Partir en mer pour sauver la terre
Le témoignage d’un camarade sur les énergies marines renouvelables. Il ne peut prétendre à un parcours prédestiné car rien n’existait à sa sortie de l’École. Après une expérience dans l’éolien terrestre, il passe à l’éolien en mer où il faut encore plus un travail d’équipe et des passionnés de la mer pour créer la filière industrielle voulue par les autorités.
Parmi tous les bruits, s’il en est un de particulièrement intrusif, c’est celui du moteur sur un bateau à voiles. J’ai longtemps « subi » cette pollution sonore. Quoi de plus naturel que de vouloir couper le moteur ?
Le glissement de l’eau contre la coque, l’écoulement de l’air dans le profil des voiles. S’appuyer sur les éléments pour avancer, sans les contrarier.
REPÈRES
Le domaine des énergies marines renouvelables n’existait pas, ou peu, lorsque l’auteur sort de l’X, à l’exception de l’usine marémotrice de la Rance. Difficile donc de prétendre à un parcours prédestiné.
Ce sont deux concours de circonstances qui l’ont conduit à utiliser bien des outils enseignés à l’École, mais dans un contexte peu anticipé à l’époque.
S’appuyer sur les éléments
L’émergence des énergies renouvelables ne m’est pas apparue un jour, comme une évidence, en coupant le moteur sur un bateau, mais plus récemment, en montant dans un des cinq premiers taxis parisiens fonctionnant à l’hydrogène.
Énergies renouvelables plus solutions de stockage plus écomobilité. Cette transition vers une économie « décarbonée » était donc possible.
L’éolien, monde de pionniers
La première occasion se présente en 2002 : les mots « énergies » et « renouvelables » ne sont pas encore associés dans mon esprit d’ingénieur cherchant à révolutionner la maintenance des turbines à gaz par les technologies de l’information, tandis que mon esprit de manager reste fasciné par un portefeuille de contrats de services à long terme.
Éoliennes en mer Adwen, de puissance unitaire 5 MW.
Ma nomination dans une équipe d’intégration pour une toute nouvelle activité, une opération de croissance « externe », me fait basculer dans le monde de l’éolien. Du vent pour produire de l’électricité, quelle idée.
Me voilà partageant mon temps entre la Californie et l’Allemagne, pour comprendre qu’un profil de pale améliore sensiblement l’efficacité d’une éolienne, qu’une éolienne est avant tout un système « vibratoire », qu’on ne peut pas « programmer » une campagne de mesures, qu’il faut consulter la météo auparavant.
J’ai gardé une profonde sympathie pour cette génération de pionniers que j’ai eu la chance de côtoyer, certains affichant dès 2002 plus de dix années d’expérience dans l’éolien. Comment les présenter ? Plus passionnés que comptables, plus expérimentateurs que théoriques, plus entrepreneurs qu’organisateurs, plus engagés que consensuels, plus drôles que politiquement corrects.
Toutes ces dimensions n’ont rendu que plus ambitieuse la tâche d’intégration dans un groupe comme General Electric. Le fait est qu’elles ont transformé mon regard, tant sur l’innovation et la création de valeur que sur les relations humaines et le management, à la frontière entre petites et grandes organisations.
Des volumes multipliés par 10 en cinq ans
Entre 2002 et 2008, de fortes subventions tarifaires pour les énergies renouvelables, principalement en Allemagne et en Espagne pour l’Europe, combinées au prix élevé du gaz aux États-Unis, permettent un formidable développement de l’éolien terrestre.
Navire d’installation, « Jack up barge » ou barge autoélévatrice.
Multiplier par dix, en moins de cinq ans, les volumes annuels de production et d’installations reste une belle aventure industrielle, cette croissance n’étant bien sûr ni progressive ni linéaire. Il faut gérer l’augmentation de la quantité, sans compromettre la qualité. Quand on lance un train à grande vitesse, il est toujours utile de garder en tête la distance nécessaire pour l’arrêter.
Avec une production annuelle de 4 000 éoliennes, si la défaillance d’un nouveau composant est détectée par exemple en trois mois, il faudra intervenir sur 1 000 éoliennes produites, stockées, expédiées, voire déjà montées sur site. Rien d’étonnant comparé aux cadences de l’industrie automobile, mais il est plus facile de rappeler un véhicule qu’une éolienne pour une mise en conformité.
Anticipation des besoins d’approvisionnement pour les acheteurs, discipline contractuelle pour les commerciaux, gestion rigoureuse de la logistique pour les chefs de projets : trois clés de la réussite dans cette période de croissance euphorique.
Jusqu’au sinistre jour de 2008 où la bulle financière a explosé, emportant dans sa tourmente toutes les facilités de crédit et de financement de nos clients.
De l’éoloien terrestre à l’éolien en mer
Le virus des énergies renouvelables me rattrape quelques années plus tard, en 2011, avec l’insertion du terme « marines » au sein de la locution « énergies marines renouvelables ».
Un premier appel d’offres pour le développement de l’éolien en mer est lancé, cinq zones sont proposées, quatre sont attribuées en 2012. Deux ans plus tard, deux autres zones sont attribuées dans un deuxième appel d’offres.
Mon expérience dans l’éolien terrestre est jugée comme « potentiellement utile » pour piloter une équipe multifonctionnelle en France et répondre, en tant que turbinier, à ces appels d’offres.
