Peut-on éliminer les substances chimiques dangereuses du milieu marin ?
Pollution marine et contamination chimique
Pollution marine et contamination chimique
Le GESAMP (groupe mixte d’experts chargés d’étudier les aspects scientifiques de la pollution des mers) définit la pollution marine comme » introduction par l’homme, directement ou indirectement, de substances ou d’énergie dans le milieu marin (y compris les estuaires) occasionnant des effets néfastes tels que nuisances envers les ressources biologiques, risques pour la santé de l’homme, entraves aux activités maritimes (y compris la pêche), altération de la qualité de l’eau de mer du point de vue de son utilisation et dégradation des valeurs d’agrément « .
La pollution chimique n’est donc qu’une des modalités possibles de la perturbation anthropique des milieux marins qui comprend aussi la pollution bactériologique, la pollution thermique, les effets liés à des apports de macrodéchets, de matières sédimentaires ou l’introduction d’espèces allochtones.
Concernant les substances chimiques, le mot pollution est nécessairement associé à l’observation d’effets néfastes sur la faune et la flore marines. En leur absence, il convient de parler plutôt de contamination chimique des milieux aquatiques, désignant la simple présence de substances dans le milieu.
Figure 2– Relation entre la production de DDT et de PCB aux États-Unis et les niveaux de contamination observés dans des carottes sédimentaires du lac Ontario |
L’observation de la qualité du milieu marin, l’évaluation des niveaux de contamination chimique et de leurs variations spatiales et temporelles nécessitent la mise en œuvre de programmes de surveillance, tels que le RNO (Réseau national d’observation), et l’existence d’outils analytiques performants et fiables. Les années soixante et soixante-dix, qui ont été consacrées à la recherche des » mauvais acteurs » pour l’environnement, ont ainsi permis de montrer le lien qui peut exister entre les progrès de la mesure et l’identification de certains contaminants chimiques. Trois exemples illustrent ces propos.
La production et l’usage des PCB ont débuté vers 1930 et ce n’est qu’en 1966 qu’un chercheur suédois, S. Jensen, les identifie pour la première fois dans l’environnement, dans l’archipel de Stockholm (figure 1). Cette découverte était consécutive à la mise au point quelques années auparavant d’un nouveau détecteur en chromatographie en phase gazeuse, le détecteur à capteurs d’électrons. Quelques années plus tard, les recherches démontraient que la contamination des PCB s’étendait à l’échelle planétaire. Le second exemple montre qu’il a fallu attendre 1950 pour savoir que la chloration des eaux, pratiquée depuis le début du XXe siècle pour leur désinfection, générait des substances volatiles toxiques, comme le chloroforme.
Enfin la figure 2 illustre les effets d’une réduction à la source des apports en DDT (il s’agit d’un insecticide chloré) et en PCB (substances organochlorées utilisées notamment comme isolants dans les transformateurs électriques) sur la concentration observée dans des carottes sédimentaires prélevées dans le lac Ontario, qui permettent de disposer d’un enregistrement daté du niveau de présence de ces substances dans le milieu. Il y a une corrélation totale entre cette présence et les volumes produits aux États-Unis sur une période contemporaine de quarante ans.
Plus généralement, la qualité de la mesure conditionne toute conclusion sur la contamination de l’environnement. Par exemple, dans les années soixante-dix, il a été reconnu que seuls quelques laboratoires au niveau mondial étaient véritablement capables de déterminer la teneur en plomb de l’eau de mer, aboutissant à un paradoxe apparent : plus les études se multipliaient au fil des années, plus les teneurs mesurées de certains contaminants, notamment les métaux, devenaient faibles, traduisant en réalité non pas une évolution à la baisse de la contamination chimique dans l’environnement mais plutôt une maîtrise analytique de plus en plus grande des équipes scientifiques impliquées dans ce type d’études.
