Pierre Nelson (51) scientifique aussi éminent qu’éclectique
Décédé le 3 octobre 2020, Pierre Nelson a consacré sa vie à la recherche, tout d’abord dans le domaine du nucléaire où il a été un des hommes clés qui ont permis à la France d’entrer dans la cour des grands, et ensuite dans le domaine de la biologie qui l’a amené à se passionner pour le fonctionnement du cerveau et du système nerveux.
Né le 26 juillet 1931, Pierre a 13 ans quand il est – avec sa mère, sa sœur, son frère et d’autres enfants de l’Union générale des Israélites de France – arrêté par les Allemands et déporté dans le camp de Bergen-Belsen « réservé » aux familles de prisonniers de guerre français. Les conditions de détention y sont réputées moins dures que dans les autres camps de sinistre mémoire. Mais tous les enfants n’en reviendront pas et il faudra un concentré de chance et de courage pour que, en 1945, Madame Nelson ramène à Paris toute sa couvée. Pierre Nelson reprend ses études au lycée Janson-de-Sailly et y laisse, en taupe, le souvenir d’un météore. Il est admis à l’X en 1951 et en sort dans le corps des ingénieurs de l’Aéronautique, non pas qu’il ait ressenti un quelconque appel de l’air, mais en raison de la réceptivité du corps à l’appel de la recherche.
Un pionnier de la modélisation
Au CEA, sous la houlette de Jules Horowitz, la direction des piles atomiques exerce une fascination sur les esprits avides d’aventure et de revanche. Il y passe quelques années, mais s’accommode mal du tempo exigé par le programme industriel en gestation. En 1958, la création du CEA DAM lui donne une seconde occasion de s’évader : dans un tout autre paysage, il apprend à jongler avec d’autres ordres de grandeur. Il excelle dans la modélisation avant que ce mot ne prenne l’ampleur que lui ont conférée l’ordinateur et l’analyse numérique. Une certaine méfiance pour l’expérience et, aussi, une précoce familiarité avec le relativisme de Karl Popper (1902−1994) l’ont regrettablement éloigné des rivages de la grande découverte.
Rivalité franco-chinoise
L’épisode suivant est révélateur du rôle de science angel qu’il n’a cessé de jouer. En 1967, le président Charles de Gaulle s’irrite de plus en plus ouvertement de voir le rival chinois s’approcher, de faux pas en faux pas, du seuil thermonucléaire. Au CEA DAM, pressé par le pouvoir politique de faire la percée qui mène à la bombe H, les tentatives se multiplient, plus ou moins étayées, plus ou moins originales.
Pierre Nelson, à la tête du GET (Groupe d’études thermonucléaires), est chargé de mettre de l’ordre dans ce vivier. À la fin du printemps 1967, une « idée géniale » (sic) attire son attention à tel point qu’il incite son auteur – le jeune et modeste ingénieur de fabrications d’armement Michel Carayol (54) – à ne partir en vacances qu’après l’avoir consignée dans une note en bonne et due forme. Associée à deux autres apports de Pierre Billaud (39) et Luc Dagens, « l’idée géniale » conduit à l’architecture des engins expérimentaux qui, en 1968, exhibent la mégatonne d’énergie de fusion et accréditent l’entrée de la France dans la cour des grands.
Mémorable aussi, et plus personnel, est le souvenir de ce jour de janvier 1972 où, revenant du petit village pyrénéen où il passait le congé de Noël avec sa tante, Pierre m’apporta quelques pages manuscrites où était définitivement cadré le difficile problème de l’autosûreté des amorces.
De l’atome aux neurones
Il n’aimait pas parler de lui, ni de ces épreuves qui l’avaient profondément marqué, et induit en lui une ironie mordante et une désinvolture qui en ont décontenancé plus d’un. Mais son humilité était une bénédiction pour quiconque avait l’honneur et le privilège d’attirer sa confiance. En vérité, il trouvera satisfaction et épanouissement dans la biologie, comme en témoigne son ouvrage La logique des neurones et du système nerveux édité par Maloine-Doin en 1978. En 1982, il publiera chez le même éditeur Neuro-physiologie des instincts et de la pensée.
Commentaire
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Merci pour ce portrait de Pierre Nelson. J’ai travaillé avec lui au GET et dans d’autres circonstances. Il avait du charisme en plus de grandes qualités de physicien dont je peux témoigner (pour la biologie je laisse cela à d’autres). Les épreuves subies pendant la guerre et l’occupation avaient entrainé chez lui un certain détachement par rapport aux péripéties de la vie professionnelle et en société. On retrouve cette même distance dans son livre « Une enfance si douce » paru chez l’Harmattan où il raconte sans fioritures ni pathos les tribulations d’une famille ballotée en France de camp en résidence plus ou moins clandestine avant la déportation qui s’achève sur un périple hallucinant au milieu d’une Allemagne en ruines. Il se dégage en creux dans cet ouvrage un portrait de femme qui aide à comprendre tout le respect que son fils ainé lui portait.
A mon grand regret, j’avais perdu le contact avec Pierre Nelson après mon passage à l’université. Il reste le souvenir d’une personnalité singulière qui fut aussi un ami très cher.