Paris-Saclay : genèse et développement d’un territoire consacré à l’innovation
La genèse du projet de développement du plateau de Saclay remonte aux années 1960 pendant les grands travaux d’aménagement des trente glorieuses. Après l’installation sur le plateau de plusieurs grandes écoles dont Polytechnique dans les années 1970, 2010 a vu le lancement de l’Opération d’intérêt général Paris-Saclay et la création de l’Établissement public d’aménagement dirigé par Philippe Van de Maele (81) depuis 2015, pour donner à la France un pôle de recherche et d’innovation de rang mondial dans un projet aux enjeux durables.
Pouvez-vous nous présenter votre parcours et comment vous en êtes venu à diriger l’Établissement public d’aménagement Paris-Saclay ?
J’ai fait une carrière essentiellement publique, avec quelques passages dans le privé. Après l’X et les Ponts, j’ai beaucoup travaillé dans les infrastructures (routes, ports, aéroports) en Haute-Garonne et en Martinique. Puis je me suis orienté vers le logement social et la politique de la ville dans des cabinets ministériels. J’ai alors participé auprès de Jean-Louis Borloo à la création de l’Anru en 2003 (Agence nationale pour la rénovation urbaine), dont j’ai pris la direction générale, pour accompagner les maires dans la rénovation urbaine des grands quartiers d’habitat sociaux (les Tarterêts à Corbeil-Essonnes, la Cité des 4000 à La Courneuve et ailleurs dans toute la France). J’avais auparavant beaucoup travaillé pour la politique de la ville, notamment dans le cadre du pacte de relance pour la ville en 1995 avec la création des zones franches urbaines, des emplois-ville pour l’amélioration et l’accompagnement de ces quartiers vers le droit commun en termes urbain, social et économique. Je suis ensuite retourné auprès de Jean-Louis Borloo pour travailler sur le Grenelle de l’environnement, comme directeur adjoint de son cabinet, et j’ai pris la présidence de l’Ademe pendant trois ans. J’ai depuis continué à travailler sur des thématiques de développement durable, ce qui m’a conduit à approfondir ma réflexion sur la ville durable. Paris-Saclay était la combinaison de tous ces sujets, avec le portage d’un projet assez extraordinaire : construction de quartiers de ville, défense d’une zone agricole, développement de transports urbains, soutien au développement académique et à l’innovation… Ça combinait tout ce dont j’ai pu rêver. J’ai vraiment souhaité diriger ce projet, une mission qui nous dépasse.
Pouvez-vous revenir sur la genèse de ce grand projet ?
Ce projet vient de la volonté de l’État d’avoir un site en France qui soutient un pôle scientifique et technologique de l’innovation de rang mondial. L’objectif est de regrouper les acteurs liés à la recherche académique et à la recherche et développement privés. C’est une volonté qui date en réalité des années 1960, et qui a démarré avec Fréderic Joliot-Curie, avec la création du CEA à Saclay, du CNRS à Gif, et de ce qui s’appelait la faculté des sciences de l’Université de Paris et qui est devenue l’Université Paris-Saclay. Dans les année 1970 le projet fut manifestement freinée, probablement par la crise pétrolière. Néanmoins Supélec a rejoint le plateau en 1974, et l’École polytechnique en 1976, dans cette logique de regrouper au même endroit les talents scientifiques et techniques du pays. Le projet a été relancé en 2010 avec la loi du Grand Paris pour reprendre cette dynamique académique et économique et y intégrer une dimension de développement urbain autour d’un transport urbain capacitaire : la ligne 18 du Grand Paris Express.
“L’enjeu est de faire venir des centres de recherche qui correspondent aux ambitions des pôles académiques.”