Cette évolution de la qualité de la mesure analytique se traduit par des termes que les chimistes aujourd’hui connaissent bien : exercice d’intercalibration, usage de matériaux de référence, salles » blanches « , bonnes pratiques de laboratoire…
L’étude des effets des contaminants chimiques sur la faune et la flore marines constitue un enjeu complexe qui peut se décliner schématiquement selon deux niveaux d’approche : celui des organismes et celui des peuplements.
L’approche biologique ou physiologique permet tout d’abord de comprendre l’action d’un contaminant chimique sur les organismes marins et d’évaluer les conséquences pour un individu, pour sa survie, sa reproduction ou sa croissance. Au niveau des peuplements, l’approche écologique, infiniment plus complexe, étudie la structure et la dynamique des unités fonctionnelles d’un écosystème.
La figure 3 illustre la diversité des approches pour évaluer les effets des contaminants chimiques sur le milieu vivant, couvrant des champs disciplinaires et des échelles de temps variés.
Substances chimiques et contaminants chimiques
Figure 3 – Évaluation des effets des contaminants chimiques sur le milieu vivant |
Il est admis qu’il existe plus de 4 millions de substances chimiques, essentiellement des substances organiques issues de la biosynthèse animale et végétale. Sur ces 4 millions de substances, seules 100 000 étaient produites et/ou utilisées sur le marché européen en 1981, dont 50 000 utilisées communément à des fins techniques. Certaines de ces substances sont dangereuses pour l’homme et l’environnement. Avant d’évoquer quelques » mauvais acteurs » (les polluants historiques) et l’idée de polluants prioritaires, nous essaierons de classer les produits chimiques en quelques grandes catégories.
Les métaux. Les plus toxiques pour l’environnement sont le mercure, le cadmium, le zinc, le cuivre et le nickel. Les sources de contamination comprennent les activités minières, la sidérurgie, le transport (plomb), l’usage des piles (600 millions/an) et des batteries, l’industrie des peintures et colorants, ainsi que la fabrication des engrais phosphorés (cadmium).
Les hydrocarbures désignent les pétroles bruts, les carburants (essences, kérosènes, fuels domestiques, fuels lourds, etc.) et les produits de base de la synthèse organique industrielle. Les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), qui résultent de la combustion incomplète des produits pétroliers, sont les plus préoccupants pour les milieux aquatiques. Les émissions atmosphériques nationales sont estimées à 3 500 t/an.
Les pesticides ou produits phytopharmaceutiques recouvrent les herbicides, les fongicides et les insecticides et incorporent quelque 900 matières actives. Ces produits sont essentiellement issus de la synthèse organique bien que l’on retrouve des minéraux comme le soufre ou le sulfate de cuivre (bouillie bordelaise). Environ 100 000 t sont épandues chaque année par les agriculteurs, les gestionnaires d’infrastructures routières (DDE, Sociétés d’autoroutes) et ferroviaires (SNCF), et même les particuliers.
Les biocides désignent les substances chimiques actives utilisées dans un cadre non phytopharmaceutique. Ainsi EDF tire directement de l’eau de mer, par électrolyse, 10 000 t de chlore par an pour nettoyer les circuits de refroidissement des centrales nucléaires installées en bord de mer. L’utilisation de peintures antisalissures sur la coque des navires provoque une contamination non négligeable par différentes matières actives métalliques (cuivre), organométalliques (tributylétain TBT) ou organiques (atrazine comme l’Irgarol 1 057).
Les substances organiques de synthèse représentent un très grand nombre de substances qu’il serait vain de vouloir décrire en quelques lignes. Elles comprennent les solvants chlorés (utilisation d’environ 8 500 t/an), les agents diélectriques utilisés dans les transformateurs et condensateurs électriques (Pyralène ou PCB), les phtalates, détergents, colorants… Les substances les plus préoccupantes pour l’environnement sont les substances organochlorées aux formes très diverses : solvants, PCB, chlorobenzènes, chlorophénols, chloro-alcanes, ainsi que les substances bromées comme les retardeurs de flamme. Il convient de préciser que les dioxines et furanes (PCDD/F) ne sont pas des substances produites par l’industrie chimique mais résultent essentiellement de la combustion plus ou moins complète de substances organochlorées. Les émissions de dioxines sont estimées au niveau national à environ 1,5 kg/an.
