EPA PARIS-Saclay

Paris-Saclay : genèse et développement d’un territoire consacré à l’innovation

Dossier : OIN Paris-SaclayMagazine N°774 Avril 2022
Par Philippe VAN DE MAELE (81)
Par Alix VERDET

La genèse du pro­jet de déve­lop­pe­ment du pla­teau de Saclay remonte aux années 1960 pen­dant les grands tra­vaux d’aménagement des trente glo­rieuses. Après l’installation sur le pla­teau de plu­sieurs grandes écoles dont Poly­tech­nique dans les années 1970, 2010 a vu le lan­ce­ment de l’Opération d’intérêt géné­ral Paris-Saclay et la créa­tion de l’Établissement public d’aménagement diri­gé par Phi­lippe Van de Maele (81) depuis 2015, pour don­ner à la France un pôle de recherche et d’innovation de rang mon­dial dans un pro­jet aux enjeux durables.

Pouvez-vous nous présenter votre parcours et comment vous en êtes venu à diriger l’Établissement public d’aménagement Paris-Saclay ?

J’ai fait une car­rière essen­tiel­le­ment publique, avec quelques pas­sages dans le pri­vé. Après l’X et les Ponts, j’ai beau­coup tra­vaillé dans les infra­struc­tures (routes, ports, aéro­ports) en Haute-Garonne et en Mar­ti­nique. Puis je me suis orien­té vers le loge­ment social et la poli­tique de la ville dans des cabi­nets minis­té­riels. J’ai alors par­ti­ci­pé auprès de Jean-Louis Bor­loo à la créa­tion de l’Anru en 2003 (Agence natio­nale pour la réno­va­tion urbaine), dont j’ai pris la direc­tion géné­rale, pour accom­pa­gner les maires dans la réno­va­tion urbaine des grands quar­tiers d’habitat sociaux (les Tar­te­rêts à Cor­beil-Essonnes, la Cité des 4000 à La Cour­neuve et ailleurs dans toute la France). J’avais aupa­ra­vant beau­coup tra­vaillé pour la poli­tique de la ville, notam­ment dans le cadre du pacte de relance pour la ville en 1995 avec la créa­tion des zones franches urbaines, des emplois-ville pour l’amélioration et l’accompagnement de ces quar­tiers vers le droit com­mun en termes urbain, social et éco­no­mique. Je suis ensuite retour­né auprès de Jean-Louis Bor­loo pour tra­vailler sur le Gre­nelle de l’environnement, comme direc­teur adjoint de son cabi­net, et j’ai pris la pré­si­dence de l’Ademe pen­dant trois ans. J’ai depuis conti­nué à tra­vailler sur des thé­ma­tiques de déve­lop­pe­ment durable, ce qui m’a conduit à appro­fon­dir ma réflexion sur la ville durable. Paris-Saclay était la com­bi­nai­son de tous ces sujets, avec le por­tage d’un pro­jet assez extra­or­di­naire : construc­tion de quar­tiers de ville, défense d’une zone agri­cole, déve­lop­pe­ment de trans­ports urbains, sou­tien au déve­lop­pe­ment aca­dé­mique et à l’innovation… Ça com­bi­nait tout ce dont j’ai pu rêver. J’ai vrai­ment sou­hai­té diri­ger ce pro­jet, une mis­sion qui nous dépasse.

Pouvez-vous revenir sur la genèse de ce grand projet ?

