PARROT : De l’échec au succès planétaire du drone
L’aventure de Parrot débute en 1994 avec la commercialisation d’agendas électroniques à commande vocale. Ce n’est pas un succès commercial‚ mais la technologie est recyclée dans le téléphone de voiture pour créer un kit mains libres‚ et Parrot devient rapidement un acteur majeur de ce marché. Henri Seydoux vise rapidement d’autres domaines en concevant des produits communicants destinés au grand public.
En 2010‚ il lance un drone jouet pilotable avec un smartphone, une réussite qui fait aujourd’hui de Parrot l’un des principaux fabricants de drones civils.
Article repris d’un compte rendu de débat de l’École de Paris du management, rédigé par Élisabeth Bourguinat, http://www.ecole.org
J’ai créé Parrot en 1994 avec pour ambition de concevoir un petit objet qui serait le croisement entre un enregistreur numérique (concept qui, à l’époque, n’existait pas) et un agenda, doté d’un système de reconnaissance vocale permettant de prendre des notes et de les classer.
Les capitaux-risqueurs étant toujours à l’affût des nouvelles tendances, Sofinnova a décidé d’investir dans mon projet.
Tout s’est bien passé jusqu’à la mise sur le marché, qui fut un échec. Il est vrai que l’appareil ne fonctionnait pas parfaitement : j’étais surtout un développeur de logiciel, l’électronique n’était pas vraiment ma spécialité.
Fondée en 1994, Parrot conçoit, développe et commercialise des produits sans fil de haute technologie à destination du grand public et des grands comptes. L’entreprise s’appuie sur une expertise technologique commune pour se développer sur trois principaux secteurs :
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Les drones civils avec des quadricoptères de loisirs et des solutions de premier plan destinées aux marchés professionnels.
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L’automobile avec la gamme la plus étendue du marché de systèmes de communication mains libres et d’infotainment pour la voiture.
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Les objets connectés dans les domaines du son et du jardin notamment.
LE KIT MAINS LIBRES
À cette époque, le téléphone cellulaire commençait à se développer. J’ai contacté Ericsson pour leur proposer d’intégrer mon logiciel de reconnaissance vocale à leur téléphone. Ils ont refusé, car cela leur paraissait trop compliqué à programmer.
En 2005, Parrot a commencé à vendre son système mains libres directement aux constructeurs d’automobiles. © HIGHWAYSTARZ / FOTOLIA.COM
En revanche, sachant que la loi suédoise interdirait l’usage du téléphone tenu en main au volant, ils étaient intéressés par une application de mon système destinée à l’environnement automobile.
Je suis parti en vacances avec une pile de numéros de la revue américaine PNAS (Proceedings of the National Academy of Sciences), et je suis tombé sur un article dans lequel un expert expliquait comment l’oreille humaine extrait la parole du bruit.
De retour à Paris, j’ai écrit un nouveau programme et demandé un rendez-vous chez Ericsson. Nous sommes alors partis en voiture tester l’appareil sur l’autoroute, en roulant délibérément sur les bandes rugueuses destinées à attirer l’attention du conducteur par un effet sonore et de vibration quand il s’écarte de sa trajectoire normale.
Or, l’ennemi numéro un de la reconnaissance vocale, c’est le bruit. Par chance, l’expérience a été concluante.
Il était temps, car ma société était au bord de la faillite. J’ai réussi à convaincre les investisseurs de remettre de l’argent au pot.
DE LA CATASTROPHE À LA RÉUSSITE
Arrive enfin le grand jour : le lancement de notre système mains libres Bluetooth au Salon de l’automobile de Francfort. C’était le 11 septembre 2001… Le Salon, désert, a fermé ses portes dès le lendemain. Je me retrouvais avec trente salariés et de la trésorerie pour trois mois.
Paradoxalement, cette catastrophe a été notre chance. Les trois grandes entreprises de télécommunications ont abandonné tout ce qui n’était pas leur cœur de métier, et en particulier le téléphone de voiture.
Quatre mois après le 11 septembre, Parrot a commencé à devenir rentable : nous étions désormais la seule société au monde à produire des kits mains libres Bluetooth.
DES CONTRATS AVEC LES CONSTRUCTEURS D’AUTOMOBILES
En 2005, j’ai voulu franchir une nouvelle étape : vendre notre système mains libres directement aux constructeurs d’automobiles.
LA PROVIDENCE BLUETOOTH
À Télécom Paris, j’ai trouvé un laboratoire qui a accepté de m’aider à développer des systèmes de reconnaissance vocale pour les téléphones de voiture. Mais les appareils des leaders du marché, Nokia, Ericsson et Motorola, n’étaient pas interopérables. Nous ne parvenions pas à mettre au point un système fonctionnant avec les trois marques.
