ParisTech* : un grand projet pour la France du XXIe siècle
Une des originalités du système d’enseignement supérieur français est l’existence des grandes écoles d’ingénieurs, fonctionnant en dehors et sur des principes d’organisation différents de l’université. Ancré dans une histoire de plusieurs siècles, qui commença avant même la Révolution, ce système a bien servi notre pays, s’adaptant aux changements de l’environnement scientifique et technique, ou des méthodes pédagogiques, et absorbant plutôt mieux que l’université le choc de 1968.
Et il est vrai que les grandes écoles d’ingénieurs françaises disposent d’atouts considérables :
• forte sélectivité des étudiants qui permet en particulier de rentabiliser les moyens mobilisés en évitant des échecs tardifs et donc coûteux ;
• un projet pédagogique original visant à former des ingénieurs généralistes aptes à assurer rapidement de fortes responsabilités ;
• un suivi pédagogique très développé, rendu possible par la concentration des moyens sur des petits nombres d’élèves, et tournant autour de travaux en équipe, d’exercices de mise en situation, d’études de cas, de stages en entreprise… ;
• un lien très fort avec les secteurs d’emploi des diplômés qui permet en particulier de prendre en compte, dans la formation, les attentes des entreprises et des services.
Les entreprises françaises, en particulier, n’ont qu’à se féliciter de la qualité des cadres que leur fournissent les grandes écoles françaises, qui ont souvent été le fer de lance de leur développement mondial. Mais, dans la concurrence internationale qui se développe entre institutions d’enseignement supérieur, la position de nos écoles apparaît comme plus difficile à défendre sans une évolution significative.
Chacun de leurs diplômés a fait l’expérience de la difficulté d’expliquer à des collègues étrangers que l’École polytechnique n’est pas technique, mais scientifique, que l’on peut sortir de l’École des mines sans avoir connu ce secteur industriel, ou tout simplement que notre diplôme d’ingénieur est plus proche d’un master que de ce qu’ils connaissent sous le nom d’engineering degree.
Malgré les efforts importants faits, notamment par l’École polytechnique, pour s’internationaliser, il faut reconnaître que cette ouverture internationale est encore insuffisante dans beaucoup d’écoles, avec trop peu d’enseignants étrangers, une pratique des langues insuffisante, et encore trop peu de contacts avec d’autres cultures. Nos écoles reçoivent des élèves étrangers, mais attirent peu ceux des pays les plus développés, européens ou américains.
Dans un univers scientifique et technologique qui a évolué très rapidement l’exposition à la recherche est souvent trop limitée, malgré de notables exceptions. Trop peu de doctorants sont issus des cursus d’ingénieurs. Même à l’X, qui abrite d’excellents laboratoires en association avec le CNRS, la synergie enseignement-recherche est perfectible. Mais surtout la culture de l’innovation à partir de la recherche, à la base du développement des entreprises high-tech aux États-Unis par exemple, est encore insuffisamment développée.
Beaucoup de travail a été fait par les écoles pour pallier ces insuffisances. Mais ces efforts se heurtent au handicap de taille qu’ont nos écoles par rapport à leurs concurrents internationaux.
Dans un monde où la puissance d’une « marque » est un facteur important de succès, nos écoles sont trop petites pour être facilement identifiables au niveau international. Aucune de nos écoles ne peut rivaliser, en notoriété globale, avec le MIT ou même Cambridge.
Le classement dit de Shanghai, qui place les écoles et universités françaises très loin sur la liste des meilleures institutions mondiales, est révélateur de cette réalité, même si l’on peut contester la pondération des critères retenus, plus axés sur la recherche que l’enseignement.
C’est à partir de ce constat que s’était constituée il y a une dizaine d’années l’association ParisTech, regroupant maintenant onze grandes écoles d’ingénieurs de Paris, dont l’École polytechnique, soucieuse en particulier de développer avec ce réseau son ouverture et sa visibilité internationale.
* ParisTech regroupe à ce jour l’ENGREF (École nationale du génie rural et des eaux et forêts), l’ENPC (École nationale des ponts et chaussées), l’ENSAM (École nationale supérieure des arts et métiers), l’ENSCP (École nationale supérieure de chimie de Paris), l’ENSMP (École nationale supérieure des mines de Paris), l’ENST (École nationale supérieure des télécommunications), l’ENSTA (École nationale supérieure des techniques avancées), l’ENSPCI (École supérieure de physique et de chimie de la ville de Paris), l’École polytechnique, l’INA P‑G (Institut national agronomique Paris-Grignon) et l’ENSAE (École nationale de la statistique et de l’administration économique).