Les substances eutrophisantes, qui n’ont pas de toxicité directe, ne sont pas de véritables contaminants chimiques. Les rejets d’azote et de phosphore dans les milieux aquatiques peuvent provoquer le développement excessif d’organismes végétaux dans les eaux de surface, conduisant à des phénomènes d’eutrophisation que l’on observe dans les eaux continentales ainsi que dans les eaux marines littorales. La consommation agricole d’engrais azotés se situe à environ 13 Mt/an, les rejets domestiques de phosphore par les lessives et détergents sont évalués à 1,5 Mt/an.
Quelques polluants historiques
C’est durant la période d’après- guerre, » les trente glorieuses « , que les premiers et principaux polluants chimiques ont été mis en évidence.
Les conséquences tragiques de la contamination de la baie de Minamata au Japon par des rejets industriels contenant du mercure ont montré un fait fondamental, la nécessité de connaître le cycle biogéochimique d’un élément pour en évaluer son éventuel impact. Le mercure à l’état métallique est modérément toxique. Sa transformation en méthyle mercure, forme organométallique, par la microflore bactérienne du milieu marin le rend biodisponible, ce qui explique sa forte capacité d’accumulation dans les poissons et coquillages, et l’intoxication des pêcheurs de la baie de Minamata consommant les produits de leur pêche locale.
Le livre de Rachel Carson, Le printemps silencieux, est associé à la dénonciation des effets inattendus de l’usage immodéré du DDT, insecticide chloré, qui peut rester présent dans l’environnement sur de très longues périodes, du fait de sa non-dégradabilité, et se disperser dans l’environnement, sur de longues distances, par le biais du transport atmosphérique. Le DDT a la capacité de s’accumuler dans les graisses des animaux aquatiques et terrestres, et se propage ainsi le long de la chaîne alimentaire.
En bout de chaîne, le DDT accumulé perturbe le métabolisme du calcium d’oiseaux prédateurs (pélicans, aigles, faucons) : les coquilles d’œufs deviennent trop minces, engendrant une éclosion prématurée, ce qui perturbe notablement la reproduction des oiseaux.
L’interdiction d’usage du DDT (1972 en France) est la conséquence d’un impact visible non sur l’homme mais sur l’environnement. Là encore, l’étude du cycle biogéochimique d’une telle molécule s’avère indispensable pour en comprendre les méfaits.
Les hydrocarbures dans l’environnement marin sont associés aux marées noires, renvoyant aux aléas de la navigation et à la sécurité du transport maritime. Les exemples du Torrey-Canyon, de l’Amoco Cadiz et plus récemment de l’Erika ont montré la vulnérabilité du littoral français devant ce type d’événements, mais ne doivent pas masquer les opérations de déballastage frauduleuses en mer (entre 200 et 300 constatées chaque année le long des côtes françaises).
Le tributylétain (TBT), substance active associée aux peintures antisalissures, est très certainement à l’heure actuelle la substance chimique qui induit des effets toxiques observables à des niveaux de concentrations dans l’eau les plus bas, aussi faibles que 20 à 30 ng/l (effets sur la croissance et la reproduction des huîtres), voire 2 à 3 ng/l (effets sur la modification du sexe de gastéropodes marins). Une telle concentration est obtenue en versant un sachet de sucre en poudre (5 g) dans 5 ou 50 milliards de tasses de café de 50 ml chacune.
