Pêche à l'anchoix en Espagne

Pêche maritime : comprendre l’écosystème pour mieux gérer les ressources

Dossier : MerMagazine N°706 Juin/Juillet 2015
Par Marie-Hélène VUILLEMIN-TUSSEAU (X87)

Les témoi­gnages his­to­riques de voya­geurs nous ren­seignent de façon qua­li­ta­tive sur la faci­li­té d’ac­cès à la nour­ri­ture marine. Daniel Pau­ly fait réfé­rence aux immi­grants du May­flo­wer (au début du XVIIe siècle), effrayés, à leur arri­vée en Amé­rique, par les baleines, si nom­breuses qu’elles met­taient le bateau en danger.

“ Au XVIIe siècle, les morues se ramassaient au panier ”

Quant aux morues, elles se ramas­saient, dit-on, avec un panier. La vita­li­té des océans paraît alors débor­dante, sans limite.

Elle est main­te­nant dif­fi­ci­le­ment acces­sible, incom­prise. Elle devient inquié­tante. Des ency­clo­pé­distes puis Miche­let voient une salu­taire régu­la­tion dans les pré­lè­ve­ments de plus en plus impor­tants opé­rés par l’homme.

REPÈRES

Au cours de la décennie 2001–2010, la moyenne des prises déclarées de la pêche française métropolitaine a été de 545 000 tonnes par an (tendance décroissante – 20 600 t/an), et en 2010 de 63 000 tonnes dans les DROM-COM.
La flotte de la pêche française – en majorité des unités de moins de 12 mètres – rassemble 7 250 navires, qui embarquent 22 500 marins (dont respectivement 36 % et 13 % dans les DROM-COM).

De la surabondance à la pénurie

Le demi-siècle écou­lé a mon­tré que la pêche, non régu­lée et appuyée à des pro­grès tech­no­lo­giques très effi­caces, pou­vait venir rapi­de­ment à bout de cette fécon­di­té naturelle.

L’exemple le plus emblé­ma­tique est sans doute celui de la dis­pa­ri­tion bru­tale des morues des Grands Bancs de Terre-Neuve, dont le stock, même après l’ins­tau­ra­tion d’un mora­toire inter­na­tio­nal en 1992, peine à se reconstruire.

Un plafonnement des volumes de prises

LA POLITIQUE COMMUNE DES PÊCHES (PCP)

La PCP est un règlement du parlement et du conseil européen (n° 13802013 pour sa dernière version), qui s’applique aux navires des États membres, quelle que soit leur zone de pêche, dont le double objectif est la durabilité écologique de l’activité de pêche et sa profitabilité socio-économique. Les États membres se répartissent des quotas de prises qui doivent permettre d’atteindre le Rendement maximum durable (espèce par espèce) estimé par les scientifiques réunis dans des instances internationales, ou à défaut de respecter le principe de précaution.
Ces quotas sont négociés annuellement, mais l’on s’oriente vers une gestion pluriannuelle plus pertinente. La PCP demande aux États membres de collecter les données permettant de documenter les avis scientifiques.
Dans la dernière version du règlement figure également la possibilité d’attribuer des Quotas individuels transférables aux pêcheurs afin de freiner l’escalade à la surcapacité de pêche.

Depuis une tren­taine d’an­nées, le volume mon­dial des pêches marines décla­rées est sta­bi­li­sé à 80 mil­lions de tonnes par an (hors rejets et prises INN, soit illé­gales, non décla­rées, non réglementées).

Si la pro­duc­tion mon­diale de pois­son aug­mente de façon régu­lière depuis les années 1950, c’est essen­tiel­le­ment du fait de l’aquaculture (en par­ti­cu­lier chi­noise), ain­si que, dans une moindre mesure, des cap­tures en eaux conti­nen­tales. Le maxi­mum du poten­tiel mon­dial de cap­tures marines est donc vrai­sem­bla­ble­ment atteint.

De plus, beau­coup d’espèces sont « sur­pê­chées », c’est-à-dire que leur abon­dance est infé­rieure à celle qui per­met­trait une exploi­ta­tion opti­male. Selon la FAO, recons­ti­tuer les stocks d’espèces sur­pê­chées per­met­trait d’augmenter les prises annuelles de 16,5 mil­lions de tonnes (envi­ron 32 mil­liards de dollars).

15 % de cette pro­duc­tion est consa­crée à d’autres usages que l’alimentation (nour­ri­ture des pois­sons d’élevage, pro­duc­tion d’huiles, etc.). Néan­moins, en 2010, le pois­son repré­sen­tait 20 % de l’apport pro­téique ani­mal de plus de 2,9 mil­liards d’êtres humains. Ce qui est tout à fait signi­fi­ca­tif, notam­ment pour les pays den­sé­ment peuplés.

Réguler pour protéger

Pour faire face à ces enjeux éco­lo­giques, sociaux et éco­no­miques, les États ont mis en place dif­fé­rents types de régu­la­tion, mon­diales (par exemple l’ICCAT1 pour le thon) ou régio­nales (Poli­tique com­mune des pêches en Europe). Le stock du thon rouge de Médi­ter­ra­née, pour lequel cette gou­ver­nance a per­mis de prendre des mesures dras­tiques en 2010, semble ain­si être en phase de recons­truc­tion rapide (Fro­men­tin et al., 2014).

Rapports de force

Les déci­sions de ges­tion halieu­tique résultent d’un rap­port de force fluc­tuant entre des objec­tifs de conser­va­tion éco­lo­gique, de déve­lop­pe­ment éco­no­mique, de sta­bi­li­té sociale, etc., et s’appuient pour cela sur l’expertise scientifique.

