Peut-on développer l’hydroélectricité en France ?

En France, l’hydroélectricité joue un rôle important, elle présente des avantages notables et elle possède des marges intéressantes de développement. Pourtant, depuis le début du siècle, ses capacités stagnent. Les contraintes environnementales n’y sont pas pour rien, mais on peut changer la donne, à condition de sécuriser le cadre juridique actuellement fragilisé, de créer un cadre économique sain pour les STEP et d’intégrer le multiusage de l’eau dans les projets.
En France, l’hydroélectricité est la première source d’électricité renouvelable et la deuxième source de production électrique derrière le nucléaire. Notre pays dispose en métropole du plus important parc hydroélectrique de l’Union européenne. En 2003, près de 95 % de la production électrique française d’origine renouvelable provenait de l’hydroélectricité. Depuis lors, le développement important de nouvelles capacités de production d’électricité renouvelable, éoliennes et photovoltaïques (PV), a mécaniquement réduit cette proportion à environ 40 % en 2022 et en 2023 et 50 % en 2024. À l’avenir, la croissance importante attendue des capacités éoliennes et photovoltaïques en France métropolitaine prévue dans la prochaine PPE (programmation pluriannuelle de l’énergie) devrait voir l’éolien et le PV dépasser l’hydroélectricité dès 2030 dans le classement des sources d’électricité renouvelable, et creuser l’écart en 2035.
Un rôle majeur
Pour autant, le rôle de l’hydroélectricité restera majeur, car cette source renouvelable cumule plusieurs avantages différenciants qui devraient inciter à poursuivre son développement aux côtés des autres sources d’énergie renouvelables. C’est une électricité renouvelable et prévisible dont la puissance est partiellement garantie. Elle permet de disposer d’installations capables de stocker à grande échelle (STEP, centrales de lac et centrales d’éclusées) puis de restituer des quantités significatives d’électricité, grâce à des installations mobilisables en quelques minutes, et de contribuer ainsi à la satisfaction des besoins du système électrique, tant de pointe que d’ajustement.
« C’est une électricité renouvelable et prévisible dont la puissance est partiellement garantie. »
La pilotabilité de l’énergie hydraulique lui permet également de répondre efficacement aux pics de consommation. Au moment des pointes, la contribution de l’hydroélectricité augmente et peut représenter de 20 à 25 % de l’électricité produite en France, contribuant à résoudre les difficultés en termes d’équilibre offre-demande. La flexibilité de l’hydroélectricité facilite le développement de la production éolienne et solaire. La durée de vie d’une centrale hydroélectrique est de l’ordre du siècle plutôt que de 20 à 30 ans.
C’est une source d’énergie nationale avec une filière industrielle solide implantée en France, composée de 1 800 entreprises de toutes tailles, dont 1 700 exploitants, employant 12 000 personnes, qui exporte largement ses savoir-faire (électronique, génie civil, automatisme, fabrication de turbines et de conduites forcées, bureaux d’études). Néanmoins, l’hydroélectricité a des impacts sur les cours d’eau, qui doivent être pris en compte dans le choix et le développement des projets pour maintenir un haut niveau de protection de la biodiversité et des fonctionnalités naturelles des cours d’eau.
2022 | 2030 | 2035 | |
Hydroélectricité |
26 GW (avec STEP) 43 TWh (hors STEP) |
26 GW (avec STEP) 54 TWh (hors STEP) |
29 GW (avec STEP) 54 TWh (hors STEP) |
Éolien terrestre et en mer |
21,6 GW (21 + 0,6) 39 TWh (38 + 1) |
37–39 GW 78 TWh (64 + 14) |
58–63 GW 150 TWh (80 + 70) |
Photovoltaïque |
16 GW 19 TWh |
54–60 GW 65 TWh |
75–100 GW 93 TWh |
Source : « Planifier une France décarbonée – mise en concertation de la PPE et de la SNBC ».
Des possibilités révisées à la hausse
Depuis 2003, le potentiel hydroélectrique en France a fait l’objet d’analyses successives, dont les conclusions ont été intégrées dans les exercices de programmation PPI (programmation pluriannuelle des investissements de production électrique) jusqu’en 2009, puis de la PPE (programmation pluriannuelle de l’énergie) à partir de 2016. Le rapport Dambrine de mars 2006 sur les perspectives de développement de la production hydroélectrique en France a été demandé par le ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie Thierry Breton à son haut fonctionnaire de développement durable.
Il a en premier lieu évalué le potentiel technique de développement des installations hydroélectriques, indépendamment des contraintes économiques et environnementales ainsi que de celles liées aux autres usages de l’eau, à hauteur de 28,4 TWh et de 4,3 GW de STEP supplémentaires. Le développement ne pourra bien sûr jamais être réalisé à ce niveau. Mais cette évaluation théorique présente l’intérêt d’indiquer l’ordre de grandeur d’un majorant des potentiels accessibles.
