Pierre LUCAS (X44)
Pierre LUCAS nous a quittés le 29 septembre dernier. Né à Givry-en-Argonne le 13 juillet 1924, il fait ses études secondaires au lycée de Rennes et y prépare l’X.
Il est reçu à l’École en 1944, mais pour des raisons de santé, il fait ses deux ans d’études avec la promo 45. Il en sort dans le corps des télécommunications et après deux ans à l’ENST débute à la direction régionale de Rennes, où il est chargé de remettre en route le réseau perturbé par la guerre, notamment dans des villes sinistrées comme Saint-Malo et Brest.
Au bout d’un an il est affecté au CNET1 au département commutation dirigé par Gaston Letellier (23), où il devient très rapidement le spécialise des systèmes à barres croisées (ou crossbar) qui représentaient à l’époque le nec plus ultra en matière de centraux téléphoniques.
Il participe avec brio à la mise au point des premiers centraux crossbar, en système Pentaconta à Melun (1955) et en système CP400 à Beauvais (1956). Pierre Marzin (25), directeur du CNET, crée alors au printemps 1957 le département Recherches sur les machines électroniques (RME) qu’il confie à Louis-Joseph Libois (41), futur directeur général des télécommunications. Pierre Lucas le rejoint alors pour faire profiter le nouveau département de son expérience des commutateurs et des réseaux. Le programme était ambitieux : il s’agissait ni plus ni moins de hisser la France au niveau qu’avaient atteint les États- Unis, à une époque où notre pays était obligé d’importer les technologies nécessaires aux télécommunications. Cinquante ans après, l’existence de France Télécom et d’Alcatel atteste que ce pari fut gagné.
Pierre Lucas en fut un des acteurs éminents, discret mais inspiré, grâce à une imagination technique foisonnante et à une vision prospective particulièrement aiguë. Grâce à lui diverses solutions techniques ont pu être explorées, avant le choix des systèmes de commutation temporelle d’aujourd’hui : en particulier système semiélectronique à commutateurs crossbar (projet SOCRATE), systèmes à relais à tiges (projet PÉRICLÈS). Même si ces solutions n’ont pas été retenues par la suite, grâce aux travaux du Centre de recherches du CNET à Lannion sur la commutation temporelle, animé par Louis-Joseph Libois et André Pinet, elles ont permis de résoudre les problèmes de la commande des commutateurs par ordinateur, notamment ceux de la permanence du service et de l’écoulement du trafic.
Pierre Lucas n’a pas limité aux commutateurs téléphoniques son activité technique ; il a joué un rôle important dans la commutation de paquets (réseau TRANSPAC) et a créé les premières bases de ce qui allait devenir par la suite le réseau Internet. Sa fécondité s’est concrétisée par le dépôt de cinquante-quatre brevets et la rédaction de très nombreux articles, faisant mentir l’idée reçue selon laquelle les polytechniciens ne seraient pas créatifs. Il reçut d’ailleurs en 1985 le prix Christophe Colomb de la ville de Gênes pour l’ensemble de son œuvre, distinction prestigieuse attribuée avant et après lui à des acteurs majeurs de la science et de la technique. Il fut l’un des trois Français avec Louis Armand et Maurice Ponte à le recevoir depuis 1955. Parmi les étrangers on relèvera David Sarnof, George H. Gallup, Lojola de Palacio, commissaire européenne, la NASA ou l’Académie des sciences de l’URSS, excusez du peu !
Ses travaux s’accompagnèrent d’une intense collaboration avec les organismes internationaux, notamment l’UIT (Union internationale des télécommunications).
Retraité en 1989, il s’installe dans la maison familiale de Lézat-sur-Lèze (Ariège) avec son épouse Simone où il se met aussitôt au travail dans un domaine nouveau et rédige une Histoire de Lézat, qui est, pouvait-on en douter, un monument d’érudition. Il nous a quittés le 29 septembre et, dans un synchronisme émouvant, sa femme le suivit deux jours après laissant deux fils et une fille, huit petits-enfants et deux arrière-petits-enfants. Ingénieur général des télécommunications, il était chevalier de la Légion d’honneur et commandeur de l’ordre national du Mérite. Nous garderons fidèlement le souvenir de ce grand chrétien, riche de remarquables qualités humaines et de ce maître à penser des télécommunications.
1. Centre national d’études des télécommunications, aujourd’hui France Télécom Recherche