Pilotage du changement dans l’entreprise : mythes et réalités
Ce n’est pas tant le changement qui préoccupe les entreprises – il est devenu une situation » normale » – c’est la capacité à le préparer, à le maîtriser et à l’entretenir qui mérite attention.
La poursuite de stratégies de changement échoue trop souvent dès leur préparation et dans leur mise en œuvre.
Or, le coût du changement non maîtrisé est devenu insupportable. Les effets négatifs de changements mal vécus sont désastreux. Les stratégies de confrontation sont alors vouées à l’échec.
Quels sont donc les mythes auxquels les responsables sont facilement confrontés dès le stade de la préparation, quelles difficultés classiques rencontrent les praticiens, quel accompagnement encourage la naissance du changement ? Telles sont les interrogations auxquelles ce bref article va tenter de répondre, en esquissant un modèle cognitif simple fondé sur l’expérience de nombreux changements majeurs dans l’industrie et les services.
A – Préparer son projet… pour le mettre en place
L’idée qui germe dans la tête du responsable porte en soi la tempête : on a coutume de dire que le chef d’entreprise est seul. Seul en effet il l’est, entouré par les sages observateurs de notre temps, qui lui prédisent les pires catastrophes et autres perturbations de la planète. La tentation immédiate qui en résulte est de se jeter dans la tourmente, et donc de » changer » quand bien même le temps ne serait pas favorable : l’eldorado ou la terre promise sont là, ils justifient la croisade. Pour le reste, l’entreprise se débrouille.
Mythe n° 1 : » Il suffit de décliner l’objectif stratégique en projet »
Oui, mais l’objectif stratégique ne se transforme pas immédiatement en projet stable partagé par ses acteurs. Le paradoxe d’un changement répondant à l’objectif stratégique, mais mal dosé, aux impacts mal appréciés, est qu’il permet certes de mettre en mouvement l’entreprise, mais que l’ornière ou le tournant seront difficiles à négocier ! Les capacités de l’entreprise à affronter la tempête seront d’autant plus réelles qu’elles auront été évaluées.
Depuis longtemps on sait que les meilleures fusions ne réussissent que parce que les facteurs de synergie ont été correctement anticipés : ces facteurs de synergie sont rarement visibles immédiatement. À quoi mène une réduction de coûts brutale si elle n’est suivie d’un effet positif pour les clients, ce qui suppose un véritable travail en profondeur dans l’entreprise. Sinon le risque est grand de perdre des clients. Dans le même esprit de nombreux projets d’externalisation ont fait machine arrière avant d’atteindre leurs objectifs.
Heureusement, il arrive que les origines du changement soient ancrées dans l’entreprise : le changement a alors toute chance de résister durablement aux intempéries, dès l’instant que l’idée du changement est cohérente avec la stratégie ou qu’elle en constitue l’un des fondements.
Mythe n° 2 : » Il faut convaincre les opposants, et ignorer les indécis »
C’est tout le contraire ! La stratégie conduit à formuler un projet d’autant plus efficace qu’il est partagé par ses acteurs. Tout l’art consiste alors à réaliser un consensus entre un nombre limité d’acteurs pour commencer (le premier cercle, soit 8 à 10 personnes). Si un projet n’est partagé que par le patron et son DRH, il a toute chance de trouver peu d’échos auprès des autres qui vont se méfier. Chacun a son mot à dire, mais craint pour sa chapelle, et s’effraye de l’irruption de méthodes nouvelles susceptibles de troubler le corps social.
Que faire : face à ces situations le manager moderne dispose de méthodes injustement méconnues, inspirées de la sociodynamique (Jean-Christian Fauvet in La Sociodynamique du Changement). Cette discipline à part entière conduit à décrire le jeu des acteurs et à proposer des moyens pour l’action en vue de développer l’organisation.
Mais revenons au projet controversé : tout l’art consiste à mesurer l’énergie positive et l’énergie négative des acteurs.
Certes des alliés apparaissent, et inévitablement des opposants.
Les opposants font du bruit, manifestent. Telle la pie obnubilée par ce qui brille, le manager se focalise sur le jeu des opposants et ignore des alliés potentiels, tous acteurs indécis ou silencieux.
Or ces acteurs sont les plus nombreux et les plus importants à convaincre, quitte à ignorer les opposants, du moins provisoirement.
B – Mettre en place le changement… pour arriver au résultat
Mythe n° 3 : » Il suffit de décider pour obtenir »
En fait, un projet sans responsable dédié a peu de chance de succès.
Le choix d’un véritable porteur de projet constitue une gageure : à travers communication et coordination, le porteur du projet en véhicule l’image et c’est lui qui se retrouve en première ligne confronté aux regards de tous les acteurs.
Mythe n° 4 : » Il suffit de généraliser le pilote »
L’organisation holomorphe idéale n’est jamais aussi accessible qu’on le croit (N.B. : pour J.-C.Fauvet, l’organisation holomorphe est celle à laquelle tout manager aspire, celle où la forme du tout se retrouve dans chaque partie).
Les grands groupes internationaux, européens, développent leur organisation en souhaitant atteindre cet idéal (global/local).
Hélas, ceux-ci rencontrent des déconvenues, autant d’ailleurs parce que la complexité locale est bien réelle, que parce que concomitamment les managers éprouvent leurs capacités de synthèse (à l’ENPC, nous cherchons à développer ces capacités de synthèse en formant aux outils de pilotage de projets, processus, investissements, développement, valeur, et en les confrontant à des situations complexes réelles).
C – Accompagner le changement… en le semant
Une fois que les décisions sont prises, qu’un projet est présenté de façon convaincante, qu’un porteur de projet y consacre son énergie en jouant peut-être sa carrière, ce n’est pas terminé.
Mythe n° 5 : » Il suffit d’avoir un bon bateau pour gagner des régates »
Erreur : à quoi sert le meilleur coursier des mers si l’équipage n’est pas à la hauteur ? Les meilleurs projets échouent parce qu’ils ne se concrétisent pas dans l’entreprise. Une fois le premier cercle du projet formé, il serait vain de croire que le corps social va suivre, sans travailler aux conditions de mise en mouvement de l’entreprise dans son ensemble, sans disposer des relais, sans développer une véritable ingénierie du changement. Le changement a besoin pour réussir de deux conditions majeures :
- l’une concerne l’ingénierie de détail, utile à la préparation du changement et au suivi (du bateau),
- l’autre concerne la mise en mouvement individuellement et dans les équipes.
Des grands groupes aujourd’hui mesurent le temps passé en coûteux projets de conseil, alors que l’ingénierie préalable résiste mal au premier reporting qui suit une décision de changement majeur. Le temps n’est en effet plus alors de conseiller et faire, car cette responsabilité est délicate, mais bel et bien de conseiller et former pour :
- assurer la pérennité du changement : rien de pire qu’un projet de changement qui s’essouffle faute de compétences individuelles ;
- accompagner la dynamique dans les équipes : le corps social s’approprie le changement quand il a compris qu’il disposait de marges de manœuvre et que des équipes autonomes pouvaient fort bien relayer des actions de progrès que des cadres formés pouvaient susciter.
Ne nous y trompons pas : c’est une révolution. Révolution pour les consultants alors plus praticiens formateurs qu’acteurs. Révolution pour les hommes de l’entreprise qui vont trouver dans la formation et un accompagnement adaptés les chemins qui mènent leur projet au succès. Révolution pour l’entreprise ainsi mieux préparée aux dures réalités du jeu commercial et concurrentiel.