Ce pro­jet vient de la volon­té de l’État d’avoir un site en France qui sou­tient un pôle scien­ti­fique et tech­no­lo­gique de l’innovation de rang mon­dial. L’objectif est de regrou­per les acteurs liés à la recherche aca­dé­mique et à la recherche et déve­lop­pe­ment pri­vés. C’est une volon­té qui date en réa­li­té des années 1960, et qui a démar­ré avec Fré­de­ric Joliot-Curie, avec la créa­tion du CEA à Saclay, du CNRS à Gif, et de ce qui s’appelait la facul­té des sciences de l’Université de Paris et qui est deve­nue l’Université Paris-Saclay. Dans les année 1970 le pro­jet fut mani­fes­te­ment frei­née, proba­blement par la crise pétro­lière. Néan­moins Supé­lec a rejoint le pla­teau en 1974, et l’École poly­tech­nique en 1976, dans cette logique de regrou­per au même endroit les talents scien­ti­fiques et tech­niques du pays. Le pro­jet a été relan­cé en 2010 avec la loi du Grand Paris pour reprendre cette dyna­mique aca­dé­mique et éco­no­mique et y inté­grer une dimen­sion de déve­lop­pe­ment urbain autour d’un trans­port urbain capa­ci­taire : la ligne 18 du Grand Paris Express.

“L’enjeu est de faire venir des centres de recherche qui correspondent aux ambitions des pôles académiques.”

La fin du pro­jet est pro­ba­ble­ment au-delà de 2030, c’est donc un pro­jet de très long terme, aus­si bien sur le plan de l’aménagement que de la struc­tu­ra­tion aca­dé­mique et éco­no­mique. Le pôle est orga­ni­sé autour de deux ins­ti­tu­tions : l’Université Paris-Saclay et IP Paris. Il s’accompagne d’un cer­tain nombre de pro­grammes immo­bi­liers pour offrir des loge­ments fami­liaux et étu­diants. Les pro­grammes immo­bi­liers du pôle aca­dé­mique se ter­minent en 2022 avec l’installation du cam­pus Agro­Pa­ris­Tech-Inrae et de la facul­té de phar­ma­cie de l’Université Paris-Saclay. Ça a été aus­si l’occasion de ren­for­cer les outils de recherche, avec de nou­veaux équi­pe­ments de recherche dans l’imagerie médi­cale, dans les nano­tech­no­lo­gies, dans la bio­lo­gie et aus­si d’inciter à la créa­tion d’UMR (uni­tés mixtes de recherche).

Le pôle aca­dé­mique struc­tu­ré a déjà une forte visi­bi­li­té inter­na­tio­nale. La par­tie recherche qui est très pré­sente dans l’Université Paris-Saclay et que déve­loppe IP Paris a per­mis une iden­ti­fi­ca­tion de Paris-Saclay comme un pôle scien­ti­fique impor­tant dans le monde. Du côté de la for­ma­tion, l’Université Paris-Saclay et IP Paris sont aus­si recon­nus comme très cotés. L’objectif est de créer des liens entre ces pôles de for­ma­tion et de recherche et le sec­teur pri­vé, dans les domaines d’excellence du pôle aca­dé­mique. En paral­lèle, nous avons aidé les start-up à se struc­tu­rer dans une com­mu­nau­té French Tech Paris-Saclay et nous avons accom­pa­gné les qua­rante-quatre lieux d’innovation du ter­ri­toire. Nous ani­mons aus­si la com­mu­nau­té des direc­teurs de recherche des entre­prises pour créer ces liens entre le monde de la recherche pri­vée et le monde de la recherche publique en vue d’accompa­gner l’innova­tion. L’innovation s’ap­puyant beau­coup sur des ren­contres, la conduite d’événe­ments pour les faci­li­ter fait par­tie de l’écosystème pour encou­ra­ger l’innovation que ce soit par des start-up, ou par des entre­prises qui déve­loppent des bre­vets de chercheurs… 

L’idée de ce pôle est ain­si de créer ces liens entre cher­cheurs publics et inves­tis­seurs pri­vés pour conduire à l’innovation, parti­culière­­­ment en ce moment sur les problé­matiques environ­nementales et durables. Nous avons beau­coup d’entreprises sur le ter­ri­toire qui ont leur centre de recherche : le Tech­no­centre de Renault, Air Liquide, Sano­fi, Danone, Air­bus, Safran, Nex­ter, Valeo…


