solide avec des action­naires et des banques fidèles, et une tré­so­re­rie impor­tante en début de crise ; d’autre part, des aides publiques massives.

Dès que les théâtres ont rou­vert leurs portes de façon pérenne et que les voya­geurs inter­na­tio­naux sont reve­nus, nous avons donc pu recom­men­cer à accueillir des spec­ta­teurs et à four­nir nos ser­vices avec une mon­tée en puis­sance au cours de la sai­son 2021–2022. Nous avons consta­té un retour des voya­geurs inter­na­tio­naux et une inten­si­fi­ca­tion des pro­po­si­tions de la part des salles de spectacle.

Mais c’est véri­ta­ble­ment en sep­tembre 2021 que les choses sérieuses ont recom­men­cé. Entre les spec­tacles déca­lés, les nou­veau­tés et l’envie farouche de rou­vrir, il y a eu un embou­teillage de pro­po­si­tions et nous avons dû pas­ser en quelques jours de l’hibernation à l’hyperactivité. Ce n’était pas évident pour les nerfs, même si ce sont de bien meilleurs pro­blèmes que ceux qui consis­taient à sur­vivre sans eau dans le désert. Et nous avons pu consta­ter que le tra­vail réa­li­sé pen­dant la crise por­tait ses fruits : notre répu­ta­tion est intacte et nous avons gagné de nou­veaux par­te­naires grâce à la qua­li­té du tra­vail de nos équipes et au bouche à oreille.

Si nous par­ve­nons à gérer habi­le­ment cette nou­velle mon­tée en charge, nous pré­voyons de gagner des parts de mar­ché et donc de sur­per­for­mer par rap­port à notre sec­teur. Et main­te­nant nous avons cinq ans pour rem­bour­ser notre dette Covid…

La quasi-disparition des touristes à Paris vous a‑t-elle contraints à revoir le business plan initial ? 

Pas­sé le moment de sidé­ra­tion du début du confi­ne­ment (« Nous sommes en guerre, etc. »), nous avons mené deux actions : sécu­ri­ser finan­ciè­re­ment l’entreprise et adap­ter notre acti­vi­té à la nou­velle réa­li­té. Sur le pre­mier point, le tra­vail a été intense mais somme toute assez clas­sique : recherche d’aides diverses, endet­te­ment, réduc­tion pro­vi­soire des coûts… En revanche, pour adap­ter notre acti­vi­té, c’était beau­coup plus com­pli­qué. Comme je l’ai déjà dit, quand vous n’avez plus ni clients ni four­nis­seurs, vous êtes en état de mort cérébrale.

Nous avons fina­le­ment mis en œuvre deux déci­sions com­plé­men­taires : à court terme, accom­pa­gner nos par­te­naires pour numé­ri­ser leur offre. Nous avons ain­si sous-titré des spec­tacles joués sur Zoom comme Splendid’s de Jean Genet au Théâtre natio­nal de Bre­tagne ou sur Ins­ta­gram comme _jeanne_dark_ de Marion Sié­fert. Nous avons éga­le­ment coor­don­né des confé­rences mul­ti­lingues pour des fes­ti­vals se tenant entiè­re­ment à dis­tance. Et à moyen terme, grâce à notre soli­di­té finan­cière et à nos fonds propres éle­vés, nous avons conti­nué à per­fec­tion­ner notre logi­ciel de sous-titrage et notre site de billet­te­rie. L’objectif était d’être prêts à la reprise et de gagner des parts de marché.

Notre busi­ness plan a ain­si été déca­lé de deux ans, mais la reprise est très dyna­mique, supé­rieure à la situa­tion pré­crise. Et, lorsque les tou­ristes reviennent, nous avons une meilleure offre à leur proposer.

Comment lutter contre des concurrents qui se nomment Netflix, Amazon, Disney, UGC ou Gaumont ? 

Les études d’opinion indiquent que le retour au spec­tacle sera certes lent, mais avec un désir accru de sor­ties. Rien n’indique qu’un « retour à la nor­male » ne se fera pas. Autre­ment dit, le rem­pla­ce­ment d’un diver­tis­se­ment expé­rien­tiel par un diver­tis­se­ment à la mai­son n’aura pas lieu.

