Partager et organiser l’information
Pourquoi avoir créé XWiki ?
Pour trois grandes raisons : le besoin de créer, le logiciel libre, le partage de connaissances. À chaque nouvelle aventure j’ai rejoint une entreprise plus jeune.
D’abord Netscape qui se déployait en France, puis NetValue une société de mesure d’audience des sites Internet, puis la création d’entreprises. J’ai découvert le logiciel libre chez Netscape (qui a lancé Mozilla). J’ai été attiré car j’ai senti que quelque chose changeait et avec XWiki j’ai vu l’occasion d’y participer.
Le partage de connaissances est l’essence de notre logiciel et de notre mode de travail communautaire. XWiki apporte aux entreprises le moyen d’être collectivement plus intelligentes.
Cela rejoint aussi l’idée d’une entreprise « collaborative » que nous nous appliquons à nous-mêmes. Je conçois l’entreprise comme un projet d’équipe où tout le monde s’implique et peut avoir son mot à dire. Chez XWiki, nous faisons participer les employés aux décisions de l’entreprise.
Qu’est-ce qui va changer dans l’univers des systèmes de partage de l’information ?
Beaucoup de choses changent et ces changements sont déjà en cours, mais cela prend du temps, car les habitudes des utilisateurs sont longues à changer.
“ Il y a un manque criant de standards permettant de faire fonctionner les différents systèmes entre eux ”
Du côté fonctionnel, le changement le plus fort est le fait d’impliquer plus les utilisateurs à tous les niveaux. D’un côté pour la contribution de contenu, avec des blogs ou des wikis, mais aussi dans l’adaptation de leur système d’information et des outils qu’ils utilisent.
Cela change en même temps que l’entreprise évolue au niveau organisationnel. Les équipes collaborent plus entre elles. Celles-ci ont besoin de plus d’agilité et d’adaptation des outils.
Et qu’est-ce qui ne changera pas ?
La difficulté, pour les entreprises, de choisir les solutions de partage d’information répondant à leurs attentes. Les entreprises ont l’embarras du choix et il y a un manque criant d’ouverture et de standards permettant de faire fonctionner les différents systèmes entre eux.
Et pourtant, il y a des différences importantes entre les approches, en particulier sur les libertés associées à ces solutions.
Tu crées ta société moins de dix ans après la fin de tes études. Ce délai de maturation est-il nécessaire ?
Pour moi en tout cas oui. Cela m’a permis d’acquérir des compétences et des connaissances que je n’avais pas. Voir une entreprise se créer (NetValue) et pouvoir participer à certaines des décisions et comprendre les enjeux, cela a été très important.
Par exemple en tant que directeur technique, j’ai été le contact des équipes marketing et ventes et cela m’a permis de comprendre comment elles fonctionnaient. Cela a été très important pour mieux gérer XWiki.
Quelles sont les qualités essentielles pour développer une entreprise ?
L’humain d’abord et c’est probablement le plus difficile. C’est d’autant plus important, si l’on conçoit l’entreprise comme un projet d’équipe. Il faut donner envie à d’autres personnes de t’accompagner dans ton projet.
Par exemple, en 2008, j’ai proposé à plusieurs employés de la société de devenir associés par le biais d’une augmentation de capital. Il s’agit également de transmettre au quotidien une vision à partager. Après, il faut maîtriser tous les aspects importants ou bien être capable de s’entourer de personnes qui les maîtrisent.
Pour finir, il faut savoir faire des choix et les accepter, y compris s’ils s’avèrent finalement mauvais.
Qu’est-ce qui change dans la vie d’un entrepreneur entre le premier jour et la dixième année de son entreprise ?
Clairement on ne fait plus le même métier. Entre l’entrepreneur seul sur son canapé que j’ai été il y a maintenant dix ans et le directeur de PME que je suis aujourd’hui c’est très différent. On fait moins de choses soi-même pour en faire faire plus à d’autres. On fait moins d’opérationnel pour gérer des problématiques financières, de ressources humaines ou de motivation.
Personnellement, j’essaie de garder un pied dans l’opérationnel car je reste un ingénieur et parce qu’il est important de rester en contact avec le terrain.
Pourquoi es-tu un farouche défenseur du logiciel libre ?
Si les apports du logiciel et d’Internet sont indéniables, ils ont des effets en termes de concentration de richesse. Aujourd’hui Software is eating the world et les sociétés technologiques concentrent les richesses au-delà du secteur des TIC. Je ne vois pas cette tendance s’arrêter si facilement. Pour moi, le logiciel libre permet de s’affranchir de ces problèmes de concentration en permettant une réelle concurrence.
“ Maintenant le libre est partout, y compris dans les logiciels propriétaires ”
De plus, en ouvrant la technologie au maximum, les bénéfices pour la société sont plus importants. Si autant d’argent était mis sur des logiciels libres que sur les logiciels propriétaires, le numérique pourrait bénéficier à beaucoup plus, et cela sans « offrir » nos données personnelles aux géants du Net contre les services gratuits.
Économiquement le libre est un modèle qui fonctionne et qui dégage des externalités positives. Nos clients financent les prestations qui les concernent directement (paramétrage, développement de modules complémentaires, maintenance corrective…). Nous participons également à des projets de recherche financés par l’Agence nationale pour la recherche et l’Union européenne.
Si on peut réussir économiquement tout en apportant plus à la société, pourquoi s’en priver ? Nous n’avons encore rien vu des effets de la technologie sur l’économie et la société. Le libre et l’économie collaborative vont avoir un rôle à jouer grandissant.
Tu t’es violemment opposé à l’AFDEL (Association française des éditeurs de logiciels et solutions Internet) en 2008, cette rivalité entre univers du libre et éditeurs de logiciels est-elle encore d’actualité ?
Cela s’est beaucoup calmé. La raison principale est que du côté des acteurs propriétaires, il devient difficile d’être « anti-logiciel libre » pour le simple fait que maintenant le libre est partout, y compris dans les logiciels propriétaires.
Beaucoup d’acteurs se développent maintenant sur le Cloud et sont massivement utilisateurs de technologies libres.
Tout le monde a le mot « numérique » au bord des lèvres. N’en fait-on pas un peu trop ?
On en fait sûrement beaucoup. En même temps, les transformations numériques peuvent être massives et rapides, et les acteurs qui ne suivent pas peuvent être marginalisés. Après, on en fait sûrement trop sur les bénéfices effectifs de la numérisation pour tous les secteurs.
Il ne faut pas faire de la technologie pour faire de la technologie mais pour des bénéfices réels.
Quel regard portes-tu sur les problématiques de données privées ?
D’un côté, on obtient des services gratuits ou moins chers grâce au fait que les données sont exploitées par ailleurs. Mais sommes-nous réellement conscients de ce qui est fait avec nos données ? Clairement pas.
Pour moi, la réponse est dans le contrôle et la transparence avec des standards nous permettant d’exploiter nos propres données et dans l’information du public afin de pouvoir faire des choix plus avisés.
En tout cas, les communautés du libre sont actives pour offrir des solutions alternatives respectueuses de la vie privée. C’est un travail de longue haleine.