Paul GARDENT (39)

Paul Gardent (39)

Dossier : ExpressionsMagazine N°679 Novembre 2012Par : Jacques PETITMENGIN (47), ingénieur général des Mines

Paul Gardent, entré à l’X en sep­tembre 1939, y fit une pre­mière année allé­gée sui­vie d’un pas­sage à l’École d’artillerie de Fon­tai­ne­bleau, inter­rom­pu par l’invasion alle­mande de mai 1940. Après la défaite et un début de mise en place des Chan­tiers de jeu­nesse en Haute-Savoie, démo­bi­li­sé en novembre 1940, il pas­sa sa deuxième année à l’X deve­nue civile et repliée à Lyon. Major d’entrée d’une pro­mo­tion dure­ment éprou­vée par la guerre, avec ses morts, ses bles­sés et ses pri­son­niers, Paul fit beau­coup pour l’aider à retrou­ver son uni­té, action qu’il pour­sui­vit ensuite en pré­si­dant les cha­leu­reux repas de pro­mo­tion orga­ni­sés par son cais­sier Jean Dupuis.

Sor­ti dans le corps des Mines, il fit une pre­mière année nor­male à l’École des mines à Paris. L’instauration du STO en juin 1943 ris­quant d’envoyer ses élèves dans les usines alle­mandes, l’École orga­ni­sa une deuxième année à l’École des mines de Saint-Étienne en alter­nance, quatre jours au fond (les mineurs étant dis­pen­sés de STO), deux jours à l’École.

Les Mines pour vocation

Affec­té à Valen­ciennes en juillet 1944, en pleine débâcle alle­mande, Paul y exer­ça les tâches nor­males de sur­veillance des exploi­ta­tions minières, avec toutes les péri­pé­ties de cette période (épu­ra­tion, natio­na­li­sa­tions, grèves qua­si insur­rec­tion­nelles en 1946 et 1947 après le départ des ministres com­mu­nistes du gou­ver­ne­ment, etc.), plus quelques tâches non char­bon­nières, comme l’enseignement de la phy­sique à l’École des mines de Douai.

Début 1950, J.-M. Lou­vel, ministre de l’Industrie, l’appela à son cabi­net pour y suivre les affaires éner­gé­tiques, puis enta­mer les dis­cus­sions préa­lables à la mise en place de la Com­mu­nau­té euro­péenne du char­bon et de l’acier. En mars 1952, il pro­fi­ta d’un rema­nie­ment minis­té­riel pour entrer aux Char­bon­nages, où il allait res­ter près de trente ans. Il y orga­ni­sa, à Paris, la direc­tion des études géné­rales et du mar­ché com­mun. À l’automne 1958, tout jeune marié, il par­tit en Lor­raine y prendre la direc­tion des études géné­rales et des ser­vices finan­ciers. En juillet 1963, Paul retour­na dans le Nord et devint, le 1er jan­vier 1964, direc­teur géné­ral du bas­sin. Et c’est en mai 1968 que Paul devint direc­teur géné­ral des Char­bon­nages, res­pon­sable opé­ra­tion­nel de l’ensemble du groupe ; il le res­ta jusqu’en sep­tembre 1980.

Un combat d’arrière-garde

Cette période a vu la pro­duc­tion natio­nale de char­bon culmi­ner à 60 mil­lions de tonnes par an vers 1960, pour retom­ber à 20 mil­lions de tonnes en 1980, les effec­tifs cor­res­pon­dants pas­sant de 200 000 à 60 000.

Réduire la production de charbon tout en minimisant l’impact social des fermetures de mines

Le com­bat d’arrière-garde du char­bon fran­çais était per­du d’avance face à la concur­rence du fuel et du char­bon impor­té. Il n’y avait qu’une solu­tion : réduire la pro­duc­tion de char­bon au niveau des débou­chés éco­no­mi­que­ment pos­sibles, tout en mini­mi­sant l’impact social des fer­me­tures de mines par la recon­ver­sion ou la retraite des mineurs. C’est cette tâche déli­cate que Paul mena de façon exem­plaire. Et avec quels handicaps !

