Pierre Cibié (1908−2006) : Chercheur et industriel des équipements automobiles
Le premier véhicule automobile équipé de projecteurs alimentés par une dynamo génératrice d’électricité n’est apparu qu’en 1912. Auteur de cent cinquante brevets, Pierre Cibié fabriquait, soixante ans plus tard, dix millions de projecteurs par an.
Pierre Cibié est mort en 2006 dans sa quatre-vingt-dix-neuvième année. Né en 1908 à Paris, il était le fils de Léon Cibié qui avait créé en 1919 la Société des projecteurs Cibié. Pierre Cibié entre à l’École polytechnique en 1927 et, dès qu’il en sort, rejoint l’usine paternelle où il met en oeuvre immédiatement les théories scientifiques qu’il vient d’acquérir et particulièrement celles concernant l’optique.
Jusqu’en 1912, les automobiles n’ont circulé la nuit qu’avec des projecteurs à acétylène
Son premier brevet date de 1931. Il concerne la mise en oeuvre de la lumière polarisée pour supprimer la gêne occasionnée par l’éblouissement lors du croisement de deux véhicules. À l’époque le faisceau d’éclairage de croisement était balbutiant. Tout le monde roulait la nuit en » pleins phares « . Cette solution technique innovante ne put malheureusement être appliquée, les conditions technologiques de réalisation de l’époque ne le permettant pas.
Quatre-vingts ans après, on peut cependant dire que les applications de cette solution, que l’on commence à voir apparaître sur certains véhicules (Mercedes et BMW, notamment), découlent de ce très lointain brevet.
Léon Cibié, pionnier de la fée électricité, avait créé en 1903 la société Astra pour fabriquer et commercialiser des lampes à arc puis, en 1913, il avait mis au point avec l’Armée les premiers systèmes d’éclairage (projecteur, dynamo et régulateur de tension) pour avion qui permettront aux Spad et Farman, pilotés par Guynemer, Fonck, Nungesser et d’autres, d’être les premiers, dès le début de la Première Guerre mondiale, à pouvoir décoller et atterrir de nuit. Il était donc normal que Léon Cibié, la paix revenue, s’intéresse au développement accéléré de l’industrie automobile.
Cent cinquante brevets
D’autres brevets allaient suivre (près de 150 au total, le dernier déposé en 2006), et, parmi eux, de nombreux brevets dont les applications sont devenues invisibles à l’automobiliste lambda, tellement leur utilisation courante fait partie de l’usage habituel du véhicule. Donnons quelques exemples.
• 1933 : répartition optique des stries sur la glace des projecteurs. Les projecteurs des véhicules actuels comportent généralement une glace lisse et totalement transparente – la répartition du faisceau lumineux se faisant par la modulation des formes du réflecteur – mais pendant plus de soixante-dix ans, le faisceau de lumière émis par le projecteur était étalé sur la largeur de la route grâce aux stries (dioptres) réparties par moulage sur la surface de la glace.
• 1936 : régloscope Ce brevet donne la conception d’une boîte optique permettant de contrôler tous ces paramètres dans n’importe quelles conditions. On peut voir cet appareil depuis soixante-dix ans dans presque tous les garages, stations- service et ateliers de concessionnaires.
• 1947 : code européen. Ce brevet, en introduisant dans la lampe du projecteur un écran obturant une partie du faisceau émis, donne la possibilité de diminuer l’éblouissement tout en relevant de 15° à droite (à gauche pour l’Angleterre) la partie de la plage éclairante sur le côté de la route. Cette solution, définitivement adoptée par l’Europe en 1957, s’est étendue à tout le parc automobile du continent, améliorant nettement la sécurité en conduite de nuit.
• 1956 : projecteur rectangulaire Il permet d’équiper les R16 et les Ami 6, premières voitures au monde, en 1960 et 1961, à être munies de projecteurs rectangulaires, entraînant la pleine adhésion des stylistes car cela leur donnait la possibilité d’abaisser le profil du véhicule, améliorant ainsi le Cx.
Un survol rapide de cent ans d’évolution de l’industrie automobile mondiale montre la mise en place d’une organisation industrielle des constructeurs et des équipementiers, identique mais décalée dans le temps. Tout d’abord, une ruée de précurseurs géniaux, en Europe et aux États-Unis, tels Renault, Benz, de Dion, Bouton, Panhard. Rien qu’en France, près de 400 marques de véhicules ont été enregistrées. Chez les équipementiers, c’est un peu semblable : Lucas, Bosch, Ducellier, Champion sont des personnes physiques qui sont devenues des marques. Leur nombre diminue considérablement par la suite.