L’innovation en synergie : l’exemple d’Exotrail

Un cher­cheur du CNRS, tra­vaillant à l’Université de Saint-Quen­tin-en-Yve­lines déve­lop­pait des bre­vets sur l’effet Hall. Il a été accom­pa­gné par la SATT Paris-Saclay (socié­té d’accélération et de trans­fert tech­no­lo­gique), une filiale conjointe de l’Université Paris-Saclay et IP Paris. Cela a don­né nais­sance à la créa­tion d’une start-up, par la suite incu­bée au Dra­hi-X-Nova­tion Center.
Depuis, l’équipe a réa­li­sé plu­sieurs levées de fonds et a déve­lop­pé des pro­pul­seurs per­for­mants pour micro­sa­tel­lites. Aujourd’hui, les pre­miers essais ont été réa­li­sés et réus­sis dans l’espace. Et son déve­lop­pe­ment se pour­suit acti­ve­ment tou­jours dans l’écosystème de l’innovation de Paris-Saclay à Massy.


Il est tou­te­fois tou­jours néces­saire de rap­pe­ler la vision glo­bale et l’ampleur du pro­jet. Paris-Saclay com­mence à avoir une forte visi­bi­li­té notam­ment dans le domaine des life sciences (bio­lo­gie, phar­ma­cie, chi­mie, agri-agro), mais éga­le­ment en intel­li­gence arti­fi­cielle avec notam­ment l’arrivée d’investisseurs étran­gers. Entre IP Paris, l’Université Paris-Saclay et les centres de recherche, nous avons un haut niveau de com­pé­tences scien­ti­fiques. L’enjeu est de faire venir d’autres centres de recherche qui cor­res­pondent aux ambi­tions des pôles aca­dé­miques et que cette syner­gie se fasse.

Quels sont vos objectifs pour les dix prochaines années du projet ?

Le pre­mier enjeu est de faire venir des entre­prises fran­çaises ou inter­na­tio­nales qui ins­tallent des centres de recherche sur le ter­ri­toire en lien avec le pôle aca­dé­mique. Nous vou­lons créer ces ren­contres et faire vivre cet éco­sys­tème. Sur cette filière des life sciences, nous allons faire venir Bio­Labs, un acteur majeur de l’innovation à Bos­ton. Le nou­vel hôpi­tal qui se construit sur le pla­teau et qui a déjà de forts enjeux de recherche conforte cette visi­bi­li­té. Mais il y a au moins six filières d’excellence du pôle de Paris-Saclay : tran­si­tion éner­ge­tique, mobi­li­té, défense, NewS­pace, IA et smart manu­fac­tu­ring.

Le second enjeu est bien de déve­lop­per un ter­ri­toire durable avec des quar­tiers mixtes vivants et agréables, avec des com­merces et une proxi­mi­té de la nature qui donnent envie à des habi­tants de s’y ins­tal­ler. Ces quar­tiers sont construits avec cette notion de ville durable : bas car­bone, éner­gie renou­ve­lable, ser­vices de proxi­mi­té, trans­ports col­lec­tifs propres… C’est une dyna­mique glo­bale d’innovation.

Nous vou­lons aus­si pour­suivre la pré­ser­va­tion et la valo­ri­sa­tion des espaces pro­té­gés du pla­teau de Saclay dans des aires agri­coles et fores­tières, avec l’objectif de tra­vailler sur l’agriculture du futur. Une quin­zaine d’agriculteurs sont pré­sents sur le pla­teau et sont ouverts à la réflexion sur des pro­jets ambitieux.

Il faut aus­si per­mettre d’imaginer l’arrivée de la ligne 18 du métro qui va relier Ver­sailles à Palai­seau en dix minutes, puis Mas­sy et Orly, et qui par­ti­cipe à la restruc­tu­ra­tion de l’Île-de-France.

