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Dossier : TrajectoiresMagazine N°706 Juin/Juillet 2015
Par Ludovic DUBOST (90)
Par Hervé KABLA (X84)

Pourquoi avoir créé XWiki ?

Pour trois grandes rai­sons : le besoin de créer, le logi­ciel libre, le par­tage de connais­sances. À chaque nou­velle aven­ture j’ai rejoint une entre­prise plus jeune. 

D’abord Nets­cape qui se déployait en France, puis Net­Va­lue une socié­té de mesure d’audience des sites Inter­net, puis la créa­tion d’entreprises. J’ai décou­vert le logi­ciel libre chez Nets­cape (qui a lan­cé Mozilla). J’ai été atti­ré car j’ai sen­ti que quelque chose chan­geait et avec XWi­ki j’ai vu l’occasion d’y participer. 

Le par­tage de connais­sances est l’essence de notre logi­ciel et de notre mode de tra­vail com­mu­nau­taire. XWi­ki apporte aux entre­prises le moyen d’être col­lec­ti­ve­ment plus intelligentes. 

Cela rejoint aus­si l’idée d’une entre­prise « col­la­bo­ra­tive » que nous nous appli­quons à nous-mêmes. Je conçois l’entreprise comme un pro­jet d’équipe où tout le monde s’implique et peut avoir son mot à dire. Chez XWi­ki, nous fai­sons par­ti­ci­per les employés aux déci­sions de l’entreprise.

Qu’est-ce qui va changer dans l’univers des systèmes de partage de l’information ?

Beau­coup de choses changent et ces chan­ge­ments sont déjà en cours, mais cela prend du temps, car les habi­tudes des uti­li­sa­teurs sont longues à changer. 

“ Il y a un manque criant de standards permettant de faire fonctionner les différents systèmes entre eux ”

Du côté fonc­tion­nel, le chan­ge­ment le plus fort est le fait d’impliquer plus les uti­li­sa­teurs à tous les niveaux. D’un côté pour la contri­bu­tion de conte­nu, avec des blogs ou des wikis, mais aus­si dans l’adaptation de leur sys­tème d’information et des outils qu’ils utilisent. 

Cela change en même temps que l’entreprise évo­lue au niveau orga­ni­sa­tion­nel. Les équipes col­la­borent plus entre elles. Celles-ci ont besoin de plus d’agilité et d’adaptation des outils. 

Et qu’est-ce qui ne changera pas ?

La dif­fi­cul­té, pour les entre­prises, de choi­sir les solu­tions de par­tage d’information répon­dant à leurs attentes. Les entre­prises ont l’embarras du choix et il y a un manque criant d’ouverture et de stan­dards per­met­tant de faire fonc­tion­ner les dif­fé­rents sys­tèmes entre eux. 

Et pour­tant, il y a des dif­fé­rences impor­tantes entre les approches, en par­ti­cu­lier sur les liber­tés asso­ciées à ces solutions. 

Tu crées ta société moins de dix ans après la fin de tes études. Ce délai de maturation est-il nécessaire ?

Pour moi en tout cas oui. Cela m’a per­mis d’acquérir des com­pé­tences et des connais­sances que je n’avais pas. Voir une entre­prise se créer (Net­Va­lue) et pou­voir par­ti­ci­per à cer­taines des déci­sions et com­prendre les enjeux, cela a été très important. 

Par exemple en tant que direc­teur tech­nique, j’ai été le contact des équipes mar­ke­ting et ventes et cela m’a per­mis de com­prendre com­ment elles fonc­tion­naient. Cela a été très impor­tant pour mieux gérer XWiki. 

Quelles sont les qualités essentielles pour développer une entreprise ?

L’humain d’abord et c’est pro­ba­ble­ment le plus dif­fi­cile. C’est d’autant plus impor­tant, si l’on conçoit l’entreprise comme un pro­jet d’équipe. Il faut don­ner envie à d’autres per­sonnes de t’accompagner dans ton projet. 

Par exemple, en 2008, j’ai pro­po­sé à plu­sieurs employés de la socié­té de deve­nir asso­ciés par le biais d’une aug­men­ta­tion de capi­tal. Il s’agit éga­le­ment de trans­mettre au quo­ti­dien une vision à par­ta­ger. Après, il faut maî­tri­ser tous les aspects impor­tants ou bien être capable de s’entourer de per­sonnes qui les maîtrisent. 

Pour finir, il faut savoir faire des choix et les accep­ter, y com­pris s’ils s’avèrent fina­le­ment mauvais. 

Qu’est-ce qui change dans la vie d’un entrepreneur entre le premier jour et la dixième année de son entreprise ?

