Philippe Boulin (X44) pionnier du nucléaire civil
Décédé en décembre 2022, Philippe Boulin a fait une majeure partie de sa carrière dans le groupe Schneider, alors un des fleurons de l’industrie française. PDG de sa filiale Creusot-Loire, il contribua activement à la création et au succès du nucléaire civil.
Philippe Boulin s’est toujours vu comme un serviteur de la nation. Sujet brillant – un père professeur de médecine, des X à chaque génération –, sorti dans le corps des Mines, après un court séjour lorrain qui lui permit de fonder son foyer, il fut adoubé par Charles Schneider et la ville du Creusot devint sa première terre de mission. Il y ancra les bases de l’aventure nucléaire française, dont il fut l’un des artisans majeurs. Il s’imposa au fil des années comme le chef d’orchestre industriel du groupe Schneider, patron d’une escadre composée d’un vaisseau amiral Creusot-Loire et de ses escorteurs de spécialité, Merlin Gerin, Jeumont-Schneider, Framatome, dont il assuma jusqu’au bout la présidence.
Les débuts du nucléaire civil
Les temps étaient à l’orage et la décennie soixante-dix vit le groupe passer d’une restructuration à une autre. Mais simultanément se mettait en place la filière nucléaire française : une histoire qui débute dans les années soixante, s’accélère en 1974 avec le lancement d’une première tranche de centrales par EDF, arrive à sa maturité en 1981 avec la fin des accords de licence Westinghouse ; Framatome devenait maître de sa technique. Ce ne fut pas un long fleuve tranquille : rivalités industrielles, rivalité des ego, montée de l’écologie militante.
On connaît la fin de ce chapitre. Il quitta le bateau Creusot-Loire en décembre 1982, actant ses désaccords avec son actionnaire du moment. Le groupe déposa son bilan en juin 1984, victime d’un bras de fer inconséquent et irresponsable entre un capital à la vision étroite et les « arbitrages » politiques des pouvoirs publics de l’époque. L’amère fierté de mon père est que cette faillite ait finalement laissé peu de gens sans emploi et qu’à l’issue du processus de liquidation financière l’ensemble des créanciers de l’entreprise ait été remboursé. Framatome demeure l’œuvre de sa vie professionnelle.
« Son grand regret, c’est d’avoir dû assister en 1984 au naufrage dans l’indifférence générale, de Creusot-Loire. »
Son grand regret, c’est d’avoir dû assister en 1984 au naufrage, dans l’indifférence générale, de Creusot-Loire ; ce groupe, qui avait mis au monde et longtemps porté Framatome, aurait pu légitimement, au moment où il rencontrait de graves difficultés, tirer profit du succès de sa filiale : ce ne fut pas le cas. Le gouvernement n’entérina pas son projet de fusion des deux entités.
Ensuite, pour reprendre les mots du moment, Philippe Boulin s’est reconstruit, mettant son énergie au service de causes aussi diverses que la restructuration de la fonderie française, la présidence d’une des entités de la Générale des eaux, l’Afnor qui devient sous sa mandature le pilier central de la normalisation française, les instituts d’économétrie Rexeco-Ipecode, sans oublier la valorisation du charbon actif, sa dernière présidence, qu’il quitta en 2001, à l’âge de 76 ans, pour consacrer tout son temps à sa famille.
Un Sage de l’industrie
Dans chacune de ses responsabilités, il s’est investi, découvrant un nouveau métier, cherchant des horizons nouveaux : durant sa présidence, l’Afnor devint ce pilier central de la normalisation française. Vous vous souvenez peut-être, la France découvrait les fameux obstacles non tarifaires. Il avait popularisé le slogan : « La normalisation : avec vous, sans vous… contre vous ? » Il était devenu ainsi un Sage de l’industrie et bien entendu un référent en matière nucléaire. Cinq mots-clés ont marqué ceux qu’il a côtoyés : ingénieur, avec le besoin de comprendre, bienveillance de celui qui savait écouter et faire confiance, frugalité vis-à-vis de lui-même, fidélité à ses convictions, à ses amis, au Creusot, et enfin humour, qualité qui facilitait les échanges.