Paresse ou tension ?
Pour une écoute décontractée : Polyphoniques françaises, Ararat musiques arméniennes, Motets à trois voix d’hommes et symphonies.
Pour une écoute attentive : Des Knaben Wunderhorn et la 7e Symphonie de Mahler
Il est deux façons d’écouter une musique chez soi : l’écoute passive, molle, où l’on se laisse pénétrer par la musique sans chercher à l’analyser, et l’écoute active, tendue, avec ou sans la partition, où l’on perçoit chaque mesure comme une information nouvelle, en cherchant à distinguer chaque pupitre et même, en musique de chambre, dans un quatuor par exemple, chaque instrument (on passera sous silence l’écoute en musique de fond, en pratiquant une autre occupation, qui est à la musique ce que le fast food est à la gastronomie).
L’écoute active n’est pas purement intellectuelle : elle permet tout de même d’embrasser une ligne mélodique et de jouir sensuellement d’une œuvre.
POUR UNE ÉCOUTE DÉCONTRACTÉE
Quel joli disque ! L’Ensemble Léonor dirigé par Marielle Cafafa vient d’enregistrer vingt Chansons polyphoniques françaises du début du XXe siècle1, musiques de plaisir pur. Les auteurs des poèmes vont de Charles d’Orléans, Marot, d’Aubigné, à Apollinaire, Paul Fort, Cendrars.
Les musiques sont de Reynaldo Hahn, Poulenc, Ravel, Saint-Saëns, Debussy, et aussi de compositeurs à découvrir comme Langlais, Pillois, Ladmirault, Chailley, l’exquise Angèle Ravizé.
Une belle illustration de ce qui aura été l’âge d’or de la musique tonale française, élaborée, subtile, mais faite d’abord pour le plaisir de l’écoute.
Sous le titre Ararat, c’est un florilège de musiques arméniennes qu’interprète l’ensemble Canticum Novum dirigé par Emmanuel Bardon2.
Il s’agit de chants populaires, de musiques religieuses, de cantiques, de suites de Xe au XIXe siècle, auxquels s’ajoutent deux romances judéo-espagnoles.
L’ensemble comprend, outre les voix, des instruments traditionnels dont duduk, oud, kamantcha, vièle, lyre, nyckelharpa. Dépassé le dépaysement dû à l’exotisme (au sens propre), on se prend au charme indéfinissable et à l’étrange douceur de cette musique diasporique, qui mérite la découverte.
Louis-Nicolas Clérambault, « surintendant des Concerts particuliers de Madame de Maintenon », a laissé une œuvre abondante dont l’édition des Motets à trois voix d’hommes et symphonies par l’Ensemble Sébastien de Brossard3 donne une bonne idée.
C’est une musique très élaborée, caractéristique du Grand Siècle, et qui s’écoute avec plaisir comme on laisse fondre dans sa bouche une oublie fragile.
Leonard Bernstein, l’un des cinq ou six très grands chefs d’orchestre du XXe siècle, a été un compositeur prolifique : musique sérieuse, musique de film, comédies musicales dont Wonderful Town est rééditée, dirigée par Simon Rattle à la tête du Birmingham Contemporary Music Group avec une pléiade de solistes4.
C’est de la jolie, de la joyeuse musique de variétés qui valut à la comédie musicale 553 représentations consécutives à Broadway au début des années 50.
À ÉCOUTER AVEC UNE GRANDE ATTENTION
Warner réédite un enregistrement de légende : Des Knaben Wunderhorn de Mahler, par Elisabeth Schwarzkopf, Dietrich Fischer-Dieskau et le London Symphony Orchestra dirigé par George Szell (1968)5.
Ce cycle de mélodies a une place à part dans l’oeuvre de Mahler. Moins connu que les Kindertotenlieder ou Le Chant de la Terre, il est à l’origine de plusieurs symphonies dont les connaisseurs de Mahler reconnaîtront des thèmes dans certains de ces lieder. Écrit sur des poésies populaires appréciées par Goethe, paraît-il, il pourrait être léger.
En réalité, l’orchestration et aussi l’interprétation très travaillée de ceux qui auront été, selon les critiques de l’époque, « les deux plus grands chanteurs de lieder du monde » font de ce disque une petite merveille.
La 7e Symphonie, strictement instrumentale, est la plus étrange des symphonies de Mahler – qui la considérait comme la meilleure des 7 premières.
Après un premier mouvement d’une écriture très complexe et novatrice, deux très beaux Nocturnes, dont l’un reprend le thème d’un lied du Knaben Wunderhorn, encadrent un Scherzo diabolique et la symphonie se termine par un Finale de tous les excès.
Mariss Jansons est un des grands chefs mahlériens d’aujourd’hui. Il a enregistré cette symphonie en concert fin 2016, à la tête du Royal Concertgebouw Orchestra6.
L’interprétation de cet orchestre au timbre unique et de ce chef exigeant et précis est un sommet. Renoncez à écouter ce disque d’une oreille distraite : dès les premières notes, vous serez accroché aux accoudoirs de votre fauteuil.
Vous sortirez de cette écoute épuisé et subjugué, avec l’impérieux besoin d’un verre d’un très bon pur malt… et la résolution de recommencer dès que possible.
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1. 1 CD Ensemble Léonor
2. 1 CD Ambronay
3. 1 CD Paraty
4. 1 CD Warner
5. 1 CD Warner
6. 1 CD RCO