Pêche maritime : comprendre l’écosystème pour mieux gérer les ressources
Les témoignages historiques de voyageurs nous renseignent de façon qualitative sur la facilité d’accès à la nourriture marine. Daniel Pauly fait référence aux immigrants du Mayflower (au début du XVIIe siècle), effrayés, à leur arrivée en Amérique, par les baleines, si nombreuses qu’elles mettaient le bateau en danger.
“ Au XVIIe siècle, les morues se ramassaient au panier ”
Quant aux morues, elles se ramassaient, dit-on, avec un panier. La vitalité des océans paraît alors débordante, sans limite.
Elle est maintenant difficilement accessible, incomprise. Elle devient inquiétante. Des encyclopédistes puis Michelet voient une salutaire régulation dans les prélèvements de plus en plus importants opérés par l’homme.
REPÈRES
Au cours de la décennie 2001–2010, la moyenne des prises déclarées de la pêche française métropolitaine a été de 545 000 tonnes par an (tendance décroissante – 20 600 t/an), et en 2010 de 63 000 tonnes dans les DROM-COM.
La flotte de la pêche française – en majorité des unités de moins de 12 mètres – rassemble 7 250 navires, qui embarquent 22 500 marins (dont respectivement 36 % et 13 % dans les DROM-COM).
De la surabondance à la pénurie
Le demi-siècle écoulé a montré que la pêche, non régulée et appuyée à des progrès technologiques très efficaces, pouvait venir rapidement à bout de cette fécondité naturelle.
L’exemple le plus emblématique est sans doute celui de la disparition brutale des morues des Grands Bancs de Terre-Neuve, dont le stock, même après l’instauration d’un moratoire international en 1992, peine à se reconstruire.
Un plafonnement des volumes de prises
LA POLITIQUE COMMUNE DES PÊCHES (PCP)
La PCP est un règlement du parlement et du conseil européen (n° 1380⁄2013 pour sa dernière version), qui s’applique aux navires des États membres, quelle que soit leur zone de pêche, dont le double objectif est la durabilité écologique de l’activité de pêche et sa profitabilité socio-économique. Les États membres se répartissent des quotas de prises qui doivent permettre d’atteindre le Rendement maximum durable (espèce par espèce) estimé par les scientifiques réunis dans des instances internationales, ou à défaut de respecter le principe de précaution.
Ces quotas sont négociés annuellement, mais l’on s’oriente vers une gestion pluriannuelle plus pertinente. La PCP demande aux États membres de collecter les données permettant de documenter les avis scientifiques.
Dans la dernière version du règlement figure également la possibilité d’attribuer des Quotas individuels transférables aux pêcheurs afin de freiner l’escalade à la surcapacité de pêche.
Depuis une trentaine d’années, le volume mondial des pêches marines déclarées est stabilisé à 80 millions de tonnes par an (hors rejets et prises INN, soit illégales, non déclarées, non réglementées).
Si la production mondiale de poisson augmente de façon régulière depuis les années 1950, c’est essentiellement du fait de l’aquaculture (en particulier chinoise), ainsi que, dans une moindre mesure, des captures en eaux continentales. Le maximum du potentiel mondial de captures marines est donc vraisemblablement atteint.
De plus, beaucoup d’espèces sont « surpêchées », c’est-à-dire que leur abondance est inférieure à celle qui permettrait une exploitation optimale. Selon la FAO, reconstituer les stocks d’espèces surpêchées permettrait d’augmenter les prises annuelles de 16,5 millions de tonnes (environ 32 milliards de dollars).
15 % de cette production est consacrée à d’autres usages que l’alimentation (nourriture des poissons d’élevage, production d’huiles, etc.). Néanmoins, en 2010, le poisson représentait 20 % de l’apport protéique animal de plus de 2,9 milliards d’êtres humains. Ce qui est tout à fait significatif, notamment pour les pays densément peuplés.
Réguler pour protéger
Pour faire face à ces enjeux écologiques, sociaux et économiques, les États ont mis en place différents types de régulation, mondiales (par exemple l’ICCAT1 pour le thon) ou régionales (Politique commune des pêches en Europe). Le stock du thon rouge de Méditerranée, pour lequel cette gouvernance a permis de prendre des mesures drastiques en 2010, semble ainsi être en phase de reconstruction rapide (Fromentin et al., 2014).
Rapports de force
Les décisions de gestion halieutique résultent d’un rapport de force fluctuant entre des objectifs de conservation écologique, de développement économique, de stabilité sociale, etc., et s’appuient pour cela sur l’expertise scientifique.
“ Dans l’affaire du thon rouge, les résultats scientifiques ont été utilisés avec des objectifs différents ”
L’histoire du thon rouge de Méditerranée l’a illustré : jusqu’en 2006, les intérêts économiques l’emportent, puis, la communication mise en place par les ONG devient plus puissante, aboutissant à un changement d’orientation. Il est intéressant de noter que, dans chacune de ces phases, les résultats scientifiques ont été successivement utilisés de façon peu rigoureuse, avec des objectifs différents.
Alors que les scientifiques identifient un réel danger de surpêche, ils ne sont pas entendus par les gestionnaires. Les ONG s’emparent du débat, forçant le trait des conclusions des experts au moyen d’estimations critiquables, et proposant l’inscription de l’espèce sur l’annexe I de la CITES.
Pêche de l’anchois à la senne sur un bateau basque de Hendaye. © OLIVIER BARBAROUX / IFREMER
C’est néanmoins à ce prix que sont obtenues des mesures de gestion efficaces, qui conduisent actuellement à des observations encourageantes. Ces dernières sont désormais brandies par les pêcheurs, qui souhaitent une augmentation des quotas.
Une démarche écosystémique
La question posée est pourtant simple : quel effort de pêche est-il possible de déployer sans affecter la productivité des écosystèmes marins ? L’état de l’art de l’expertise consiste à représenter l’écosystème par des modèles de dynamique des populations de poissons et chercher un point optimum de prélèvements permettant à la biomasse de se renouveler.
Cette expertise sous-tend la PCP actuelle. Mais les scientifiques sont bien conscients de ses limites, qui ne sont que la traduction de la complexité du problème écologique et de la difficulté de réunir des données complètes sur un écosystème peu accessible. La démarche actuelle consiste à mettre en oeuvre une approche écosystémique des pêches.
Quelques exemples, qui sont autant d’axes de recherche : les espèces ne sont pas indépendantes les unes des autres ; le déclin d’une espèce fourrage peut entraîner celui d’un prédateur. La pêche n’est pas le seul facteur de vulnérabilité des écosystèmes ; l’exposition à des molécules cancérigènes ou perturbatrices de la reproduction est aussi une cause de mortalité.
Les impacts de la pêche ne portent pas non plus seulement sur la mortalité des poissons, mais aussi sur leurs habitats. La façon dont les différentes espèces se reproduisent n’est pas encore connue, même pour les plus fréquemment exploitées. En somme, la belle vitalité des océans dépasse toujours notre compréhension, mais nous savons désormais que nous pouvons la mettre en danger.
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1. Commission internationale pour la conservation des thonidés de l’Atlantique.