Citons, en par­ti­cu­lier, une orga­ni­sa­tion bâtie en 1946 pour 300 000 mineurs, avec 10 éta­blis­se­ments publics indé­pen­dants (4 après 1968), cha­cun avec son pré­sident et son direc­teur géné­ral, tous nom­més par décret en conseil des ministres, à faire mar­cher d’un même pas. Un métier dan­ge­reux (catas­trophes meur­trières de Sainte-Fon­taine en 1959 et de Lié­vin en 1974). Un cli­mat social sou­vent ten­du, des syn­di­cats domi­nés par une CGT pas­séiste et agres­sive. Peu de recon­ver­sions internes du per­son­nel pos­sibles, à part dans la chi­mie, à l’expansion réduite après les chocs pétro­liers ; quelques essais de recon­ver­sion externe à l’impact limi­té, faute de moyens (notam­ment dans la trans­for­ma­tion des matières plas­tiques et la construc­tion préfabriquée).

Voies de fait
Le direc­teur géné­ral lui-même n’était pas à l’abri de voies de fait le visant per­son­nel­le­ment, comme le mon­tra l’agression subie par Paul et les siens, à leur domi­cile, en jan­vier 1976, par des étu­diants de la gauche pro­lé­ta­rienne, de ten­dance maoïste, pré­ten­dant ven­ger les morts de Liévin.

Des rela­tions avec la tutelle et l’environnement poli­tique sou­vent dif­fi­ciles, hommes poli­tiques et hauts fonc­tion­naires ayant ten­dance à consi­dé­rer les houillères comme étant à leur dis­po­si­tion dans tous les domaines, sans sou­ci des contraintes éco­no­miques, finan­cières ou juri­diques de l’entreprise.

Le sens de l’intérêt général

Com­ment Paul réus­sit-il à domi­ner ces immenses dif­fi­cul­tés ? D’abord par son intel­li­gence hors pair, sou­te­nue par une mémoire impres­sion­nante. Ses facul­tés d’analyse jointes à une vaste culture, sa puis­sance de tra­vail lui per­met­taient de trou­ver des solu­tions à des pro­blèmes jugés inso­lubles. Son talent de négo­cia­teur tenait aus­si beau­coup à son natu­rel bien­veillant, prêt à écou­ter ses inter­lo­cu­teurs sans se fâcher, à démon­ter leur argu­men­ta­tion par une logique inébran­lable, sans agres­si­vi­té. Son dés­in­té­res­se­ment, son atta­che­ment à l’intérêt géné­ral lui évi­taient aus­si bien des attaques per­son­nelles, tout comme son sens du ser­vice public, héri­té sans doute de ses quatre grands-parents, tous ins­ti­tu­teurs dans l’Oisans.

De la sorte, il ins­pi­rait à tous ses inter­lo­cu­teurs, mineurs, syn­di­ca­listes, fonc­tion­naires un très grand res­pect. Et lui s’efforçait d’ajuster ses déci­sions aux capa­ci­tés, carac­tères et sou­haits de cha­cun. D’où l’appréciation sui­vante de Jean Cou­ture, pré­sident des HBNPC (Houillères du bas­sin du Nord et du Pasde- Calais), lors de la prise de fonc­tion de Paul : « Je ne sais com­ment fait Gardent, mais il fait val­ser tout le monde, et tout le monde semble content. »

Au Conseil d’État

« Je ne sais com­ment fait Gardent, mais il fait val­ser tout le monde, et tout le monde semble content. »

En 1980, la cam­pagne pré­si­den­tielle bat­tait son plein. Fran­çois Mit­ter­rand vou­lait conso­li­der son sou­tien com­mu­niste en accep­tant sans trop y croire le pro­jet de relance de la pro­duc­tion char­bon­nière à 30 mil­lions de tonnes par an, alors que le pré­sident Gis­card d’Estaing et son ministre de l’Industrie André Giraud vou­laient au contraire la réduire de 20 à 10 mil­lions de tonnes par an.