Depuis, cette conviction partagée d’un avenir nécessairement commun n’a fait que se renforcer, à la lumière des réalisations concrètes menées en commun, des réflexions conduites au sein des écoles membres, des comparaisons avec les universités étrangères. Le développement d’une coopération renforcée au sein de ParisTech est devenu progressivement une impérieuse nécessité, reconnue par les autorités de tutelle des écoles.
Madame Alliot-Marie déclarait ainsi le 15 octobre 2005 à l’amphi Poincaré : « La concurrence est de taille : plus de 10 000 étudiants au MIT, 15 000 à Cambridge, sans oublier l’ETH Zurich ou Stanford. Nous devons mettre en place un projet, international, ouvert et ambitieux. C’est une urgence, c’est l’urgence première. J’attends pour cela que ParisTech entre dans une phase nouvelle… »
Son souhait a été entendu, et, après avoir rédigé en 2004 un « livre blanc » qui constituait un document d’intention, ParisTech a établi en 2005, avec l’aide bénévole du cabinet Mc Kinsey, un plan stratégique, décliné en programmes d’actions à deux et cinq ans.
ParisTech a fait le choix de construire cette coopération renforcée autour :
• d’une politique de marque commune, et d’une promotion collective, notamment à l’international ;
• d’une mutualisation de moyens propres, rendue possible par le regroupement progressif sur trois campus : Paris Quartier latin, Marne-la-Vallée et Palaiseau ;
• de formations d’ingénieur construites sur plusieurs écoles ;
• de mise en place de master interétablissements ;
• de la promotion d’un doctorat labellisé ParisTech, fortement lié au monde de l’entreprise et des services.
La politique de marque se fonde d’abord sur un label reconnaissable (ParisTech), associant Paris, image de qualité et d’excellence, à une connotation technologique revendiquée, à l’instar de grandes références comme le MIT ou Caltech.
ParisTech regroupe aujourd’hui environ 12 500 étudiants et 3 000 enseignants-chercheurs. Il a donc une taille comparable à celle des institutions du même type (Cambridge, MIT), et doit atteindre la même notoriété. La promotion de cette enseigne commune est une tâche collective, qui génère des économies d’échelle et une plus grande efficacité en matière de communication et de recrutement international.
Ce label ParisTech recouvre un large éventail de domaines de spécialisation dans le domaine des sciences et des technologies, allant des mathématiques aux sciences du vivant, en passant par la mécanique ou la chimie. ParisTech, en s’appuyant sur la qualité de ses formations existantes, prévoit d’offrir dans ces différents domaines : des diplômes d’ingénieur en trois ans, des diplômes nationaux de master professionnel ou de recherche en deux ans, des doctorats en trois ans.
Des gains en matière de pédagogie sont à attendre, qu’il s’agisse de modules communs, de langues rares, de spécialités à l’interface entre disciplines, à partir du moment où plusieurs écoles sont situées sur le même campus ou à proximité immédiate.
Le projet « ParisTech Libres Savoirs » a déjà permis en deux ans (2003 – 2005), grâce au travail d’enseignants volontaires et des cellules informatiques des écoles, de mettre à disposition (en français aujourd’hui, également en anglais demain) sur le site Internet « ParisTech Graduate school », outre un descriptif complet des programmes et de presque 2 000 unités d’enseignement de ParisTech, plus de 1 000 supports de cours correspondant à 130 unités d’enseignement, dans tous les domaines scientifiques et techniques couverts par les onze écoles.
Ce site est aujourd’hui consulté plus de 1 000 fois par jour, ce qui en fait, après celui du MIT, l’un des plus connus dans le monde.
Au niveau doctoral, ParisTech a engagé une action de longue haleine, afin de promouvoir cette formation « par la recherche » aux yeux du monde de l’entreprise et des services, mais aussi d’un public d’élèves ingénieurs qui s’en détourne. Le label ParisTech « Docteurs pour l’entreprise » viendra reconnaître, à l’issue d’une thèse délivrée dans le cadre d’écoles doctorales, menées souvent en partenariat avec les universités, une coloration professionnalisante avec des modules de formation spécifiques. Une première session de formation en 2006 a confirmé la pertinence de cet axe de différenciation.