On le consta­tait déjà depuis quelques années dans l’industrie musi­cale, où les concerts ont tou­jours plus de suc­cès alors qu’on peut écou­ter à tout moment son artiste pré­fé­ré sur une pla­te­forme de strea­ming. Le strea­ming n’a pas tué les concerts, il est deve­nu une source de reve­nus et un outil de mar­ke­ting pour atti­rer les spec­ta­teurs en salle. Je pré­dis le même des­tin au numé­rique pour le théâtre et l’opéra. Ce que nous ima­gi­nons, c’est que l’offre de diver­tis­se­ment va deve­nir tou­jours plus hybride, avec une forte valo­ri­sa­tion de l’événementiel, enri­chi par une expé­rience pro­lon­gée avant, pen­dant et après le spec­tacle, et avec une per­son­na­li­sa­tion accrue.

“La reprise est très dynamique, supérieure à la situation précrise.”

Dans un autre registre, je suis deve­nu en 2021 tré­so­rier de Fedo­ra, la pla­te­forme euro­péenne de pro­mo­tion de l’innovation dans l’opéra et le bal­let. Fedo­ra a pour objec­tif d’aider à la trans­for­ma­tion de cette indus­trie qui est en dan­ger de mort. Cela passe par des prix pres­ti­gieux, les plus grands prix au monde pour le bal­let et l’opéra, sou­te­nus par de grands mécènes, mais aus­si par une nou­velle ini­tia­tive bap­ti­sée Next Stage qui a pour but de sou­te­nir finan­ciè­re­ment des pro­jets de trans­for­ma­tion des mai­sons d’opéra selon 3 axes : le déve­lop­pe­ment durable, le numé­rique et la diver­si­té. Ain­si Fedo­ra s’attache à défendre la beau­té et l’excellence, avec une dimen­sion sociale et poli­tique assu­mée. Il faut que ces mer­veilleux arts vivants entrent chez les gens par les portes, les fenêtres et tous les moyens pos­sibles, car cela peut véri­ta­ble­ment chan­ger leur vie.

Le secteur du cinéma a entrepris une numérisation lente, qui permet aujourd’hui de choisir sa place ou de partager l’achat de billets (appli Gaumont Pathé, par exemple). Cela arrivera-t-il dans l’univers du théâtre ? 

Le plus dif­fi­cile est d’éviter ce que j’appelle « l’effet gad­get » : une nou­velle tech­no­lo­gie émerge, et tout l’écosystème se pré­ci­pite des­sus en vous expli­quant que ce sera le nou­veau stan­dard. Or j’ai appris de mes années dans l’automobile qu’il existe un outil essen­tiel qui doit être au cœur de toute inno­va­tion : l’analyse fonc­tion­nelle. Cette ana­lyse per­met de décrire le besoin du client dans toutes ses dimen­sions et de conce­voir des solu­tions qui répondent à ce besoin – et non de pous­ser à tout prix le der­nier gad­get à la mode sans se sou­cier de savoir s’il sert à quelque chose.

Cela étant posé, des inno­va­tions dans la billet­te­rie sont atten­dues depuis trop long­temps et devraient arri­ver à plus ou moins court terme : géné­ra­li­sa­tion du choix de la place sur plan, simu­la­tion de la visi­bi­li­té de la scène, de l’espace pour les jambes, du volume sonore. En ce qui concerne les fonc­tion­na­li­tés de e‑commerce, il y a des pos­si­bi­li­tés de par­tage d’achat de places comme tu le dis, mais aus­si de sécu­ri­sa­tion via les chaînes de blocs, notam­ment pour les évé­ne­ments très deman­dés. Toutes ces inno­va­tions visent à rendre le par­cours d’achat plus simple, plus fluide, plus confor­table, et à appor­ter de la réas­su­rance, concept clé de la vente de billets de spec­tacle à dis­tance. Tout ce qui va dans ce sens nous va bien ! Nous sommes un bon cobaye pour ce type d’innovation, car nous par­lons à beau­coup d’acteurs dif­fé­rents, avec des clients dans le monde entier.