Des objectifs très raisonnables
La PPI a fixé en 2006 un objectif de développement pour 2015, avec prise en compte de ces contraintes économiques et environnementales, dans une fourchette au minimum de maintien de la production hydroélectrique (+ 0 TWh) et pouvant monter jusqu’à + 7 TWh, ce qui avait été proposé par le rapport Dambrine, ainsi qu’un objectif de 2 GW de STEP réalisable également à l’horizon 2015. La PPI suivante en 2009 a bénéficié des analyses sur le potentiel de développement de l’hydroélectricité du Comop 10 du Grenelle de l’environnement.
Le ministre d’État Jean-Louis Borloo, chargé de l’écologie et de l’énergie, a précisé fin 2009 l’objectif à atteindre à fin 2020, concernant la production hydroélectrique en France métropolitaine, d’accroître l’énergie produite en moyenne sur une année de 3 TWh et d’augmenter la puissance installée de 3 GW au 31 décembre 2020 (cf. arrêté PPI du 15 décembre 2009). L’objectif de développement de + 7 TWh en 2020 initialement proposé a donc été revu à la baisse. Il a été arbitré à + 3 TWh par le ministre Borloo, dans le but de concilier le développement d’une hydroélectricité durable en cohérence avec la restauration des milieux aquatiques. Ces + 3 TWh sont à rapprocher du potentiel technique de 28,4 TWh : près de 10 % seulement de ce potentiel de développement ont été validés.
Des réalisations décevantes
Vu d’aujourd’hui, le bilan du développement de l’hydroélectricité réalisé jusqu’en 2020 est décevant : des capacités qui stagnent, un productible moyen en régression, impacté par le renforcement de la réglementation environnementale et le réchauffement climatique. Aucun des objectifs fixés en 2006 pour 2015 et en 2009 pour 2020 n’a été atteint. Même partiellement : pas de réalisation de nouvelles STEP, à hauteur de 2 GW. Pas de croissance du productible à hauteur de + 3 TWh par des nouvelles installations. C’est ce que montre bien la comparaison des capacités du parc hydroélectrique en France entre 2002 et 2024.
Le parc hydro en France métropolitaine en 2002
25,4 GW de puissance pour un productible de 70 TWh (rapport au Parlement sur la programmation pluriannuelle des investissements de production électrique du 29 janvier 2002).
Puissance maximale (GW) |
Productibilité annuelle moyenne (TWh) |
|
Fil de l’eau |
7,5 |
37,4 |
Éclusée |
4,3 |
13,8 |
Lac |
9,3 |
17,4 |
STEP |
4,3 |
1,2 |
TOTAL |
25,4 |
69,8 |
Équipement hydraulique en France métropolitaine en 2002 – source RTE.
Le parc hydroélectrique aujourd’hui
La puissance totale installée en 2024 est de 25,7 GW en France continentale. Soit une augmentation faible de la capacité de 0,3 GW par rapport à la puissance maximale de 25,4 GW constatée en 2002. Après une longue phase de stagnation entre 2002 et 2020, avec une augmentation de la capacité hydroélectrique totale de 0,1 GW, il est constaté un léger développement avec une augmentation des capacités mises en service de 0,2 GW entre 2020 et 2023, correspondant à l’objectif pour 2023 de la PPE2 adoptée en avril 2020.
En revanche, le productible annuel, fondé sur des conditions hydrologiques moyennes, est en recul de plus de 10 % entre 2002 (68,6 TWh hors STEP) et 2018 (61 TWh hors STEP) et de près de 20 % avec ce qui est prévu par la PPE3 (en projet) pour 2030 et 2035 (54 TWh hors STEP). Comment expliquer ce recul important de la production hydroélectrique moyenne ? Deux facteurs de réduction du productible sont à considérer.
Les causes environnementales et le dérèglement climatique
La réglementation environnementale applicable aux installations hydroélectriques a été significativement renforcée sur la période, impactant l’exploitation des ouvrages, pour préserver la qualité des milieux aquatiques et garantir les autres usages de l’eau : maintien d’un débit minimal dans le cours d’eau, aménagements pour rétablir la continuité écologique, besoins croissants en eau pour d’autres usages que l’hydroélectricité… Le dérèglement climatique menace la stabilité de production hydroélectrique.
Les conditions météorologiques sont de plus en plus variables d’une année à l’autre. Elles ont un impact sur le débit des cours d’eau. Pendant l’été, la baisse des précipitations et l’augmentation de température diminuent les débits et la production d’électricité. En hiver, la fonte des neiges plus précoce et le remplacement des chutes de neige par de la pluie augmentent les débits. Les simulations climatiques montrent un assèchement accru du pourtour méditerranéen remontant jusqu’aux Alpes dans les décennies à venir. La multiplication des épisodes de sécheresse dégrade la production hydroélectrique du fait d’une ressource en eau plus rare et de débits moyens réduits en été.