L’un des succès de ParisTech est d’ores et déjà l’action internationale menée en commun, particulièrement en Chine. Cette action a permis d’établir des partenariats avec les meilleures universités chinoises, et de recruter plusieurs centaines de jeunes Chinois venus suivre, avec le soutien d’entreprises françaises, les programmes des différentes écoles. Elle se prolonge par un projet d’établissement en Chine d’un centre de formation auquel participeront les écoles françaises.
En termes de structure et de gouvernance, ParisTech veut être une fédération d’écoles qui gardent leur identité et leur personnalité, mais partagent des objectifs et des programmes communs. Plutôt que celui d’une institution intégrée comme le MIT, le modèle de gouvernance retenu évoque davantage Cambridge, où l’appartenance à une même université n’a pas affecté l’identité et le sentiment d’appartenance aux collèges qui la constituent, et qui continuent à être, dans une certaine mesure, concurrents. Aucun changement n’est ainsi envisagé au mécanisme des concours, où cette concurrence des écoles s’exprime vis-à-vis des élèves français pour la formation de base d’ingénieur.
Pour donner une forme institutionnelle à ParisTech, jusqu’ici constituée en simple association, la décision a été prise d’utiliser les nouvelles possibilités ouvertes par la récente loi sur la recherche. Ainsi est en cours de constitution un « pôle d’enseignement supérieur et de recherche » (PRES), qui aura vocation à créer un « établissement public de coopération scientifique » (EPCS).
Le conseil d’administration réunit les directeurs des écoles membres, et une petite équipe centrale, sous la direction de Gabriel de Nomazy (ancien directeur général de l’X), anime les actions de coopération. Un conseil d’orientation stratégique, que j’ai l’honneur de présider, réunit les présidents des conseils d’administration des écoles membres, des représentants des associations d’anciens élèves et les responsables d’institutions de recherche et d’universités partenaires de ParisTech.
Car l’ambition de ParisTech n’est pas d’accentuer le clivage entre grandes écoles et universités, mais au contraire d’établir des partenariats et des associations avec les universités voisines qui le souhaiteront, ainsi qu’avec les organismes de recherche, et notamment le CNRS, auquel sont rattachés plusieurs des laboratoires des écoles.
En 2006, ParisTech a été admis dans le réseau d’excellence IDEA League, qui regroupe quatre des meilleures universités technologiques européennes (ETH Zurich, Aachen, TU Delft, Imperial College).
Enfin la relation avec les entreprises et le monde économique doit également être développée. Lorsque l’on compare le budget de Cambridge au total des budgets des écoles de ParisTech, on constate que les crédits d’État sont du même ordre de grandeur. Mais pour Cambridge ils ne représentent que la moitié du budget total, contre 80 % pour ParisTech. Il nous faudra développer les autres sources de financement, notamment celles venant des entreprises, qu’il s’agisse de contrats de recherche, de financement de chaires, ou de programme de bourses notamment pour les élèves étrangers.
Comme on le voit, le projet ParisTech porte une grande ambition pour les écoles membres, mais aussi pour notre pays. Pour chacune des écoles il ouvre la possibilité de dépasser les limites de la taille, du statut ou de la spécialisation, en participant à un projet fédérateur qui leur assurera un rayonnement international pérenne.
Pour l’École polytechnique en particulier, c’est une façon de retrouver, dans des circonstances nouvelles, ce qui était déjà dans les années soixante le projet de Michel Debré et de Louis Armand : constituer à Palaiseau un ensemble d’enseignement et de recherche de taille internationale, couvrant les différentes disciplines scientifiques.
Pour notre pays, c’est la constitution d’un pôle universitaire technologique d’excellence, de rang mondial, qui s’appuie sur les forces de nos institutions existantes, et sur l’expérience centenaire de nos écoles, tout en les situant dans le cadre moderne d’un monde globalisé.
Il va sans dire que les obstacles sont encore nombreux sur la route qui a été dessinée, mais le soutien résolu, voire enthousiaste, que le projet a trouvé, aussi bien dans les écoles elles-mêmes, chez leurs anciens élèves, chez les responsables publics ou dans les entreprises, augure bien de sa réussite.