Figure 4 – Les principaux rejets d’eaux résiduaires industrielles |
Pollutions chroniques et pollutions accidentelles
L’émotion légitime suscitée par les conséquences d’une pollution accidentelle en milieu marin ne doit pas non plus masquer la situation de fond constituée par les apports de pollution chronique d’origine multiple, qu’ils soient ponctuels (rejets industriels, rejets urbains), diffus (apports agricoles, retombées atmosphériques) ou intégrés (apports par des fleuves), sans oublier les contaminations d’origine marine liées à l’usage du milieu (rejet des sédiments de dragage) et de la navigation maritime (déballastages frauduleux des navires, apports diffus des biocides incorporés dans les peintures antisalissures).
Pollutions accidentelles
Elles interviennent essentiellement sur les sites industriels et au cours du transport des matières dangereuses.
Le BARPI, Bureau du service de l’environnement industriel du ministère de l’Environnement, chargé de recenser les événements accidentels français, en relève chaque année environ 700 et 23 % d’entre eux occasionnent des pollutions dans les eaux de surface.
Par ailleurs, 240 Mt d’hydrocarbures (1 000 pétroliers Amoco Cadiz) et environ 40 Mt de produits chimiques transitent chaque année le long des côtes de la Manche et de la mer du Nord. Mais la pollution des mers par les hydrocarbures ne relève pas que d’accidents maritimes.
À l’échelle mondiale, on estime (avec toute l’incertitude qui accompagne de tels chiffres) à 2,4 Mt/an les apports liés à des phénomènes naturels (retombées atmosphériques, suintements sous-marins), à 1,5 Mt/an les apports chroniques d’origine tellurique et à 0,3 Mt/an les apports consécutifs à des accidents de navires, englobant cargaisons (pétroles bruts et produits raffinés pour 0,2 Mt/an) et fuels de propulsion (pour 0,1 Mt/an).
Entre 1979 et 2001, le Cedre (organisme créé suite à la pollution de l’Amoco Cadiz pour conseiller les autorités françaises sur les meilleurs moyens de lutte en cas de pollution accidentelle) a ainsi recensé trente- neuf cas significatifs de pollution ou risques de pollution le long des côtes françaises (métropole et DOM/TOM). 18 provenaient d’hydrocarbures, 11 de la perte de conteneurs transportant des matières dangereuses, 8 du déversement de produits chimiques, enfin 2 d’autres causes (perte en mer de plusieurs milliers de détonateurs, déversement de blé).
Nous retiendrons que le risque de déversement de produits chimiques est aussi grand que celui des hydrocarbures. Une étude de la Commission européenne, portant sur 1 776 accidents maritimes, montre par contre que si l’accident concerne des produits chimiques, la quantité déversée est en moyenne 5 fois plus faible que s’il s’agit de produits pétroliers et 25 fois plus faible que s’il s’agit de pétrole brut.
Pollutions chroniques
Le littoral reçoit environ 20 % de la pollution toxique industrielle, soit 8,4 MEq. tox/jour [l’équivalent toxique ‑Eq. tox- est une mesure reliant une charge toxique à l’effet observé sur un crustacé (daphnie) selon une procédure normalisée]. Au niveau national, il existe environ 600 000 installations classées, dont 4 800 doivent surveiller leurs rejets d’eaux résiduaires.
Les 480 plus gros émetteurs industriels sont à l’origine de 5 à 17 % des rejets totaux en zone littorale pour un certain nombre de métaux, 36 à 57 % pour le chrome et les hydrocarbures et 100 % pour le titane. Les rejets les plus importants sont localisés dans les zones industrielles portuaires du Nord-Pas-de-Calais, de la Seine-Maritime et des Bouches-du-Rhône et proviennent principalement de la chimie, de la parachimie et du pétrole (figure 4).