Un pionnier de la normalisation
Pierre Cibié fut un des pionniers européens pour la normalisation et la réglementation de tous les produits fabriqués par sa société.
Bien avant que l’on parlât du Marché commun, il existait des accords techniques entre plusieurs pays et, dès le début des années cinquante, Pierre Cibié était l’un des fondateurs et, souvent, le président d’organismes tels que le CLEPA (Comité de liaison européen des pièces automobiles) ou le GTB (Groupe de travail de Bruxelles) et sa commission technique WP 29 traitant de l’évolution technique des systèmes d’éclairage et de signalisation ainsi que de leur normalisation.
Au service des équipementiers
Cibié cherche d’abord à placer ses produits sur les chaînes de montage des constructeurs
Soucieux de renforcer la position des équipementiers automobiles vis-à-vis de la toute-puissance des constructeurs, Pierre Cibié a beaucoup oeuvré à la FIEV (Fédération des industries des équipements de véhicules) dont il fut à deux reprises le président entre 1955 et 1975.
À l’orée de la Deuxième Guerre mondiale, les trois principaux fabricants de projecteurs d’automobiles sont en France et, dans l’ordre, Marchal, Ducellier, Cibié. Trente ans après, en 1970, Cibié sera en tête très largement devant Marchal et Ducellier. Que s’est-il passé entre-temps ?
Après avoir été fermées ou réquisitionnées pendant la Deuxième Guerre mondiale, les usines de constructeurs reprennent leur activité en juin 1945. Petitement, car les matières premières manquent – acier, verre, caoutchouc – et les usines, pour les traiter, ont été endommagées par les bombardements ou même complètement détruites.
Le nombre de véhicules fabriqués en 1946 et 1947 est faible, quelques dizaines de milliers tout au plus, et les équipementiers automobiles voient, dans la réparation et la remise en état des millions de véhicules du parc français immobilisés dans les garages ou conservés sur cales dans les granges pendant cinq ans, un marché potentiel beaucoup plus lucratif que les livraisons sur les chaînes d’assemblage des constructeurs.
Pierre Cibié prend cependant le contre-pied de cette politique et, visant le long terme, cherche d’abord à placer ses produits sur les chaînes de montage des constructeurs automobiles en première monte.
Une réputation diversifiée
En 1972, Pierre Cibié dirigeait un groupe d’environ 4 000 personnes qui fabriquait 10 millions de projecteurs par an, équipant des voitures de toutes marques et de tous pays. Parallèlement, les produits de la marque montés sur les voitures de courses d’endurance (Vingt-Quatre Heures du Mans) et de rallyes (Monte-Carlo, Tour de Corse, Rallye de l’Acropole, Course panaméricaine, Safari du Kenya, etc.) accompagnaient, pour le grand public, la réputation acquise auprès des constructeurs.
Lorsqu’en 1977 Pierre Cibié se retire des affaires et vend son groupe à Ferodo (plus tard dénommé Valeo), la société Cibié fait partie des trois premiers groupes mondiaux de fabrication de projecteurs pour automobiles.
En cinquante ans, le jeune polytechnicien, mort quasi centenaire, pouvait se réjouir des lumières qu’il avait apportées au monde de l’automobile.
Aux États-Unis
Les véhicules fabriqués sur le premier marché automobile mondial sont, depuis 1935, équipés de Sealed Beam qui, du point de vue technologique, sont plus des grosses lampes que des projecteurs. Les constructeurs locaux sont, pour certains, très conscients de la faiblesse de la fonction d’éclairage de leurs voitures mais la faiblesse de la densité automobile, compte tenu de l’immensité du pays, ne les pousse pas à changer un accessoire dont les moyens de fabrication puissants (les fournisseurs sont des groupes importants comme General Electric ou Westinghouse) et largement amortis permettent un prix d’achat très faible, de l’ordre de 1 dollar l’unité d’éclairage. L’inconvénient est qu’ils ne peuvent disposer que de blocs d’éclairage ronds. Lorsque Pierre Cibié, dès 1960, au cours des réunions techniques auxquelles il participe aux États-Unis, leur démontre les possibilités de modifications des lignes de carrosserie par l’utilisation de projecteurs rectangulaires, les stylistes se montrent très intéressés. Mais il faudra des décennies avant que ces solutions prennent pied sur ce marché.
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L’auteur de cette nécrologie
L’auteur de cette nécrologie a omis de mentionner que Pierre Cibié était missaire.