Pierre Rouchon (80) Mathématicien heureux
Pierre Rouchon, mathématicien accompli, est un homme heureux. Bien dans sa peau, il vous met d’emblée à l’aise. Didactique d’héritage maternel et de tempérament, il aime expliquer sa voie de recherche. Un optimiste, émule en cela de Michel Serres, il reste cependant critique de l’absorption des élèves par les seules prépas parisiennes ; ou de celle des jeunes par des vidéos visionnées sur leurs bidules, sautant de l’une à l’autre.
“Didactique d’héritage maternel
et de ‑tempérament,
il aime expliquer sa voie de recherche.”
Il faut travailler !
Son patronyme dérive, semble-t-il, du mot « roche ». Et, nonobstant son insigne chaleur humaine, c’est un roc ! Sa parentèle est issue de la population des mineurs, français et italiens, de la région de Saint-Étienne, où il passa son enfance : un père ingénieur des Mines d’Alès, une mère normalienne, agrégée de mathématiques et professeure de terminale scientifique ; « ils nous ont bien fait comprendre qu’il fallait travailler ». Un grand-père ébéniste, dont il hérita la prédilection pour le bois de noyer, ainsi que son habileté manuelle. Deux sœurs, une aînée passée par HEC et une cadette, Véronique (86), dont on aura pu lire ici le portrait (n° 710, p. 36–37). La prépa à Saint-Étienne, avec un professeur de mathématiques exceptionnel (« Rouchon, je te prépare à l’X, pas à Ulm »), Jean-Marie Exbrayat : en 1980, pas moins de sept de ses élèves intégrèrent l’X !
Polytechnicien studieux
Accédant à l’École, ce fut aussi sa découverte de Paris. Il y est resté depuis. Il habite Meudon, avec son épouse Blandine Vinson-Rouchon, ingénieure de l’Armement. Ils ont un fils, ingénieur Supélec, et une fille Amélie, docteure en énergie nucléaire (2016). Son laboratoire et ses bureaux se trouvent à l’École des mines et aussi à l’Inria.
Pierre entra à l’École dans un bon rang, entre 40e et 50e, et en sortit 5e de sa promotion, dans le corps des Mines. Il garde un bon souvenir de sa scolarité, tout particulièrement de l’enseignement de Roger Balian en mécanique quantique. Il fut séduit en fait par la plupart des cours que l’École lui offrit : il me cita aussi, en maths et maths appliquées, ceux de Michel Métivier, Yves Meyer, Jacques-Louis Lions, Pierre Faurre, Charles Goulaouic ; en mécanique Paul Germain, en économie Thierry de Montbrial, en chimie Georges Guiochon… Ce dernier lui suggéra son travail de fin d’études, qu’il poursuivit par une thèse de doctorat (1990) sur la simulation dynamique et le contrôle non linéaire des colonnes à distiller.
Un mathématicien pragmatique
Il devint dès lors un spécialiste reconnu en contrôle des systèmes, de toutes tailles et complexités. Il aime observer leur fonctionnement, de façon à l’optimiser. Son travail le passionne. Il est professeur aux Mines de Paris, où il dirigea le Centre automatique et systèmes. Il fut professeur chargé de cours à l’X de 1993 à 2005.
Sa grande force, tout à l’opposé du stéréotype d’un matheux plongé dans l’abstraction, est la vigueur de son sens pratique, de son goût pour l’observation de la réalité. Deux exemples : « Si vous avez déjà conduit en marche arrière une voiture avec une remorque, vous savez qu’intuitivement vous allez prendre la trajectoire de l’arrière de la remorque comme repère. C’est ce que l’on appelle une “sortie plane” ; l’ensemble voiture plus remorque forme un “système plat” pour lequel des algorithmes simples de planification et de suivi de trajectoires sont disponibles. […] Une grue est un autre exemple de système plat. En prenant comme sortie plane la trajectoire de la charge portée, et non pas celle du bras ou du treuil, il y a bien moins de calculs à effectuer. » Les systèmes plats sont analogues aux systèmes intégrables, pour des systèmes différentiels sous-déterminés.
Comment contrôler des photons ?
Depuis 2000, après avoir suivi les cours de Serge Haroche – major à l’entrée à l’X en 1963 mais ayant néanmoins choisi la rue d’Ulm – au Collège de France, il se passionne pour le contrôle des systèmes quantiques (« j’ai surtout une mobilité thématique »). Avec Mazyar Mirrahimi et Nina Amini, deux de ses anciens étudiants, il aide l’équipe de Serge Haroche à mettre au point la première boucle de rétroaction à l’échelle quantique. Cette collaboration se marque par un feed-back qui permit en 2011 de contrôler des photons piégés entre deux miroirs, et stabiliser leur nombre autour d’un nombre entier de quelques unités. Cette splendide expérience a été citée dans les attendus du prix Nobel de physique attribué à Serge Haroche en 2012.
Pierre Rouchon adore les paysages – à vrai dire sublimes – de la Haute-Loire, où il a sa maison de vacances. Outre le bricolage, dont le goût lui vient de son grand-père, il affectionne la randonnée pédestre.
Quel tempérament ! Quel virtuose de l’équilibre de toute sorte !
Pour en savoir plus
Fliess (Michel), Lévine (Jean), Martin (Philippe) et Rouchon (Pierre), « Sur les systèmes non linéaires différentiellement plats », CR Acad. Sci. Paris, t. 315, Série I, p. 619–624, 1992 ; « Flatness and defect of non-linear systems : introductory theory and examples », International Journal of Control, 1995, 61(6), 1327–1361.
Sayrin (Clément), Dotsenko (Igor), Zhou (Xingxing), Peaudecerf (Bruno), Rybarczyk (Théo), Gleyzes (Sébastien), Rouchon (Pierre), Mirrahimi (Mazyar), Amini (Hadis), Brune (Michel), Raimond (Jean-Michel) & Haroche (Serge), « Real-time quantum feedback prepares and stabilizes photon number states » Nature, 477, 73–77 (1 September 2011).