J’ai alors reçu la visite d’un ingénieur de la R&D d’Ericsson : « On vient d’inventer un dispositif qui permet de connecter les téléphones sans fil. Vous pensez que ça pourrait avoir un avenir ? » Il s’agissait du Bluetooth, et c’était exactement ce qui nous manquait.
J’ai essayé pendant trois ans de trouver un constructeur ou un équipementier intéressé. En vain. En revanche, Hitachi cherchait des technologies européennes à développer au Japon sous forme de joint-venture.
Nous avons ouvert un bureau commun et trouvé un premier client : un fabricant japonais d’autoradios qui était intéressé par notre solution Bluetooth.
À la suite de ces premiers succès, presque tous les constructeurs japonais et allemands ont adopté nos produits.
À mon grand regret, je n’ai jamais réussi à convaincre les marques françaises d’en faire autant. Nul n’est prophète en son pays.
UNE ENTRÉE EN BOURSE RÉUSSIE
DYNAMIQUE AMÉRICAINE
Notre deuxième client fut un Américain qui proposait des équipements pour la navigation. Cette expérience m’a permis de mesurer le dynamisme des entreprises américaines : trois semaines après la présentation du produit, le contrat était signé ; six mois plus tard, le produit sortait.
En 2004, je reçois un appel de Sofinnova : « Henri, c’est super, la boîte est rentable, on va la vendre. » Je lui ai répondu qu’il n’en était pas question, mais que j’allais trouver une solution, car je comprenais bien que Sofinnova avait besoin de recueillir le fruit de son investissement.
La bulle Internet venait d’éclater et le contexte n’était pas favorable. J’ai mis plus d’un an à trouver un investisseur qui accepte de reprendre les parts de Sofinnova, à la condition que nous introduisions rapidement la société en Bourse.
L’entrée en Bourse, en 2006, nous a permis de passer de 25 millions d’euros de fonds propres à près de 80 millions. Cela donnait une très grande solidité à l’entreprise.
DES START-UPS INTERNES
Les kits mains libres se vendaient de 15 à 200 dollars pièce. Au plus fort de l’activité, nous en vendions plus de dix millions par an, pour un nombre total de cinquante millions de véhicules produits chaque année. Cela nous laissait de la marge, mais je connaissais la loi de Moore et je savais que ce qui se vendait 20 dollars à une date donnée n’en vaudrait plus que 10 quelque temps plus tard, puis 2, etc. Il était donc urgent de réfléchir à de nouveaux produits.
Considérant que le point de départ de toute l’activité de Parrot était le téléphone et que ce secteur était extrêmement dynamique, j’ai décidé de chercher à innover dans trois des grandes fonctions du téléphone : la photo, la musique et le jeu vidéo.
LES CAPITAUX-RISQUEURS
L’entrée en Bourse m’a délivré des capitaux-risqueurs, qui sont très précieux au démarrage mais également très invasifs. Ils peuvent intervenir sur tout, y compris des sujets qu’ils ne maîtrisent pas, et veulent que vous alliez toujours plus vite, quitte à vous mettre en danger.
Une fois en Bourse, il suffit d’expliquer à vos actionnaires ce que vous voulez faire, et à condition que l’explication et son application tiennent la route, ils sont libres de vous croire, d’acheter, de vendre, et tout se passe bien.
À l’époque, l’iPhone n’existait pas : on en était encore au stade des téléphones Nokia. Quand j’ai annoncé ce projet aux membres de mon conseil d’administration, ils m’ont regardé avec des yeux ronds. Mais en tant que principal actionnaire, je suis aussi le principal concerné par les risques que je décide de prendre. C’est le secret de ma liberté.
Pour explorer ces trois pistes, j’ai créé trois start-ups internes. J’ai installé ces trois équipes de 3 ou 4 ingénieurs dans un coin du bureau et leur ai donné pour mission de créer de nouveaux produits, avec deux grandes interdictions : pas de spécifications, pas d’études de marché.
Ces principes sont clés pour l’innovation : on se contente d’une road map d’une page, à partir de laquelle on « bidouille » des bouts de logiciels collés les uns aux autres, puis on fait des essais et on regarde si ça marche.
En général, cela ne fonctionne pas et on doit recommencer. Petit à petit, on accumule du savoir et, parfois, ça finit par marcher. Bien sûr, il y a beaucoup d’échecs. La moitié des start-ups que j’ai créées dans l’entreprise ont dû être fermées.
UN SUCCÈS PLANÉTAIRE : LE DRONE CIVIL
Le projet de drone jouet piloté par un smartphone nous a demandé cinq ans de travail. Dans l’entreprise, beaucoup étaient contre. À l’époque, Parrot employait environ cinq cents développeurs, dont la moitié étaient très jeunes. Ils s’occupaient de traitement de signal et d’autres technologies de ce type, et ne comprenaient pas pourquoi leurs aînés s’acharnaient sur un projet de drone qui ne fonctionnait pas.