Les rejets urbains des agglomérations littorales de plus de 10 000 eq. hab totalisent 10 M eq. hab (par rapport à la matière organique), soit 17 % de la pollution émise par l’ensemble de la population urbaine nationale. Le taux de dépollution moyen sur le littoral est de 47 %, combinant un taux de collecte des rejets de 71 % et un taux d’épuration par les stations de traitement de 65 %. L’objectif visé du traitement global de la pollution urbaine est de 65 %.
Les apports diffus d’origine agricole sont difficiles à quantifier. Environ 130 000 t/an d’azote sont émis par l’ensemble des communes littorales, 38 % provenant des effluents d’élevage et 62 % des engrais azotés, mais la diversité des pratiques rend les chiffres bruts peu significatifs, de même que pour les pesticides dont l’usage régional varie fortement.
Les apports d’eaux douces à la mer (160 à 170 km³/an) proviennent de 80 fleuves et cours d’eau, mais la Seine, la Loire, la Gironde et le Rhône en représentent 80 %. Les apports contaminants les plus importants sont le fait de la Seine et du Rhône, conséquence de l’urbanisation et des activités industrielles sur les bassins versants de ces deux fleuves. Le Rhône déverse ainsi 4 à 6 t/an de mercure et de cadmium, 200 à 600 t/an de cuivre, nickel et plomb, environ 1 t/an de PCB et 16 t/an d’HAP.
Un cas particulier doit être mentionné pour l’estuaire de la Gironde qui reçoit 20 à 25 t/an de cadmium, le lit du Lot ayant longtemps servi de décharge pour des déblais miniers (le cadmium est un sous-produit de l’extraction du zinc) près de Decazeville. Cette charge polluante représente 4 à 5 fois les apports en cadmium des autres grands fleuves et 50 fois l’ensemble des principaux rejets industriels dans l’eau.
Politique française sur les substances dangereuses
Tableau 1 – Arrêté du 2 février 1998 Valeurs limites d’émissions des installations classées (concentrations et flux | ||
Substance | Concentrations maximales (mg/l) | Si fluxsupérieurs à… (g/j) |
Phénols | 0,3 | 3 |
Métaux (Cr, Cu, Mn, Ni, Pb, Sn, Zn, Fe, Al) | 0,1 – 0,2 | 1 – 20 |
Hydrocarbures | 10 | 100 |
Substances toxiques ou néfastes à long terme (37 appartenant à la liste I de la Directive 76/464/CEE | 0,05 | 0,5 |
Substances nocives pour l’environnement (40 appartenant à la même liste) | 1,5 | 1 |
Substances susceptibles d’avoir des effets néfastes pour l’environnement (8 appartenant à la même liste) | 4,0 | 10 |
Substances visées par les Directives communautaires (Hg, Cd, HCH, CCl4, drines, HCB, hexachlorobutadiène, CHCl3, 1,2‑dichloroéthane, TCE, PERT, TCB) | 0,05 – 2,0 | - |
Dispositions particulières pour certaines activités : cokeries, fabrication TiO2, raffineries, abattoirs, fabrication d’aluminium par électrolyse, tanneries et mégisseries, brasseries, traitement des matériaux, traitement et développement de surfaces photosensibles, stations d’épuration mixtes |
La Directive européenne 76/464/ CEE constitue le texte européen de base concernant la pollution causée par certaines substances dangereuses, et cadre l’action pour 132 substances considérées comme prioritaires, par suite de leur toxicité propre, de leur teneur dans les effluents et des quantités produites et/ou utilisées en Europe. Les fondements juridiques au niveau national renvoient à la réglementation des établissements classés et à la législation sur l’eau. Une politique volontariste de réduction des rejets industriels de matières toxiques a été mise en œuvre durant les trente dernières années, et les rejets toxiques nationaux, estimés à 76,5 Meq. tox/jour en 1974, ont été ramenés à 19,0 Meq. tox/jour en 1997.
La disposition principale de la réglementation est l’instauration de valeurs limites de rejet (tableau 1).
