PariSanté Campus imagine et construit aujourd’hui les systèmes de santé de demain
Le Professeur Antoine Tesnière, Directeur général de PariSanté Campus, revient pour nous sur la création de PariSanté Campus dont l’ambition première est de fédérer l’ensemble des acteurs du numérique en santé afin d’accélérer son développement en France et de positionner le pays comme un acteur incontournable de ces sujets aussi bien en Europe que dans le monde. Entretien.
PariSanté Campus est une initiative fédératrice autour du numérique en santé. Pouvez-vous nous rappeler le contexte autour de sa création et ses principales missions ?
La mission et l’ambition de PariSanté Campus sont de contribuer à l’accélération de l’innovation en santé, et en particulier du numérique, en rassemblant sur un même site les acteurs qui ont besoin et qui ont intérêt à travailler ensemble. Dans la continuité de la crise Covid, PariSanté Campus permet également de répondre à la volonté de casser des silos et de décloisonner un certain nombre de systèmes dans le monde de la santé afin de faciliter les synergies, les interactions et les collaborations entre la sphère publique et privée, qui jusque-là travaillaient essentiellement chacune de leur côté.
En parallèle, il s’agit aujourd’hui de se donner les moyens de nous positionner comme un leader du numérique en santé, un domaine fortement régulé où l’État a un rôle clé à jouer pour accompagner cette dynamique et démontrer que le numérique est une réponse concrète, pratique et pertinente pour relever les défis actuels du système de santé.
Au-delà, on retrouve aussi la volonté des cinq membres fondateurs (l’Inserm pour la recherche en santé, INRIA pour la recherche en numérique, l’université PSL qui propose de nombreux programmes de formation sur le numérique en santé, ainsi que le HealthData Hub et l’Agence du Numérique en Santé) de mettre en communs leurs expertises complémentaires au service d’un écosystème composé d’une part, des acteurs publics de la recherche et de la formation, avec notamment les plus grandes institutions en la matière, et, d’autre part, des start-up et des grandes entreprises. L’objectif est de développer le numérique en santé avec un focus sur quatre grands axes stratégiques :
- la donnée, sans laquelle il ne sera pas possible de développer le numérique en santé : l’enjeu est de sécuriser son stockage, son partage, sa production et son exploitation dans le respect des règles éthiques et au service du déploiement du numérique en santé ;
- les compétences : favoriser l’émergence de formations d’excellence autour des métiers du numérique en santé pour créer des viviers d’expertises et de talents, structurer et coordonner une filière sur le plan national ;
- la création de valeur scientifique, économique et industrielle aussi bien au niveau des institutions de recherche que des entreprises sans perdre de vue l’objectif final visant à favoriser l’émergence de champions français ;
- l’accompagnement de l’impact du numérique en santé sur la société en s’assurant que les patients en sont bien le premier bénéficiaire.
Notre écosystème, au cours des deux dernières années, s’est fortement diversifié. Une centaine de start-up ont intégré PariSanté Campus. Notre dynamique est accompagnée et soutenue par quatre grandes entreprises : Doctolib, la MGEN, qui fait partie du groupe d’assurance VYV, les laboratoires Servier et Janssen. On retrouve aussi quatre instituts de recherche et un laboratoire commun entre l’Inserm et INRIA. De nombreuses institutions de santé sont aussi représentées : la CNIL, la CNAM, la HAS, l’ANSM… Au global, ce sont plus de 1600 acteurs de 150 entreprises et organisations qui interagissent au quotidien au sein de PariSanté Campus.
Enfin, le programme PariSanté Campus avait été annoncé par le Président le 4 décembre 2020. Le premier site a été inauguré le 14 décembre 2021, un an seulement après l’annonce du programme. En parallèle, le programme de réhabilitation de l’ancien l’Hôpital d’instruction des armées du Val-de-Grâce, un bâtiment emblématique de l’héritage médical français permettra d’y installer toutes les activités sur une surface 3 fois plus grande et au cœur de Paris.
Alors que le secteur de la santé a lancé sa digitalisation depuis déjà plusieurs années, où en sommes-nous concrètement ?