Alors que l’éolienne représente 70 % de l’investissement initial pour une ferme terrestre, un turbinier apprend vite à remettre les choses en perspective pour l’éolien en mer. Sa fourniture ne représente plus que 40 % de l’investissement initial et ses compétences doivent être complétées par d’autres, tout aussi importantes pour la réussite d’un projet : fabrication des fondations, des câbles et de la sous-station électrique ; chantier en mer pour la pose des fondations, des câbles sous-marins, de la sous-station, le montage des éoliennes, etc.
Une écoute réciproque est nécessaire pour comprendre les contraintes de chaque métier, évaluer les risques, notamment aux interfaces, et optimiser les opérations en mer.
Un travail d’équipe
Il n’est de succès dans les énergies marines renouvelables que collectif. Le travail d’équipe entre partenaires est nécessaire à tous les stades d’un projet. Il se révèle déterminant dans les phases de construction et d’exploitation.
LES SPÉCIFICITÉS DE L’ÉOLIEN EN MER
Au terme de quatre années d’apprentissage, l’éolien en mer m’apparaît toujours plus « maritime ». La sûreté des opérations en mer prime avant tout, qu’il s’agisse de lever à 100 mètres au-dessus de l’eau des éléments de 450 tonnes, ou de transférer des techniciens d’un bateau sur une éolienne par des creux (de vagues) de deux mètres.
La fiabilité de la technologie est essentielle, justifiant parfois jusqu’au choix d’une certaine forme de redondance, en raison de l’accessibilité restreinte par mauvaises conditions de mer.
Le coût des moyens logistiques influence toutes les décisions, de la localisation des usines à la gestion de projets pour la phase d’installation, sans oublier les méthodes de réparation. Les volumes de production sont dix à vingt fois inférieurs à ceux du terrestre, et le resteront.
La chance de notre équipe en France est d’avoir pu se former au contact d’une expérience réelle de plus de dix ans en Allemagne : expérience de conception, fabrication et installation d’éoliennes en mer, éoliennes conçues pour les conditions de mer et non pas éoliennes terrestres poussées en mer.
Deux contrats signés en 2009 et 2010, respectivement pour la fourniture de 80 et 40 éoliennes de 5 mégawatts, ont permis à Adwen Offshore – coentreprise créée entre Areva et Gamesa – de franchir les étapes de fabrication, d’installation puis de démarrage d’un total de 600 mégawatts, soit plus que la capacité de chacun des champs qui seront construits en France.
Une filière en devenir
La création d’une filière industrielle complète en France, volonté exprimée dans le cahier des charges des deux appels d’offres, a permis l’identification d’un grand nombre de sociétés françaises, sur l’ensemble de la chaîne de valeur de l’éolien en mer.
Cent vingt représentants de ces sociétés sont venus constater directement notre longueur d’avance en Allemagne. Quelques sociétés, dont des PME, ont depuis réussi à se positionner dans ce marché prometteur.
De solides initiatives, régionales et nationales, les soutiennent. Windustry, pour n’en citer qu’une, est pilotée par le Syndicat des énergies renouvelables (SER).
Le SER, le Cluster maritime français (CMF) et le Groupement des industries de construction et activités navales (GICAN) jouent un rôle clé pour le développement des énergies marines renouvelables. Situés à la frontière des mondes maritime, industriel et technologique, nos projets dépassent souvent le périmètre des entreprises partenaires.
L’innovation naît des échanges, de la mise en réseau, et le savoir-faire a besoin du faire-savoir.
Des coûts en baisse
La réduction des coûts de l’éolien en mer illustre cette dynamique. Examinée sous toutes ses coutures grâce au travail de sociétés réunies au sein du pôle offshore du SER, elle se mesure, semestre après semestre, dans les statistiques européennes de projets réalisés.
Navire à positionnement dynamique dans un parc éolien de 400 MW.
Près de 3 000 mégawatts ont été raccordés en 2015, soit deux fois plus qu’en 2013 et trois fois plus qu’en 2011. La baisse des coûts est générée principalement par l’industrialisation des opérations en mer et l’augmentation de la puissance unitaire des éoliennes, c’est-à-dire par la réduction des coûts d’infrastructure.
La logistique portuaire permettant de s’affranchir des contraintes terrestres, les éoliennes en mer affichent désormais des puissances unitaires de 7 et 8 MW, deux fois supérieures aux éoliennes terrestres.
Météo marine
Longtemps, je n’ai consulté la Météo marine que pour la régate ou la croisière. J’ai développé une profonde estime pour les professionnels de la mer, ceux qui partent sans avoir souvent le choix des conditions de mer. Leur respect pour le milieu marin, leur grande humilité doivent nous inspirer à l’heure de partir en mer pour y exploiter un potentiel énergétique immense, propre et renouvelable.
Pour ne citer que trois technologies, en ordre décroissant de maturité :
- l’éolien posé est deux fois plus efficace en mer qu’à terre, dans nos régions, en raison de vents plus réguliers et plus forts ;
- la pointe du Cotentin, avec ses puissants courants marins, sera à l’énergie hydrolienne ce que le Koweït est au pétrole ;
- l’éolien flottant ouvre un nouveau gisement énergétique au large des côtes où les fonds descendent rapidement, comme celles de la Méditerranée en France ou du Pacifique au Japon et aux États-Unis.
Alors, que vous aimiez la modélisation aérodynamique, l’électronique de puissance, les calculs de structure, les machines tournantes ou tout simplement les opérations en mer, si vous souhaitez rejoindre une activité passionnante, branchez- vous sur la fréquence de la Météo marine.