La remise des César 2021 a laissé un goût assez aigre dans la bouche d’une grande partie du public, alors que des films et spectacles d’excellente qualité ont été produits ces derniers mois malgré les conditions difficiles. Comment expliques-tu cette dérive incompréhensible aux yeux des profanes ? 

Le milieu cultu­rel est un sec­teur abso­lu­ment incroyable, très proche de celui de l’entrepreneuriat et des start-up : on y ren­contre des génies, ayant un goût du risque et de l’aventure bien au-des­sus de la moyenne, et une mul­ti­tude de gens qui veulent vivre de leur pas­sion et créer quelque chose à par­tir d’une feuille blanche. C’est extrê­me­ment éner­gi­sant ! Tou­te­fois, le revers de la médaille est une nécrose qui atteint le sec­teur, un embour­geoi­se­ment lié à des pré­bendes, un entre-soi mor­ti­fère. De mon point de vue, la céré­mo­nie des César 2021 a été le som­met de cette absur­di­té : une petite com­mu­nau­té d’aigris qui ne parlent qu’à eux-mêmes et à leur minis­tère de tutelle et qui s’entredévorent. Cela m’a fait beau­coup de peine.

Ma convic­tion est que chaque par­tie pre­nante de cet uni­vers doit se secouer les puces pour sor­tir de l’impasse. Et d’abord, avant tout et obses­sion­nel­le­ment, se concen­trer sur le beau. Pour les spec­ta­teurs, s’astreindre à ne pas se lais­ser gagner par les pas­sions tristes et addic­tives consis­tant à regar­der, avec un regard atter­ré, les prises de parole les plus néga­tives. Oser prendre des risques en se lais­sant de temps en temps sur­prendre par des nou­veau­tés, des styles aux­quels on n’est pas habi­tué. Se lais­ser séduire, en somme.

“Oser prendre des risques en se laissant de temps en temps surprendre.”

Pour les créa­teurs, ne pas s’enfermer dans des reven­di­ca­tions bour­geoises et conser­va­trices aux anti­podes de ce en quoi on croit, et pro­po­ser tou­jours un regard posi­tif, déca­lé, je dirais même espiègle, sur le monde. « Enfour­cher le tigre », pour reprendre une expres­sion chi­noise employée par notre Pré­sident de la Répu­blique en 2020.

Pour les déci­deurs poli­tiques enfin, avoir une véri­table poli­tique cultu­relle pen­sée et assu­mée, comme ne l’a… pas fait notre Pré­sident de la Répu­blique, ni aucun de ses pré­dé­ces­seurs depuis Fran­çois Mit­ter­rand. Ou bien s’autodissoudre, si on ne sert à rien ! Car faire de la poli­tique, de mon point de vue, c’est faire des choix et orien­ter le bien com­mun. Et la culture est un champ poli­tique, jusque dans le diver­tis­se­ment (Net­flix, Dis­ney ou Pathé ? Ou des biblio­thèques publiques ? La langue fran­çaise ou le glo­bish ?…) mais aus­si dans les choix de langue (La Prin­cesse de Clèves ou Boo­ba ? Zadig de Vol­taire, ou Zadig et Vol­taire ? Fran­çais clas­sique ou écri­ture dite inclusive ?).

L’un des artistes que j’admire le plus, Waj­di Moua­wad, le direc­teur du Théâtre natio­nal de la Col­line, aborde ces ques­tions avec la meilleure approche qui soit : avec un regard de poète. Je vous recom­mande cha­leu­reu­se­ment son mani­feste de mai 2021 inti­tu­lé Fas­ciite nécro­sante, c’est brillant d’intelligence et de finesse. Et, si vous avez l’âme plus vaga­bonde, plon­gez-vous dans son Mani­feste pour l’ombre. Appe­lez-moi si vous ne ver­sez pas une petite larme, c’est tout sim­ple­ment magnifique !


Références :

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