Le constat est très encourageant. Il y a eu des grandes avancées qui ont été guidées par la volonté d’amener à maturité les grands acteurs du numérique. On peut notamment citer toutes les actions portées par « Ma santé 2022 », avec notamment la mise en place de la délégation du numérique en santé, la création du HealthData Hub et de l’Agence du Numérique en Santé… Cela s’est aussi traduit par des programmes de financement, des programmes stratégiques, de structuration des acteurs du numérique en santé…
Avec la pandémie, il y a aussi eu un effet d’accélération de cette dynamique. S’il n’y a pas eu une relative maturité à ce moment-là, avec notamment des acteurs publics et privés en plein développement sur des sujets comme la télémédecine, nous aurions pu être confrontés à de plus grandes difficultés.
Aujourd’hui, il est nécessaire de poursuivre cette transformation alors que nouveaux enjeux émergent : l’interopérabilité des systèmes, la cybersécurité, les questions d’ordre éthique et relatives à la confiance des patients et des citoyens… Il est nécessaire de soutenir cette croissance et de montrer que le numérique en santé est une solution concrète, efficiente et pertinente pour répondre aux enjeux quotidiens du système de santé, et non pas une finalité visant à accompagner la transformation de notre santé. En effet, les solutions de gestion des services des hôpitaux sont aussi des outils qui permettent de gagner du temps et d’améliorer l’organisation notamment quand il y a un manque de personnel. Quant aux solutions de diagnostic, elles permettent non seulement d’améliorer le diagnostic, mais aussi d’optimiser le partage d’information dans le parcours de soins et de faire gagner du temps au patient, notamment au niveau de sa prise en charge. Tous ces outils, qui permettent d’optimiser l’accès à l’information ou à des professionnels de santé, apportent une solution concrète à des problématiques majeures d’accès aux soins ou à la lutte contre des déserts médicaux. Ces briques indispensables qui ont vocation à couvrir tous les maillons de la chaîne de valeur du système de santé facilitent le travail des professionnels de santé, l’accès et le partage d’informations aux professionnels et aux patients ; simplifient certaines procédures ; fiabilisent des diagnostics ; personnalisent des prises en charge… Au-delà, l’arrivée de l’IA et des algorithmes va rendre ces solutions numériques encore plus efficientes et performantes, toujours au service du système de santé, des professionnels et des patients.
Quels sont les freins qui persistent ? Qu’en est-il des efforts qu’il faut encore fournir ?
Alors qu’il y a toujours plus d’outils et de solutions numériques qui émergent, il est essentiel de les appréhender et de les déployer sans perdre de vue les sujets d’interopérabilité, de sécurité, d’éthique et de confiance. La déclinaison des usages, leur évaluation et la réglementation doivent être en mesure de suivre cette effervescence et ce rythme soutenu d’innovation. L’enjeu est d’intégrer toutes ces innovations au bon endroit afin de capitaliser sur leur potentiel et les réponses qu’elles doivent apporter. Côté laboratoires de recherche, cela doit permettre d’accélérer l’obtention de résultats et, côté entreprise, il s’agit plutôt d’accélérer l’évaluation des outils et leur mise sur le marché.
En parallèle, il persiste un frein réglementaire, alors qu’en France, les processus d’évaluation, de commercialisation, d’accès au marché ou de remboursement restent relativement longs. Il est aussi impératif de faire émerger des modèles économiques stabilisés dans le développement du numérique en santé et de ces nouveaux produits. Il nous faut accompagner les entrepreneurs dans une logique de marché français et européen ce qui nécessite une certaine coordination entre les États membres de l’Union européenne. Cela implique aussi de réfléchir à un cadre de développement attractif pour les entreprises françaises, européennes, mais aussi visant à inciter tous les porteurs de projets à considérer la France comme une alternative pour développer leur innovation.
Quel est l’état d’avancement de ce projet fédérateur ? Quelles sont les prochaines étapes ?
À ma prise de fonction, je m’étais fixé trois grands jalons. Premièrement, faire exister cet écosystème. Aujourd’hui, tout le monde s’accorde pour dire que cela est chose faite. Notre cible initiale était de 14 000 m2. À date, nous avons dépassé 20 000 m2. Sur la première année, nous avons organisé plus de 200 événements. La seconde année, nous en avons eu 230 seulement sur les six premiers mois.