Nous avons aus­si l’ambition de tra­vailler sur la dimen­sion de l’offre cultu­relle, notam­ment pour les étu­diants. Nous avons fait une étude et un diag­nos­tic sur les aspects à déve­lop­per dans la culture sur le grand ter­ri­toire de Paris-Saclay. Notam­ment la mise en réseau des acteurs cultu­rels (l’Opéra de Mas­sy, la scène natio­nale du théâtre de Saint-Quen­tin-en-Yve­lines, les théâtres de Ver­sailles, les fes­ti­vals…). Le diag­nos­tic insiste aus­si sur le besoin de ren­for­ce­ment de la créa­tion artis­tique qui aujourd’hui manque d’espaces. Ain­si, nous pro­je­tons aus­si de déve­lop­per une rési­dence d’artistes en lien avec le monde aca­dé­mique pro­ba­ble­ment dans le châ­teau de Cor­be­ville. Par ailleurs, nous avons com­man­dé des œuvres à des artistes pour qu’ils nous donnent leur vision du pla­teau de Saclay et per­mettre de pro­po­ser une expo­si­tion iti­né­rante au plus près des habi­tants du grand ter­ri­toire de Paris-Saclay. Un ter­ri­toire, ce sont toutes ces dimen­sions à ani­mer en même temps, c’est très par­te­na­rial, donc c’est beau­coup d’énergie et d’implication.

Quels sont les grands défis notamment en termes d’attractivité économique ?

Les défis de réa­li­sa­tion sont impor­tants, mais cet immense pro­jet repré­sente réel­le­ment une chance inouïe pour la France, pour la recherche et l’innovation. Le grand défi est de faire tra­vailler les gens ensemble. Le métro est l’infrastructure struc­tu­rante ; tant que le chan­tier n’est pas fini, il est plus dif­fi­cile de rendre le pro­jet attrac­tif. Mais il faut bien se rendre compte qu’en 2026 le métro ira de Mas­sy à Saclay, en 2027, la ligne conti­nue­ra jusqu’à l’aéroport d’Orly et, en 2030, elle ira jusqu’à Ver­sailles. À terme, nous serons arri­vés à une struc­tu­ra­tion impor­tante de ce ter­ri­toire autour de l’innovation et de cette ligne de métro.

Enfin, le confor­te­ment de pôle aca­dé­mique qui est en marge reste l’enjeu essen­tiel. Bien sûr le clas­se­ment de Shan­ghai qui valo­rise la recherche de rang inter­na­tio­nal de l’Université Paris-Saclay a déjà beau­coup aidé pour la noto­rié­té. C’est un for­mi­dable atout pour la France d’avoir ain­si une uni­ver­si­té de rang mon­dial recon­nue. Ça aide tout le monde, y com­pris IP Paris et l’École.

Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans votre mission actuelle ?

J’ai eu la chance d’avoir des postes qui m’ont per­mis de par­ti­ci­per à une démarche d’intérêt géné­ral. C’est le cas ici avec ce pro­jet extra­or­di­naire. Mais ce qui est aus­si pas­sion­nant, c’est l’aventure humaine du pro­jet qui per­met de ren­con­trer beau­coup de gens, de faire conver­ger des acteurs dif­fé­rents avec des enjeux impor­tants de coor­di­na­tion. Tous ensemble, nous tra­vaillons sur cette vision, qui fut d’abord celle de Fré­dé­ric Joliot-Curie et de Paul Delou­vrier, d’avoir un ter­ri­toire scien­ti­fique qui per­mette à la France de por­ter une dyna­mique de recherche très forte. Je suis heu­reux de par­ti­ci­per à cette dyna­mique-là. Et c’est aus­si très gra­ti­fiant de voir sor­tir de terre ce que l’on imagine.


Chiffres clés

  • 68 500 étu­diants
  • 4 600 doc­to­rants
  • 16 000 cher­cheurs
  • 360 labo­ra­toires
  • 4 prix Nobel
  • 10 médailles Fields

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