PARROT À LAS VEGAS
Au Consumer Electronics Show de 2010 à LAS VEGAS, notre appareil voletait à l’intérieur d’une cage et sa principale performance consistait à se maintenir en l’air sur un point fixe.
Le succès fut colossal : le drone a été l’attraction principale du salon et a fait l’objet de près de trois cents reportages télévisés dans le monde, sur CNN, CBS, Sky News, ZDF, BBC, TF1, etc.
Le business model n’était pas très convaincant non plus. Bien que nous ayons utilisé autant que possible la « banque d’organes » des téléphones, le prix de vente prévu atteignait 300 euros.
Sony et de Nintendo, à qui je montrais nos prototypes, étaient plus que dubitatifs.
Nous avons malgré tout poursuivi le projet jusqu’au bout et, en janvier 2010, nous avons présenté notre premier drone à Las Vegas. Ce fut un succès colossal.
Nous n’avions pas la moindre idée du potentiel réel et en six mois, nous avons vendu cent vingt mille drones.
J’ai décidé d’accélérer le développement de cette activité et de l’élargir aux applications professionnelles en rachetant des entreprises spécialisées dans les drones, notamment deux start-ups émanant de l’École polytechnique fédérale de Lausanne : senseFly et Pix4D.
Aujourd’hui, notre chiffre d’affaires s’élève à près de 330 millions d’euros, dont près de 200 dans les drones et 130 dans l’automobile. L’automobile est en décroissance car les téléphones de voiture se sont « commoditisés », alors que les drones sont en plein développement.
J’ai pu procéder à une levée de fonds l’an dernier et, en six semaines, nous avons réuni 300 millions d’euros.
CRÉER UNE ENTREPRISE INDUSTRIELLE EN FRANCE EST POSSIBLE
En six mois, Parrot a vendu cent vingt mille drones.
Je tire trois grandes leçons de cette expérience. La première est qu’il est parfaitement possible de créer une entreprise industrielle en France, et que c’est même plus facile que jamais. Il existe désormais des investisseurs pour toutes les phases de développement d’une start-up.
Que vous ayez besoin de 2 millions d’euros, de 5 millions, de 18 ou de 25, vous pouvez les trouver. L’entrée en Bourse est également beaucoup plus facile qu’il y a vingt ans.
C’EST UN MÉTIER DE SALTIMBANQUE
La deuxième leçon est que dans la haute technologie, il y a des cycles et on ne peut pas espérer vendre le même produit pendant des années. Quand je me suis lancé dans les téléphones de voiture, Nokia était le numéro un mondial du téléphone et représentait la première capitalisation européenne. Aujourd’hui, cette entreprise a disparu.
Même Apple était au bord de la faillite avant que Steve Jobs ne revienne, et personne ne peut dire aujourd’hui où cette entreprise en sera dans dix ans.
C’est un métier de saltimbanque : vous pouvez avoir beaucoup de succès à un moment donné, et devoir tout recommencer à un autre.
ATTEINDRE DIRECTEMENT LE CLIENT
La troisième leçon est que l’industrie du logiciel est fondamentalement orientée vers le B to C. Les clients industriels et les grands comptes sont volages. C’est seulement avec des produits destinés au grand public que l’on peut réellement faire du business, et plusieurs grands facteurs y contribuent aujourd’hui.
L’USINE DU MONDE ÉLECTRONIQUE EST À SHENZHEN
Il est désormais très facile de fabriquer des produits industriels en grands volumes : que vous ayez besoin de fabriquer cinq mille, cinquante mille ou cinq cent mille produits, vous êtes assuré de trouver votre bonheur dans la région de Shenzhen, qui fabrique environ 25 % de toute l’électronique mondiale.
Avant, pour vendre un produit grand public, il fallait faire de la publicité sur TF1 ou d’autres grands médias. Désormais, on peut passer par YouTube et Google. Enfin, la distribution est également devenue beaucoup plus accessible.
Auparavant, c’était la chasse gardée des grands groupes d’électronique comme Sony ou Philips. Désormais, on trouve à la Fnac et dans les autres grandes enseignes de nombreux produits fabriqués par des start-ups : ce sont ceux qui se vendent le mieux et sur lesquels la distribution fait le plus de marge.
Sans compter que l’on peut aussi vendre ses produits sur Internet.
Commentaire
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Bonjour,
Bonjour,
Article particulièrement intéressant. Mais il y a un « trou » frustrant dans votre narration : comment êtes-vous arrivé à l’idée des drones ? Est-ce issu de votre structure dédiée à l’innovation (les 3 start-ups internes) et cette structure existe-t-elle toujours ?
cordialement