Mais les objectifs de qualité ne sont pas toujours déclinés substance par substance : des paramètres globaux sont aussi utilisés. Si l’on prend comme exemple la qualité des eaux conchylicoles, nous trouvons des objectifs définis comme suit :
- hydrocarbures pétroliers : pas de film visible et/ou de dépôt sur les coquillages. Pas d’effets nocifs pour les coquillages (valeur impérative) ;
- substances organohalogénées et métaux : la concentration de chaque substance doit être telle qu’elle contribue à une bonne qualité des produits conchylicoles (valeur guide), la concentration de chaque substance doit être telle qu’elle ne doit pas provoquer d’effets nocifs sur les coquillages et larves (valeur impérative).
Une nouvelle politique internationale de gestion des produits chimiques
Le chapitre 19 de l’Agenda 21 de la Conférence de Rio en 1992 a fixé les grands principes d’une nouvelle politique de gestion des produits chimiques et a inspiré la politique actuelle de réduction ou d’élimination des substances chimiques dangereuses du milieu marin. Les principales recommandations que l’on peut retenir sont les suivantes :
- la nécessité d’une harmonisation internationale de la classification et de l’étiquetage des produits chimiques. Ce travail a été confié à l’OCDE et s’est terminé fin 1998 ;
- l’encouragement d’une circulation large de l’information. Depuis juin 2001, l’ensemble des informations sur les produits chimiques recensées par les principales organisations internationales (OIT, OMS, FAO, PNUE, etc.) est accessible gratuitement sur le Net :
(http :/www.inchem.org) ; - l’obligation d’évaluer les risques des substances chimiques (existantes ou nouvelles, biocides ou produits pharmaceutiques) ;
- le renforcement des capacités nationales de surveillance et de gestion. Ainsi, l’Ifremer et l’Ineris ont constitué une structure commune (à Nantes) chargée d’évaluer les risques chimiques en milieu marin ;
- la prévention du trafic illégal des substances toxiques et produits dangereux.
Protection de l’environnement marin vis-à-vis des substances dangereuses
La Convention MARPOL 73⁄78
Cette convention est relative à la prévention de la pollution des mers depuis les navires. Elle constitue un cadre réglementaire international pour les hydrocarbures, les produits chimiques transportés en vrac ou en colis, les eaux usées des navires et leurs déchets. Le cadre réglementaire est basé sur les profils de dangers des produits transportés, lesquels, pour les seuls aspects environnementaux, reposent sur les critères suivants :
- la bioaccumulation, qui traduit la capacité d’une substance à se concentrer dans les coquillages et les poissons ;
- la biodégradabilité, qui concerne la persistance d’une substance en cas de déversement en mer ;
- la toxicité, aiguë ou chronique, notamment si la substance est persistante ;
- l’altération du goût et/ou de l’odeur des produits de la mer en cas de contamination ;
- les effets physiques en cas de déversements accidentels. En dehors de tout contexte de toxicité, les produits déversés peuvent engluer ou étouffer la faune sauvage (oiseaux, mammifères marins) ou les fonds marins.
Le profil de danger, qui concerne les effets potentiels mais ne quantifie pas le risque, permet de classer les substances chimiques selon cinq catégories de dangerosité décroissante, de A (ex. pentachlorophénol), à D (ex. huiles végétales) et » hors classement » (ex. jus de pomme). Toute la réglementation du transport en vrac des produits chimiques par voie maritime (construction des navires, rejets des eaux de lavage des citernes en mer) repose sur cette classification.
La législation européenne sur les produits chimiques
La législation européenne impose une évaluation des risques des substances chimiques afin d’assurer une protection de l’homme et de l’environnement. La mise en œuvre de cette politique communautaire est assurée jusqu’à présent par un partage des tâches entre les États membres, la Commission et les industriels. La procédure adoptée est basée sur un manuel technique d’évaluation du risque chimique pour les substances nouvelles, existantes et biocides, commun à l’Union européenne (le Technical Guidance Document ou TGD).
