Philologues, linguistes et traducteurs

Dossier : Les X et l'écritureMagazine N°660 Décembre 2010
Par Christian MARBACH (56)

Il est amu­sant de trou­ver chez bien des poly­tech­ni­ciens une atti­rance pour la réso­lu­tion des pro­blèmes posés par la diver­si­té des langues. Il y faut beau­coup d’in­tui­tion et de rigueur, asso­ciées à une insa­tiable curio­si­té, un mélange d’es­prit de finesse et d’es­prit de géo­mé­trie, et une grande ténacité.

REPÈRES

Nombre de poly­tech­ni­ciens de toutes époques se sont lan­cés dans la trans­crip­tion des alpha­bets, des gram­maires et des styles, quand la situa­tion l’exi­geait, ou sim­ple­ment quand l’oc­ca­sion s’en pré­sen­tait. En cela, ils suivent les confron­ta­tions des Vil­liers du Ter­rage et autres Jomard, jeunes X de l’ex­pé­di­tion d’É­gypte, avec les hiéroglyphes.

L’at­trait pour les langues n’est pas seule­ment lié à l’u­ti­li­ta­risme ou à la curiosité

Empê­ché par une fièvre maligne de par­tir comme pré­vu en Égypte, Léo­nard de Ché­zy (1794) fut cepen­dant conduit à étu­dier les manus­crits rap­por­tés par l’Ex­pé­di­tion, avant de se mettre à l’a­na­lyse du sans­crit dont il devint un spé­cia­liste mon­dia­le­ment recon­nu, jus­qu’à deve­nir avec cette matière un des pre­miers X à être nom­mé au Col­lège de France : il y en eut bien d’autres depuis. Le Livre du Cen­te­naire lui rend hom­mage, ain­si qu’à de nom­breux autres X pas­sion­nés par l’é­tude des langues, dans un cha­pitre joli­ment consa­cré aux philologues.

Citons Louis Faid­herbe (1838). Nom­mé à deux reprises gou­ver­neur du Séné­gal, il jugea indis­pen­sable de connaître la langue des eth­nies de ce pays : il pré­pa­ra et édi­ta des dic­tion­naires dont un Voca­bu­laire d’en­vi­ron 1500 mots fran­çais, avec leurs cor­res­pon­dants en ouo­lof de Saint-Louis, en pou­lar (tou­cou­leur) du Fou­ta, en sonin­ké (sara­khol­lé) de Bakel publié en 1864.

Traducteurs

Argot
L’ar­got poly­tech­ni­cien est-il une langue étran­gère ? Il a don­né lieu à plu­sieurs études, et la der­nière, sous la plume de Fabrice Mat­ta­tia (90), est tou­jours dis­po­nible à la Sabix sous le titre : Dic­tion­naire d’ar­got de l’X.

Mais il serait erro­né de croire que l’at­trait pour les langues soit sim­ple­ment lié à l’u­ti­li­ta­risme ou à la curio­si­té. Quand Cler­mont-Ton­nerre (1799) quit­ta ses postes minis­té­riels par loyau­té envers Charles X, il se remit avec stoï­cisme à l’é­tude du grec ancien et pré­pa­ra une Tra­duc­tion nou­velle en fran­çais avec texte en regard des oeuvres com­plètes d’I­so­crate, édi­tée en trois tomes de 1862 à 1864. Il devint ain­si en quelque sorte le pré­cur­seur des X qui ont effec­tué une car­rière recon­nue de tra­duc­teur professionnel.

Signa­lons aus­si que d’in­nom­brables écri­vains X ont eu le plai­sir de voir leurs ouvrages tra­duits en de nom­breuses langues. Ain­si, Ray­mond Dumas (30), un excellent sta­tis­ti­cien et un des créa­teurs de l’IN­SEE et d’Eu­ro­stat, avait publié en 1959 un ouvrage très docu­men­té, mais qui res­tait à la fois simple à lire et facile à uti­li­ser sur les rap­ports entre L’en­tre­prise et la sta­tis­tique.

La pre­mière édi­tion fut sui­vie par de nom­breuses réédi­tions, mais ce dont Ray­mond Dumas était par­ti­cu­liè­re­ment fier, c’é­tait d’en mon­trer sur ses éta­gères les tra­duc­tions en diverses langues étran­gères, y com­pris la russe.

Michel Mal­herbe (50)
Il est incon­tes­ta­ble­ment le plus émi­nent des X phi­lo­logues. Dans son récent ouvrage auto­bio­gra­phique, Fonc­tion­naire ou tou­riste, mémoires d’un globe-trot­ter, il évoque les cir­cons­tances qui l’ont ame­né à assou­vir son inlas­sable appé­tit pour toutes les langues de la terre, et vous pou­vez trou­ver sous sa plume des dizaines de livres Par­lons « … » : on peut faire cor­res­pondre à « … » plus de cent soixante langues.

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