“ Dans l’affaire du thon rouge, les résultats scientifiques ont été utilisés avec des objectifs différents ”

L’histoire du thon rouge de Médi­ter­ra­née l’a illus­tré : jusqu’en 2006, les inté­rêts éco­no­miques l’emportent, puis, la com­mu­ni­ca­tion mise en place par les ONG devient plus puis­sante, abou­tis­sant à un chan­ge­ment d’orientation. Il est inté­res­sant de noter que, dans cha­cune de ces phases, les résul­tats scien­ti­fiques ont été suc­ces­si­ve­ment uti­li­sés de façon peu rigou­reuse, avec des objec­tifs différents.

Alors que les scien­ti­fiques iden­ti­fient un réel dan­ger de sur­pêche, ils ne sont pas enten­dus par les ges­tion­naires. Les ONG s’emparent du débat, for­çant le trait des conclu­sions des experts au moyen d’estimations cri­ti­quables, et pro­po­sant l’inscription de l’espèce sur l’annexe I de la CITES.

Pêche de l’anchois à la senne sur un bateau basque de Hen­daye. © OLIVIER BARBAROUX / IFREMER

C’est néan­moins à ce prix que sont obte­nues des mesures de ges­tion effi­caces, qui conduisent actuel­le­ment à des obser­va­tions encou­ra­geantes. Ces der­nières sont désor­mais bran­dies par les pêcheurs, qui sou­haitent une aug­men­ta­tion des quotas.

Une démarche écosystémique

La ques­tion posée est pour­tant simple : quel effort de pêche est-il pos­sible de déployer sans affec­ter la pro­duc­ti­vi­té des éco­sys­tèmes marins ? L’état de l’art de l’expertise consiste à repré­sen­ter l’écosystème par des modèles de dyna­mique des popu­la­tions de pois­sons et cher­cher un point opti­mum de pré­lè­ve­ments per­met­tant à la bio­masse de se renouveler.

Cette exper­tise sous-tend la PCP actuelle. Mais les scien­ti­fiques sont bien conscients de ses limites, qui ne sont que la tra­duc­tion de la com­plexi­té du pro­blème éco­lo­gique et de la dif­fi­cul­té de réunir des don­nées com­plètes sur un éco­sys­tème peu acces­sible. La démarche actuelle consiste à mettre en oeuvre une approche éco­sys­té­mique des pêches.

Quelques exemples, qui sont autant d’axes de recherche : les espèces ne sont pas indé­pen­dantes les unes des autres ; le déclin d’une espèce four­rage peut entraî­ner celui d’un pré­da­teur. La pêche n’est pas le seul fac­teur de vul­né­ra­bi­li­té des éco­sys­tèmes ; l’exposition à des molé­cules can­cé­ri­gènes ou per­tur­ba­trices de la repro­duc­tion est aus­si une cause de mortalité.

Les impacts de la pêche ne portent pas non plus seule­ment sur la mor­ta­li­té des pois­sons, mais aus­si sur leurs habi­tats. La façon dont les dif­fé­rentes espèces se repro­duisent n’est pas encore connue, même pour les plus fré­quem­ment exploi­tées. En somme, la belle vita­li­té des océans dépasse tou­jours notre com­pré­hen­sion, mais nous savons désor­mais que nous pou­vons la mettre en danger.

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1. Com­mis­sion inter­na­tio­nale pour la conser­va­tion des tho­ni­dés de l’Atlantique.

SARDINE ET ANCHOIS

Claire SARAUX (03) IfremerClaire Saraux (2003) coordonne actuellement le projet EcoPelGol (Écosystèmes pélagiques du golfe du Lion) qui a pour but principal de comprendre les fluctuations des stocks de petits poissons pélagiques (sardines, anchois) dans le golfe du Lion.
Elle donne ici un exemple du travail scientifique en cours. S’il est assez courant que la biomasse de petits pélagiques varie fortement, et cela partout dans le monde, c’est généralement dû à la forte variabilité de la survie des oeufs et des larves. Alors que la biomasse d’anchois et de sardines a considérablement chuté ces dernières années dans le golfe du Lion, entraînant avec elle une crise de la pêcherie méditerranéenne française, leur recrutement est resté relativement élevé. Nous n’avons donc pas de déficit de jeunes individus et avons autant voire plus de poissons, mais moins de biomasse.
Pour comprendre cette situation inhabituelle, nous avons utilisé des données récoltées depuis vingt ans au cours de campagnes scientifiques en mer menées par l’IFREMER, alliant prospection acoustique et chalutages d’identification d’espèces. Cela a permis de montrer un changement important de la structure en taille ces dernières années, les sardines et les anchois étant beaucoup plus petits depuis 2008 qu’avant. D’après une modélisation bayésienne, cette diminution de taille résulte pour la sardine à la fois d’une baisse de la croissance et d’une perte des individus les plus âgés (perte des classes d’âge > 2 ans), alors que seule la croissance semble en cause pour l’anchois.
Associée à ces changements, une diminution forte de la condition corporelle (réserves de l’individu, souvent associées au taux de gras) a été observée chez les deux espèces. Les poissons, bien que nombreux, sont donc plus petits et moins gras qu’auparavant. Enfin, nous avons pu montrer que les individus les plus touchés par cette chute de condition étaient les individus les plus âgés, fournissant un premier indice au déséquilibre démographique observé. Ces études mettent donc en évidence une possible surmortalité adulte des sardines et un changement environnemental potentiel, source d’une croissance plus faible et d’une moins bonne condition.
Reste à déterminer quels paramètres de l’environnement ont changé. Les hypothèses envisagées et à tester concernent des modifications du plancton, de la charge en pathogènes dans le milieu, etc.

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