La fin du projet est probablement au-delà de 2030, c’est donc un projet de très long terme, aussi bien sur le plan de l’aménagement que de la structuration académique et économique. Le pôle est organisé autour de deux institutions : l’Université Paris-Saclay et IP Paris. Il s’accompagne d’un certain nombre de programmes immobiliers pour offrir des logements familiaux et étudiants. Les programmes immobiliers du pôle académique se terminent en 2022 avec l’installation du campus AgroParisTech-Inrae et de la faculté de pharmacie de l’Université Paris-Saclay. Ça a été aussi l’occasion de renforcer les outils de recherche, avec de nouveaux équipements de recherche dans l’imagerie médicale, dans les nanotechnologies, dans la biologie et aussi d’inciter à la création d’UMR (unités mixtes de recherche).
Le pôle académique structuré a déjà une forte visibilité internationale. La partie recherche qui est très présente dans l’Université Paris-Saclay et que développe IP Paris a permis une identification de Paris-Saclay comme un pôle scientifique important dans le monde. Du côté de la formation, l’Université Paris-Saclay et IP Paris sont aussi reconnus comme très cotés. L’objectif est de créer des liens entre ces pôles de formation et de recherche et le secteur privé, dans les domaines d’excellence du pôle académique. En parallèle, nous avons aidé les start-up à se structurer dans une communauté French Tech Paris-Saclay et nous avons accompagné les quarante-quatre lieux d’innovation du territoire. Nous animons aussi la communauté des directeurs de recherche des entreprises pour créer ces liens entre le monde de la recherche privée et le monde de la recherche publique en vue d’accompagner l’innovation. L’innovation s’appuyant beaucoup sur des rencontres, la conduite d’événements pour les faciliter fait partie de l’écosystème pour encourager l’innovation que ce soit par des start-up, ou par des entreprises qui développent des brevets de chercheurs…
L’idée de ce pôle est ainsi de créer ces liens entre chercheurs publics et investisseurs privés pour conduire à l’innovation, particulièrement en ce moment sur les problématiques environnementales et durables. Nous avons beaucoup d’entreprises sur le territoire qui ont leur centre de recherche : le Technocentre de Renault, Air Liquide, Sanofi, Danone, Airbus, Safran, Nexter, Valeo…
L’innovation en synergie : l’exemple d’Exotrail
Un chercheur du CNRS, travaillant à l’Université de Saint-Quentin-en-Yvelines développait des brevets sur l’effet Hall. Il a été accompagné par la SATT Paris-Saclay (société d’accélération et de transfert technologique), une filiale conjointe de l’Université Paris-Saclay et IP Paris. Cela a donné naissance à la création d’une start-up, par la suite incubée au Drahi-X-Novation Center.
Depuis, l’équipe a réalisé plusieurs levées de fonds et a développé des propulseurs performants pour microsatellites. Aujourd’hui, les premiers essais ont été réalisés et réussis dans l’espace. Et son développement se poursuit activement toujours dans l’écosystème de l’innovation de Paris-Saclay à Massy.
Il est toutefois toujours nécessaire de rappeler la vision globale et l’ampleur du projet. Paris-Saclay commence à avoir une forte visibilité notamment dans le domaine des life sciences (biologie, pharmacie, chimie, agri-agro), mais également en intelligence artificielle avec notamment l’arrivée d’investisseurs étrangers. Entre IP Paris, l’Université Paris-Saclay et les centres de recherche, nous avons un haut niveau de compétences scientifiques. L’enjeu est de faire venir d’autres centres de recherche qui correspondent aux ambitions des pôles académiques et que cette synergie se fasse.
Quels sont vos objectifs pour les dix prochaines années du projet ?
Le premier enjeu est de faire venir des entreprises françaises ou internationales qui installent des centres de recherche sur le territoire en lien avec le pôle académique. Nous voulons créer ces rencontres et faire vivre cet écosystème. Sur cette filière des life sciences, nous allons faire venir BioLabs, un acteur majeur de l’innovation à Boston. Le nouvel hôpital qui se construit sur le plateau et qui a déjà de forts enjeux de recherche conforte cette visibilité. Mais il y a au moins six filières d’excellence du pôle de Paris-Saclay : transition énergetique, mobilité, défense, NewSpace, IA et smart manufacturing.
