Parcours scolaire et ségrégation
Dans les quartiers difficiles, on observe une véritable crise de l’école, crise qui est moins le fait des résultats que celle du rejet de l’école dans l’opinion. Au lycée Louise Michel de Bobigny, les résultats (deux tiers de réussite au baccalauréat, relativement peu d’échecs après redoublement) ont peu changé en trente ans : ni en pourcentage ni en valeur absolue. Mais, le pourcentage d’une classe d’âge ayant accès au baccalauréat a significativement augmenté dans le même temps.
Témoignage
Quand François Gaudel est arrivé à Bobigny à la fin des années 1970, il venait d’une classe d’un lycée de centre-ville à Reims, dont cinq élèves avaient obtenu la mention très bien au baccalauréat en deux ans. À Bobigny, en trente ans, un seul de ses élèves a obtenu cette mention. Dès le départ la différence de réussite des établissements en fonction de leur situation territoriale était flagrante. Cependant elle n’était pas vécue alors de la même façon ; le lycée apparaissait à Bobigny comme un lieu de progrès social et d’ouverture au monde.
La perception de l’école comme lieu de progrès social s’est considérablement dégradée, non seulement chez les élèves mais aussi dans leurs familles. L’enfermement social dont font l’objet ces établissements empêche souvent les enfants d’avoir d’autres visions de l’institution scolaire que celle véhiculée par leurs parents. Or ces parents, ayant souvent connu eux-mêmes des difficultés avec l’école, transmettent une certaine méfiance.
La disparition des entreprises industrielles a favorisé le renfermement sur les cultures locales
C’est un cercle vicieux. Les enfants n’ayant guère confiance dans l’institution supportent mal ses contraintes, comme le fait de devoir rester assis six ou sept heures par jour dans une salle de classe sans comprendre ce qu’on leur enseigne. Ils deviennent alors turbulents voire agressifs et se désintéressent de l’enseignement, si bien que l’institution ne convoque les parents que pour leur faire des reproches ou prononcer des sanctions.
Ces derniers, ne supportant plus un système qui ne sait que leur montrer la médiocrité de leur progéniture, finissent par le haïr, ce qui renforce encore les enfants dans le sentiment qu’ils n’ont rien à attendre de l’école.
De plus, les populations défavorisées ont un sens élevé de la rentabilité immédiate. Or, les élèves apprennent moins bien quand ils sont motivés par les gains que leur apprentissage va leur permettre d’acquérir que lorsqu’ils sont motivés par l’apprentissage et les savoirs eux-mêmes, comme l’ont montré de nombreuses études universitaires.
Cette désaffection pour l’école est aussi renforcée ou expliquée par des facteurs sociologiques :
• l’effondrement des pays de l’Est et du modèle communiste a fait disparaître au sein des populations défavorisées une manière positive de se percevoir dans la société française, l’idéologie communiste valorisant ces couches sociales comme étant son avenir. En perdant cette référence, c’est un imaginaire d’espérance qui a disparu ;
• la disparition des entreprises industrielles, qui étaient de puissants lieux de brassage social structuré autour d’intérêts communs, a favorisé le renfermement sur les cultures locales ;
• la suppression des enseignements adaptés au profit de la formation de classes indifférenciées depuis une vingtaine d’années a brisé les dynamiques de classe en collège et en lycée. Peut-on vraiment gérer de façon aussi satisfaisante une classe hétérogène à Bobigny et une classe de seconde à Henri-IV, par exemple ?
Les parents le savent et cela contribue à la ghettoïsation des quartiers.
Rompre l’enfermement
La « pause parent-thé »
Au lycée des Tarterêts, les parents sont invités un après-midi par mois à prendre le thé. Il leur est proposé d’apporter des spécialités de leur pays d’origine. Ils découvrent le fonctionnement de l’école : visite des locaux ; discussion sur un thème particulier choisi au cours de la réunion précédente, comme les parcours scolaires, l’usage des stupéfiants… Ce moment constitue la « pause parent-thé ». Les familles, qui n’étaient reçues auparavant que pour s’entendre annoncer des sanctions, sont alors venues avec plaisir.
Un premier remède, selon François Gaudel, est le rétablissement de classes homogènes en niveau scolaire et hétérogènes en milieux sociaux. Cela implique de rendre les lycées de banlieue attractifs aux yeux des classes sociales favorisées. C’est dans cet esprit que l’Éducation nationale a mis en place, à destination d’établissements dûment répertoriés, des moyens conséquents qui permettent de faire des classes avec des groupes allégés par exemple.
Autre condition d’un réel progrès : s’appuyer sur les « profs ». C’est une question de bon sens. Si l’on se contente de souligner certains comportements réactionnaires et fermés, on ne fait que les renforcer, alors que des dynamiques positives peuvent créer un tout autre climat.
Enfin, il convient de renforcer significativement la politique volontariste d’ouverture des grandes écoles pour offrir des débouchés socialement valorisés aux jeunes qui en ont le potentiel intellectuel, mais qui ne peuvent rompre l’enfermement dans lequel ils sont placés.