Figure 5 – Principes directeurs de l’analyse du risque chimique environnemental |
À l’origine, ce document guide concernait essentiellement l’environnement continental, et n’était pas utilisable pour le milieu marin. Sa révision a amené à consacrer un chapitre spécifique pour le milieu marin. Il prend notamment en compte le fait que le devenir ultime de la plupart des contaminants chimiques est le milieu marin, que les effets à long terme de l’accumulation de substances chimiques dangereuses dans cet environnement ne sont pas prévisibles et qu’une telle accumulation est difficilement réversible.
La sélection des substances dangereuses est basée selon des critères de persistance ℗, de bioaccumulation (B) et de toxicité (T) [d’où l’appellation substances PBT]. La prévention repose non sur une analyse des risques, mais sur une évaluation des sources d’émission et des voies de transfert vers le milieu marin afin de définir les mesures les plus appropriées pour réduire et faire cesser les apports.
L’analyse du risque (figure 5) vise à caractériser des effets prévisibles ou leur absence pour les niveaux de contamination mesurés (ou déduits avec des modèles appropriés).
La sensibilité du milieu s’obtient grâce à des tests écotoxicologiques effectués sur des espèces appartenant au minimum à trois niveaux trophiques différents (algues, crustacés, poissons), ce qui est représentatif d’un écosystème simplifié.
La concentration dite sans effets (PNEC) est définie empiriquement, notamment à partir de données écotoxicologiques. La protection de l’environnement marin concerne les espèces du milieu pélagique (eau), du milieu benthique (sédiment) et les grands prédateurs (oiseaux, mammifères). Pour illustrer la complexité du problème, comparons la consommation de poisson par un consommateur européen de 70 kg (10 g/jour) et celle d’un cormoran de 2 à 3 kg (500 g/jour). Il est aisé de montrer que la dose journalière du contaminant chimique ramenée par kg de poids peut être 1 000 fois plus importante pour le cormoran que pour le consommateur humain, ce qui montre bien que le standard de protection du cormoran (concernant la teneur en polluant du poisson) ne peut pas être celui de l’homme.
La Convention OSPAR
La Convention OSPAR vise à la protection du milieu marin de la zone Atlantique Nord-Est ; l’une de ses dispositions est consacrée spécifiquement aux substances dangereuses. L’objectif affiché est de parvenir en 2020 à des teneurs dans l’environnement marin qui soient proches des teneurs ambiantes (pour les substances qui sont présentes à l’état naturel), ou proches de zéro pour les substances de synthèse. À l’heure actuelle, 27 substances font l’objet d’une action prioritaire, la liste restant ouverte à d’autres substances dites préoccupantes. Il est intéressant de faire remarquer que l’adaptation du guide méthodologique d’évaluation du risque chimique (TGD) au milieu marin a fait l’objet d’un travail commun entre l’Union européenne et la Convention OSPAR.
La Directive Cadre sur l’Eau (2000/60/CE)
Cette directive, qui concerne tous les milieux aquatiques, rappelle en préambule que l’eau n’est pas un bien marchand comme les autres, mais un patrimoine qu’il faut protéger et traiter comme tel. L’objectif demandé aux États membres est de parvenir à un » bon état » des eaux de surface (douces et salées) d’ici 2015. Un second objectif affiché concerne la suppression des émissions, rejets et pertes de 33 substances dangereuses prioritaires (10 pesticides, 4 métaux et 19 substances organiques diverses), définies comme telles à partir de critères PBT, de données sur les tonnages utilisés, des usages et des niveaux d’exposition dans l’environnement.
Des eaux en » bon état » doivent à la fois permettre un bon fonctionnement des écosystèmes aquatiques et satisfaire à des normes de qualité environnementale (dites NQE) physicochimiques.