“L’objectif d’augmentation de 2,8 GW pour 2035 est ambitieux.”
L’objectif d’augmentation des capacités hydroélectriques en France de 2,8 GW pour 2035, inscrit dans la PPE3 (en projet), est ambitieux au regard du développement qui a pu être effectivement réalisé au cours des vingt dernières années. Comment changer de braquet ? Quelles réformes faire aboutir prioritairement : un cadre juridique robuste, un cadre économique incitant aux investissements dans les STEP ? Quels autres projets prioritaires à développer ?

Un nouveau cadre juridique robuste
Les installations hydroélectriques de plus de 4,5 MW sont placées en France sous le régime juridique des concessions. Les 340 concessions hydroélectriques représentent plus de 90 % du total de la puissance hydroélectrique installée. Le cadre juridique de l’hydroélectricité en France est fragilisé. La Commission européenne a en effet adressé aux autorités françaises deux mises en demeure, en 2015 par la DG COMP et en 2019 par la DG GROW, engageant un précontentieux.
La première procédure, au titre de la concurrence, est relative à l’attribution à EDF et au maintien à son bénéfice de l’essentiel des concessions hydroélectriques françaises et sa compatibilité avec les articles 106 et 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. La seconde procédure, au titre du marché intérieur, vise le non-respect par la France des règles de mise en concurrence et de la commande publique incluses dans la directive concession. Une réforme du cadre juridique de l’hydroélectricité résolvant ce précontentieux pourrait aider à relancer les investissements. Ce nouveau cadre devra être robuste sur le plan juridique, en étant conforme au droit français et au droit européen.
Lire aussi : Le problème des concessions hydroélectriques
Un cadre économique pour les STEP
Le principal objectif de développement de l’hydroélectricité en France d’ici 2035 concerne les nouvelles STEP. La capacité supplémentaire à mettre en service d’ici 2035 visée par la PPE3 (en projet) est de 1,7 GW. Un cadre économique adéquat sécurisant les investissements est nécessaire pour le développement de ces actifs dont l’intensité en capital est élevée et la durée de vie importante. Le seul recours au marché est insuffisant, car les rémunérations sont très volatiles et difficiles à anticiper dans la durée. Ce cadre économique doit être de long terme, répondant aux besoins de visibilité attendus des investisseurs pour sécuriser la programmation et les recettes de ces installations et minimiser les coûts de financement.
Le potentiel prioritaire à développer (hors STEP)
Plusieurs autres axes de développement de l’hydroélectricité ont été identifiés, hors STEP : de nouvelles installations en sites vierges, l’équipement de seuils existants, les augmentations de puissance sur des installations existantes. L’acceptabilité des projets est une condition de leur développement. Hors STEP, l’objectif de développement d’ici 2033 s’élèverait à + 0,80 GW, notamment par augmentation de puissance des concessions existantes (+ 0,45 GW) et la construction de nouvelles installations en sites vierges (+ 0,24 GW). Notons que des dispositifs de soutien existent déjà pour des petites installations, soit par arrêté tarifaire, soit par appel d’offres.
« L’acceptabilité des projets est une condition de leur développement. »
L’augmentation de puissance des installations existantes ou la modernisation des équipements existants présentent souvent des avantages en termes d’acceptabilité, car ces ouvrages sont déjà bien ancrés dans les territoires. La construction de nouveaux ouvrages en sites vierges pose la question de l’impact sur le milieu naturel et les écosystèmes, sur la biodiversité, dans un contexte de raréfaction de la ressource en eau, pouvant mettre en tension les usages de l’eau entre les différents acteurs des territoires.
Le contexte est favorable : le système électrique requiert une flexibilité croissante pour intégrer le développement d’une production renouvelable, éolienne et photovoltaïque plus variable, dont on a besoin pour faire face à une demande attendue en forte hausse du fait de l’électrification des usages, évolution majeure de la transition énergétique. Les avantages différenciants de l’hydroélectricité sont plébiscités, et de plus en plus. Or la satisfaction des futurs besoins en eau pour d’autres usages peut avoir pour conséquence de réduire la flexibilité des installations de production hydroélectrique existantes. D’où l’intérêt, en plus du développement des STEP, de soutenir tous les projets conciliant développement de capacités de flexibilité supplémentaires, multiusages de l’eau et biodiversité.
Des perspectives intéressantes de développement de l’hydroélectricité en France ont été identifiées pour 2035. Ces projets, forts des avantages différenciants de cette source renouvelable, contribueront à la réalisation de la transition énergétique. C’est une nécessité que de créer les conditions juridiques et économiques indispensables pour déclencher ces investissements.