Le second enjeu est bien de développer un territoire durable avec des quartiers mixtes vivants et agréables, avec des commerces et une proximité de la nature qui donnent envie à des habitants de s’y installer. Ces quartiers sont construits avec cette notion de ville durable : bas carbone, énergie renouvelable, services de proximité, transports collectifs propres… C’est une dynamique globale d’innovation.
Nous voulons aussi poursuivre la préservation et la valorisation des espaces protégés du plateau de Saclay dans des aires agricoles et forestières, avec l’objectif de travailler sur l’agriculture du futur. Une quinzaine d’agriculteurs sont présents sur le plateau et sont ouverts à la réflexion sur des projets ambitieux.
Il faut aussi permettre d’imaginer l’arrivée de la ligne 18 du métro qui va relier Versailles à Palaiseau en dix minutes, puis Massy et Orly, et qui participe à la restructuration de l’Île-de-France.
Nous avons aussi l’ambition de travailler sur la dimension de l’offre culturelle, notamment pour les étudiants. Nous avons fait une étude et un diagnostic sur les aspects à développer dans la culture sur le grand territoire de Paris-Saclay. Notamment la mise en réseau des acteurs culturels (l’Opéra de Massy, la scène nationale du théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines, les théâtres de Versailles, les festivals…). Le diagnostic insiste aussi sur le besoin de renforcement de la création artistique qui aujourd’hui manque d’espaces. Ainsi, nous projetons aussi de développer une résidence d’artistes en lien avec le monde académique probablement dans le château de Corbeville. Par ailleurs, nous avons commandé des œuvres à des artistes pour qu’ils nous donnent leur vision du plateau de Saclay et permettre de proposer une exposition itinérante au plus près des habitants du grand territoire de Paris-Saclay. Un territoire, ce sont toutes ces dimensions à animer en même temps, c’est très partenarial, donc c’est beaucoup d’énergie et d’implication.
Quels sont les grands défis notamment en termes d’attractivité économique ?
Les défis de réalisation sont importants, mais cet immense projet représente réellement une chance inouïe pour la France, pour la recherche et l’innovation. Le grand défi est de faire travailler les gens ensemble. Le métro est l’infrastructure structurante ; tant que le chantier n’est pas fini, il est plus difficile de rendre le projet attractif. Mais il faut bien se rendre compte qu’en 2026 le métro ira de Massy à Saclay, en 2027, la ligne continuera jusqu’à l’aéroport d’Orly et, en 2030, elle ira jusqu’à Versailles. À terme, nous serons arrivés à une structuration importante de ce territoire autour de l’innovation et de cette ligne de métro.
Enfin, le confortement de pôle académique qui est en marge reste l’enjeu essentiel. Bien sûr le classement de Shanghai qui valorise la recherche de rang international de l’Université Paris-Saclay a déjà beaucoup aidé pour la notoriété. C’est un formidable atout pour la France d’avoir ainsi une université de rang mondial reconnue. Ça aide tout le monde, y compris IP Paris et l’École.
Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans votre mission actuelle ?
J’ai eu la chance d’avoir des postes qui m’ont permis de participer à une démarche d’intérêt général. C’est le cas ici avec ce projet extraordinaire. Mais ce qui est aussi passionnant, c’est l’aventure humaine du projet qui permet de rencontrer beaucoup de gens, de faire converger des acteurs différents avec des enjeux importants de coordination. Tous ensemble, nous travaillons sur cette vision, qui fut d’abord celle de Frédéric Joliot-Curie et de Paul Delouvrier, d’avoir un territoire scientifique qui permette à la France de porter une dynamique de recherche très forte. Je suis heureux de participer à cette dynamique-là. Et c’est aussi très gratifiant de voir sortir de terre ce que l’on imagine.
Chiffres clés
- 68 500 étudiants
- 4 600 doctorants
- 16 000 chercheurs
- 360 laboratoires
- 4 prix Nobel
- 10 médailles Fields