Patrons de PME rurales : un nouveau profil
Sur la base d’une enquête réalisée par un expert associé du CNRS, Marie-France Raveyre, l’AIMVER a mis en lumière les particularités des PME de haut niveau technologique, qui se sont implantées depuis une quinzaine d’années en milieu rural.
AIMVER : Association d’ingénieurs pour la mise en valeur de l’espace rural, fondée par Gérard de Ligny et Georges Comès (54), 5 quai Voltaire, 75007 Paris.
Profil des dirigeants fondateurs
Contrairement aux créateurs des années 60 ils ont, pour les deux tiers, une formation supérieure à bac + 3, et ont débuté leur carrière comme cadres salariés. C’est aux environs de la quarantaine que le risque d’une PME leur a paru plus attractif que la sécurité – toute relative – d’une grande entreprise.
Ce ne sont pas des patrons solitaires. 57 % d’entre eux ont lancé leur affaire avec un ou des associés.
Ils n’ont pas prioritairement une visée patrimoniale : la croissance du capital est pour eux une condition de développement plus qu’un moyen d’enrichissement. C’est essentiellement la passion du management qui les fait courir.
Stratégie
Ce n’est pas une stratégie de sous-traitance plus ou moins captive selon le modèle de nombreuses PME. Les entreprises visitées ont des produits propres ou une spécialité originale.
Sauf exception elles ne pratiquent que la production à l’unité ou en petite série, avec apport d’innovation à chaque commande.
Elles ont donc une stratégie de créneau, où le prix compte moins que la qualité et le délai. Ce sont les championnes des « délais impossibles ». Elles ne craignent pas de s’attaquer à des produits de haute technologie (exemple : sonars), mais sans faire appel pour cette fabrication à des équipements lourds et très sophistiqués. Elles n’en utilisent pas moins des techniques avancées quand celles-ci leur paraissent payantes, mais en évitant les investissements très spécialisés qui réduiraient leur flexibilité. L’outil de pointe voisine avec la « vieille bécane ».
Relations avec l’environnement
Les interlocuteurs quotidiens des PME visitées, ce sont leurs fournisseurs et leurs clients, où qu’ils se trouvent. C’est par eux qu’arrive l’information sur les besoins du marché et sur les nouvelles techniques. Les relations de proximité avec les entreprises sœurs sont rares : quelques sous-traitances pour écrêter les pointes de charge, mais pas de mise en pool des compétences (ce qui témoigne d’un individualisme à courte vue).
C’est également chez les fournisseurs et les clients que le personnel est envoyé en stages de formation, pour l’acquisition de compétences nouvelles.
Les sources de l’efficacité
Premièrement : la polyvalence et l’autonomie de chaque travailleur
Les salariés sont placés successivement à des postes très divers, sans égard à leur qualification d’origine ; ils connaissent ainsi l’amont et l’aval de leur poste de travail usuel, et enrichissent leur savoir-faire. Ce qui permet de demander à l’ouvrier de l’autonomie et de l’initiative : une demande qui ne déroute ni les anciens agriculteurs ni les anciens artisans.
Deuxièmement : la flexibilité des horaires
Le temps de travail est souple, les heures travaillées, le soir et le week-end, sont récupérées au temps des grands travaux agricoles ou selon les besoins familiaux. Les contrats à temps partiels sont largement pratiqués. Les réseaux locaux de sociabilité permettent souvent à l’absent inopiné de trouver un remplaçant.
Troisièmement : l’équipe
L’entreprise est un groupe humain engagé dans une lutte pour la réussite, avec des adversaires extérieurs redoutables. Le chef d’entreprise n’est ni terrifiant ni paternel : inséré lui-même, pour les deux tiers des cas, dans une équipe de direction, il cherche à susciter l’adhésion au projet commun. C’est sa compétence qui le légitime.
Cette valorisation de l’autonomie et de la solidarité collective entre facilement en résonance avec les valeurs traditionnelles du milieu rural.
L’expression des salariés, considérée comme un facteur de productivité, est donc encouragée. Les deux tiers des chefs d’entreprises visités ont suscité la constitution d’un comité d’entreprise, sans y être légalement obligé ; la moitié y ont réussi. Inutile de dire que l’idéologie partisane ne pénètre pas dans ces comités.
Est-ce une solution d’avenir ?
Il y a manifestement un avenir durable pour les productions industrielles à très faible masse critique, réclamant prioritairement des capacités d’innovation, de fiabilité et de rapidité d’exécution. Il y a donc une place importante à prendre pour les entreprises technologiquement évoluées, entraînées par des dirigeants étroitement solidaires.
Mais l’isolement géographique de l’entreprise, même atténué par les facilités de communications modernes, risque fort de compromettre à terme son développement et même sa survie.
Il est nécessaire qu’à l’instar des districts industriels savoyards et italiens se constitue de proche en proche une grappe d’entreprises exerçant des métiers complémentaires qui constitue un milieu professionnel porteur et un pôle d’attraction tant pour la clientèle que pour le personnel.