Pas d’ITER sans numérique
Le démonstrateur ITER, devant réaliser la production d’électricité à partir de la fusion d’atomes, est en cours de construction à Cadarache. Il ne saurait voir le jour sans les techniques numériques les plus performantes actuellement disponibles. Et non seulement pour les calculs scientifiques, mais pour les opérations a priori plus classiques de construction, de métrologie, de robotique ou d’approvisionnement.
L’attrait de la technologie ITER est considérable dans la mesure où la matière première (l’eau et le lithium) nécessaire à la production du combustible pour une production apte à répondre aux besoins d’une population mondiale de quelque 10 milliards de consommateurs est largement répartie sur la planète et en quantité suffisante pour a minima quelques dizaines de millions d’années.
L’atteinte de cet objectif de démonstration constituerait donc une rupture majeure dans la problématique de l’approvisionnement énergétique mondial.
La maîtrise de la fusion de l’hydrogène est désormais solidement établie suite aux travaux menés dans de nombreux laboratoires depuis le début des années 1960, après la mise en évidence des réactions thermonucléaires à l’œuvre au cœur du soleil et des étoiles dans les années 1920–1930.
REPÈRES
L’Accord ITER réunit sept grands partenaires et a été signé en novembre 2006 à Paris pour une durée minimale de 42 ans.
Ces sept grands partenaires sont la Chine, la Corée du Sud, les États-Unis d’Amérique, l’Inde, le Japon, la Russie et l’Union européenne, soit 35 pays représentant plus de la moitié de la population mondiale et environ 85 % du produit mondial brut annuel.
L’investissement lors de la phase de construction prévue d’une durée cumulée d’environ 25 ans est de l’ordre de 20 milliards d’euros.
Cependant, toutes les installations du type Tokamak construites à ce jour en vue d’étudier le phénomène n’ont pas la taille critique pour espérer obtenir une production nette d’énergie.
Cette taille critique (dimension de la chambre à vide et de la cage magnétique associée de l’ordre du millier de mètres cubes, valeur du champ magnétique de l’ordre de 5 à 10 teslas…) est telle qu’une vaste coopération internationale est indispensable pour construire et exploiter cette installation dans un temps raisonnable. C’est le sens de l’Accord ITER.
Le calendrier de réalisation du projet est un premier plasma en décembre 2025 et les premières expériences de production d’un plasma d’une puissance thermique de 500 MW avec un chauffage externe limité à 50 MW (facteur 10 d’amplification a minima) prévues à partir de décembre 2035.
“ La réussite d’ITER sera une rupture majeure dans la problématique de l’approvisionnement énergétique mondial ”
Le nombre, la diversité, les performances attendues de la part des techniques mises en œuvre (neutronique, magnétisme, cryogénie, vide, transfert thermique, électrotechnique, élaboration en grande quantité et assemblage de matériaux aux performances extrêmes, génie civil, séparation physicochimique des composants d’un mélange gazeux radioactif, contrôle commande, métrologie, instrumentation, robotique…) et leur degré d’intégration sont tels que la construction et l’exploitation d’ITER seraient proprement inenvisageables sans l’apport décisif des techniques numériques actuellement disponibles.
Ces techniques numériques interviennent notamment dans la modélisation du plasma en régime transitoire ou stabilisé, dans la conception de chacun des composants et la gestion de leurs interfaces, dans les études d’ingénierie de fabrication et d’assemblage, dans les démonstrations de sûreté, dans la gestion des approvisionnements et des stockages de millions de pièces fabriqués dans le monde entier, dans la formation et la qualification des personnels au stade de la conception, de la fabrication, du contrôle qualité, du transport, du stockage, de l’assemblage, de la réception et qualification individuelles des composants, de la qualification des divers sous-systèmes et de la machine tout entière.
Elles interviendront aussi lors des phases d’exploitation avec la conception des campagnes d’expérience, de maintenance et démantèlement.
Reposant sur 493 plots parasismiques, le Complexe Tokamak, d’une masse de 440 000 tonnes, compte 7 niveaux. Au centre, l’enceinte de béton armé (bioshield) au cœur de laquelle la machine sera assemblée
Pour illustrer les défis que les techniques numériques mises en œuvre dans la conduite du projet permettent de relever, songeons aux quelques données suivantes. Le cryostat, en acier inoxydable, dans lequel seront installés tous les composants du Tokamak mesure 30 m de haut et autant de diamètre et pèse 3 800 tonnes. Il comporte 280 ouvertures qui devront être parfaitement alignées avec leurs équivalents dans les parois de la chambre à vide et dans le mur de protection biologique.
TEMPÉRATURES EXTRÊMES
Certains composants supporteront des flux d’énergie pouvant aller jusqu’à 20 MW par mètre carré.
La température variera de 150 millions de degrés à ‑270° sur une distance de l’ordre du mètre et de 250° à ‑270° en quelques centimètres.
Les 18 bobines magnétiques verticales et les 6 bobines horizontales qui constituent la cage magnétique géante ont des dimensions individuelles comprises entre 9 m et 24 m et un poids compris entre 200 et 450 tonnes. Le solénoïde central mesure 17 m de haut et plus de 4 m de diamètre. Il pèse 1 000 tonnes.
L’ensemble de ces bobines et de leur alimentation (environ 10 000 tonnes) sera refroidi à une température de 4 degrés kelvins grâce à une circulation d’hélium liquide.
La production d’hélium liquide sera de 12 500 litres par heure. La longueur des lignes cryogéniques de distribution de cet hélium sera de plus de 6 km.
Les bobines devront être assemblées autour de la chambre à vide de telle sorte que l’axe de la cage magnétique d’environ 20 m de diamètre et autant de haut ainsi formée soit positionné dans le cryostat avec une précision inférieure au millimètre. Le courant circulant dans les différentes bobines supraconductrices sera de l’ordre de 70 000 ampères.
La chambre à vide à double paroi, d’un volume de 1 600 m3, est constituée de 6 secteurs de 18 m de haut et 9 m de large qui seront soudés ensemble pour assurer une étanchéité parfaite lorsque soumis à une dépression de l’ordre du millionième d’atmosphère.
Le Bâtiment Tokamak comporte plus de 120 000 plaques de support des circuits d’électricité, ventilation, fluides… Pesant 440 000 tonnes, il repose sur une dalle unique de 120 m de long et 80 m de large supportée par 493 plots antisismiques garantissant la parfaite stabilité de l’ensemble dans les conditions les plus extrêmes envisageables de vibration.
Chacun comprendra que la satisfaction de pareils objectifs exige un énorme effort de modélisation, de simulation, de qualification et de gestion rigoureuse des multiples données qui entrent en jeu.
Les équipements informatiques et leurs logiciels sont sollicités au maximum de leurs performances actuelles avec l’espoir de les voir progresser encore pour amener à une réduction significative des délais et coûts de construction et d’exploitation dans la phase d’industrialisation de la fusion que l’on espère connaître au cours de la seconde moitié de ce siècle.
Image en coupe du Tokamak ITER