Tra­vail et courage
Pour­quoi Paul est-il res­té si long­temps aux Char­bon­nages ? Il a don­né lui-même la réponse : « On pour­rait se deman­der pour­quoi je suis res­té pour­tant, imper­tur­ba­ble­ment et si long­temps, dans le sec­teur char­bon­nier public. Ce n’est pas que les occa­sions d’en sor­tir m’aient man­qué […]. Je pense que cette per­sé­vé­rance tra­dui­sait essen­tiel­le­ment mon goût pour le ser­vice public, quelles que soient ses ser­vi­tudes, et aus­si un véri­table atta­che­ment à la popu­la­tion des mineurs dont j’appréciais, sous leurs dehors frustes, le goût du tra­vail et le grand cou­rage dans les coups durs. »

Pour mani­fes­ter eux aus­si leur sou­ci de l’avenir des Char­bon­nages fran­çais, ces der­niers déci­dèrent d’en chan­ger le direc­teur géné­ral. Paul Gardent fut nom­mé au tour exté­rieur Conseiller d’État en ser­vice ordi­naire et reçut la cra­vate de la Légion d’honneur en recon­nais­sance de ses ser­vices excep­tion­nels. Il accep­ta ce chan­ge­ment avec séré­ni­té : « Vers la soixan­taine, il n’était pas mau­vais de quit­ter des res­pon­sa­bi­li­tés de ges­tion­naire pour des acti­vi­tés de réflexion et de conseil. »

Paul s’habitua aux us et cou­tumes du Conseil d’État, à l’intendance spar­tiate pour un homme habi­tué aux moyens des Char­bon­nages. Il com­plé­ta son acti­vi­té par des tâches com­pa­tibles avec son nou­veau métier, comme la pré­si­dence des conseils de per­fec­tion­ne­ment des Écoles des mines de Paris et Saint-Étienne (1980) et celle de la CIREA (Com­mis­sion inter­mi­nis­té­rielle des radio­élé­ments arti­fi­ciels, 1981).

Après sa retraite en 1986, Paul conti­nua à inter­ve­nir dans dif­fé­rents groupes de tra­vail, ou comi­tés d’étude ; il appré­cia par­ti­cu­liè­re­ment sa par­ti­ci­pa­tion à l’éphémère Col­lège de la pré­ven­tion des risques tech­no­lo­giques, créé par Michel Rocard en 1989, dont il fut le pre­mier pré­sident. Com­po­sé de hauts fonc­tion­naires, de scien­ti­fiques et de repré­sen­tants de la socié­té civile, ce comi­té devait don­ner son avis sur tous les types de risques tech­no­lo­giques, soit sur demande du gou­ver­ne­ment, soit par auto­sai­sine, avec pos­si­bi­li­té de publier ses avis.

Ceux-ci com­por­tant fata­le­ment d’éventuelles cri­tiques des poli­tiques publiques, cela condui­sit à sa sup­pres­sion par décret en 1996, sans concer­ta­tion préalable.

Pen­dant plu­sieurs années, Paul Gardent pré­si­da éga­le­ment l’Amicale des ingé­nieurs du corps des mines, dont les groupes de tra­vail réflé­chissent à tous les pro­blèmes rela­tifs à l’industrie en France et aux actions de l’administration dans ces domaines.

Commentaire

Ajouter un commentaire

Fré­dé­ric Fantourépondre
13 novembre 2012 à 1 h 13 min

La fin des Char­bon­nages
Mer­ci pour ce bel hom­mage aux mineurs et à un homme qui les aima.

Répondre