Mon deuxième objectif est de faire grandir cette initiative. Il est évident que PariSanté Campus s’est engagé dans une dynamique de croissance très forte. À terme, à l’Hôpital d’instruction des armées du Val-de-Grâce, nous aurons plus de 70 000 m². Mais l’idée n’est pas seulement de faire grandir PariSanté Campus, mais aussi et surtout de faire grandir ses acteurs : accompagner les laboratoires dans leurs découvertes et le financement de leurs travaux de recherche, booster la croissance des entreprises et les aider à lever des fonds, les aider à lancer leurs nouveaux produits… Si la période est assez complexe sur un plan économique, les résultats sont plutôt satisfaisants. Plusieurs de nos start-up ont levé des fonds, ont été rachetées par des industriels ou ont signé des contrats avec des acteurs du système de santé. Cette réalité apporte, d’ailleurs, du crédit et de la légitimité à l’écosystème de Paris Santé Campus.
Enfin, mon troisième enjeu est de faire rayonner cet écosystème à l’international et de promouvoir sa capacité à créer de la valeur aussi bien pour le monde de la recherche et de l’innovation, qu’en matière d’entrepreneuriat. Nous nous sommes dotés d’une stratégie qui nous permet aujourd’hui d’être plus visibles en Europe, mais aussi en Amérique du Nord, en Asie et Afrique.
Au-delà, nous faisons également le lien avec tous les grands programmes d’innovation dans la santé : France 2030, la feuille de route du numérique en santé qui a été mise en place par la délégation interministérielle du numérique en santé, les PEPR (Programme et Équipement Prioritaire de Recherche) du Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche… Nous évoluons dans un univers très dynamique et intéressant et avons la volonté forte de contribuer à animer cet écosystème qui dépasse les murs de PariSanté Campus et qui s’étend à une échelle nationale.
Quels sont les projets qui vont vous mobiliser en 2024 ?
Nous en avons de très nombreux ! Dans le domaine de la recherche, plusieurs programmes majeurs ont été lancés, avec le PEPR Santé Numérique, piloté par INSERM et INRIA, ou le programme Meditwin, porté par Dassault Systemes et INRIA. Coté entrepreneuriat, nous avons lancé un programme d’accélération de startups avec BPIFrance autour de la prévention en santé. Nous avons évidemment de tres nombreux programmes autour du développement de l’IA, centrale dans notre écosysteme. Le numérique est pour nous un outil de transformation, au service des évolutions de notre système de santé.
En parallèle, nous continuons bien sur à accompagner les grands sujets du numérique en santé : le développement des outils, les entrepôts de données, les algorithmes… toujours au regard des enjeux associés à cette démarche : l’interopérabilité, la sécurité, l’éthique, la confiance et la concertation citoyenne.
Quelles pistes de réflexion pourriez-vous partager avec nos lecteurs ?
Plusieurs réflexions qui me semblent importantes. Tout d’abord, le numérique nous donne accès à une accélération inédite de l’innovation. C’est a la fois passionnant, et nous permet d’envisager la mise a disposition de nouvelles solutions pour la santé et pour nos patients, mais cela met aussi une pression sur les chaines d’innovation, d’evaluation et de reglementation. Cela nécessite d’agréger des compétences complémentaires, et de penser des flux de transformation d’innovation en usgae pour garantir que nos patients en soient in fine beneficiaires. Ensuite, l’apparition du numérique en santé ouvre un domaine en pleine effervescence et extrêmement passionnant, car il a cette capacité inédite à faire interagir des acteurs qui traditionnellement ne travaillaient pas ensemble. Aujourd’hui, les chercheurs, les médecins et les soignants collaborent au quotidien avec les entrepreneurs et les industriels, mais aussi les ingénieurs ou encore les data scientists. Ce domaine a aussi vocation à répondre à des attentes sociétales fortes en matière de système de santé. Il est aujourd’hui évident que le numérique est une partie de la solution à de nombreux enjeux et un vecteur significatif d’amélioration de plusieurs paramètres.
Au-delà, c’est aussi un secteur qui est porteur de nombreuses opportunités notamment pour des entrepreneurs et des chercheurs qui s’intéressent au monde de la santé et à ses problématiques : transition vers un système de prévention, financement, qualité, fiabilité, réglementation…
C’est tout l’enjeu aujourd’hui des écosystemes d’innovation comme PariSanté Campus : Rassembler les acteurs, croiser les compétences, accélerer les synergies, et faciliter le developpement d’innovations pour transformer de facon systemique la santé. Dans cet objectif, nous avons besoin de tous, pour imaginer et créer la santé de demain.