Clai­re­ment on ne fait plus le même métier. Entre l’entrepreneur seul sur son cana­pé que j’ai été il y a main­te­nant dix ans et le direc­teur de PME que je suis aujourd’hui c’est très dif­fé­rent. On fait moins de choses soi-même pour en faire faire plus à d’autres. On fait moins d’opérationnel pour gérer des pro­blé­ma­tiques finan­cières, de res­sources humaines ou de motivation. 

Per­son­nel­le­ment, j’essaie de gar­der un pied dans l’opérationnel car je reste un ingé­nieur et parce qu’il est impor­tant de res­ter en contact avec le terrain. 

Pourquoi es-tu un farouche défenseur du logiciel libre ?

Si les apports du logi­ciel et d’Internet sont indé­niables, ils ont des effets en termes de concen­tra­tion de richesse. Aujourd’hui Soft­ware is eating the world et les socié­tés tech­no­lo­giques concentrent les richesses au-delà du sec­teur des TIC. Je ne vois pas cette ten­dance s’arrêter si faci­le­ment. Pour moi, le logi­ciel libre per­met de s’affranchir de ces pro­blèmes de concen­tra­tion en per­met­tant une réelle concurrence. 

“ Maintenant le libre est partout, y compris dans les logiciels propriétaires ”

De plus, en ouvrant la tech­no­lo­gie au maxi­mum, les béné­fices pour la socié­té sont plus impor­tants. Si autant d’argent était mis sur des logi­ciels libres que sur les logi­ciels pro­prié­taires, le numé­rique pour­rait béné­fi­cier à beau­coup plus, et cela sans « offrir » nos don­nées per­son­nelles aux géants du Net contre les ser­vices gratuits. 

Éco­no­mi­que­ment le libre est un modèle qui fonc­tionne et qui dégage des exter­na­li­tés posi­tives. Nos clients financent les pres­ta­tions qui les concernent direc­te­ment (para­mé­trage, déve­lop­pe­ment de modules com­plé­men­taires, main­te­nance cor­rec­tive…). Nous par­ti­ci­pons éga­le­ment à des pro­jets de recherche finan­cés par l’Agence natio­nale pour la recherche et l’Union européenne. 

Si on peut réus­sir éco­no­mi­que­ment tout en appor­tant plus à la socié­té, pour­quoi s’en pri­ver ? Nous n’avons encore rien vu des effets de la tech­no­lo­gie sur l’économie et la socié­té. Le libre et l’économie col­la­bo­ra­tive vont avoir un rôle à jouer grandissant. 

Tu t’es violemment opposé à l’AFDEL (Association française des éditeurs de logiciels et solutions Internet) en 2008, cette rivalité entre univers du libre et éditeurs de logiciels est-elle encore d’actualité ?

Cela s’est beau­coup cal­mé. La rai­son prin­ci­pale est que du côté des acteurs pro­prié­taires, il devient dif­fi­cile d’être « anti-logi­ciel libre » pour le simple fait que main­te­nant le libre est par­tout, y com­pris dans les logi­ciels propriétaires. 

Beau­coup d’acteurs se déve­loppent main­te­nant sur le Cloud et sont mas­si­ve­ment uti­li­sa­teurs de tech­no­lo­gies libres. 

Tout le monde a le mot « numérique » au bord des lèvres. N’en fait-on pas un peu trop ?

On en fait sûre­ment beau­coup. En même temps, les trans­for­ma­tions numé­riques peuvent être mas­sives et rapides, et les acteurs qui ne suivent pas peuvent être mar­gi­na­li­sés. Après, on en fait sûre­ment trop sur les béné­fices effec­tifs de la numé­ri­sa­tion pour tous les secteurs. 

Il ne faut pas faire de la tech­no­lo­gie pour faire de la tech­no­lo­gie mais pour des béné­fices réels. 

Quel regard portes-tu sur les problématiques de données privées ?

D’un côté, on obtient des ser­vices gra­tuits ou moins chers grâce au fait que les don­nées sont exploi­tées par ailleurs. Mais sommes-nous réel­le­ment conscients de ce qui est fait avec nos don­nées ? Clai­re­ment pas. 

Pour moi, la réponse est dans le contrôle et la trans­pa­rence avec des stan­dards nous per­met­tant d’exploiter nos propres don­nées et dans l’information du public afin de pou­voir faire des choix plus avisés. 

En tout cas, les com­mu­nau­tés du libre sont actives pour offrir des solu­tions alter­na­tives res­pec­tueuses de la vie pri­vée. C’est un tra­vail de longue haleine. 


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