La définition de ces normes NQE repose sur l’idée qu’en protégeant les espèces, on protège aussi l’écosystème dans son ensemble. Les niveaux maximaux admissibles sont obtenus en divisant par un facteur conventionnel (10 à 1 000) la teneur la plus faible pour laquelle une toxicité est observée sur au moins une espèce.
À titre d’exemple, la toxicité chronique (généralement plus significative pour l’environnement que la toxicité aiguë touchant à la survie à bref délai) du 4‑nonylphénol est respectivement de 6, 24 et 694 µg/l selon l’espèce, la plus basse servant alors de référent. Avec un facteur d’extrapolation de 10, la norme de qualité environnementale (NQE) pour le 4‑nonylphénol sera de 0,6 µg/l.
Pour le milieu marin, l’approche sera identique mais la marge de précaution sera plus grande, c’est-à-dire que l’on va appliquer un facteur allant jusqu’à 10 000 pour définir une NQE. Cette précaution se justifie par une diversité biologique du milieu marin supérieure à celle des eaux continentales (sauf exceptions – estuaires, mer Baltique) et des données écotoxicologiques en moindre quantité (les données existantes concernent à 85 % les espèces vivant en eaux douces).
Pour les substances dangereuses prioritaires, l’objectif de la Directive Cadre sur l’Eau est de faire cesser les apports. À ce titre, la définition de normes de qualité environnementale n’a pas de sens, l’action devant porter sur l’identification des apports et des voies de transfert pour faire cesser la contamination du milieu marin.
Conclusion
Bibliographie
- ECB (European Chemicals Bureau) : http://ecb.jrc.it/
- IFEN (1999) L’Environnement en France. Institut français de l’environnement. Ed. La Découverte : 480 p. et http://www.ifen.org
- IFREMER (Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer) http://www.ifremer.fr
- IPCS (International Programme on Chemical Safety) http://www.inchem.org
- Marchand M. & R. Kantin Contaminants chimiques en milieux aquatiques. Oceanis vol. 21 (2), 1995, vol. 22 (3), 1996, vol. 23 (4), 1997.
- Marchand M. & C. Brunot (1997) L’environnement littoral et marin. Institut français de l’environnement. Études et Travaux n° 16 : 116 p.
- OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) http://www.oecd.org/
- OSPAR (Convention pour la protection du milieu marin de l’Atlantique du Nord-Est) http://www.ospar.org
- RNDE (Réseau national des données sur l’eau) http://www.rnde.tm.fr/francais/rnde.htm
La pollution chimique couvre un large spectre de substances, de voies d’apport et d’effets possibles à diverses échelles de temps sur les espèces, effets qui ne sont pas souvent prévisibles, ni réversibles. C’est pourquoi toutes les stratégies de gestion, notamment celles de l’Union européenne ou des conventions internationales, s’orientent vers la prévention en couplant, autant que possible, des critères de » bon état » écologique (basés sur des indicateurs hydrobiologiques et faunistiques) à des critères qualifiant la réduction des apports contaminants (basés sur des concentrations).
La Directive Cadre sur l’Eau et la stratégie de la Convention OSPAR visant les substances dangereuses affichent toutes deux une politique à relativement court terme (quinze, vingt ans) pour réduire ou éliminer les rejets des substances chimiques jugées les plus dangereuses. L’application de la Directive Cadre sur l’Eau, portant à la fois sur la qualité écologique et l’aptitude aux usages (baignade, conchyliculture…) oblige les pays de l’Union européenne à passer d’une action globale à une gestion par substance, avec une obligation de résultat d’ici à quinze ans.
Cette Directive laisse cependant entiers deux problèmes : d’une part la pertinence des essais in vitro pour définir des normes applicables aux milieux naturels (s’oriente-t-on vers une sur- ou sous-protection des milieux ?), d’autre part les moyens techniques et financiers qui doivent être mis en œuvre pour juger de l’efficacité des actions conduites, notamment pour les polluants prioritaires.