Piotr Ilitch Tchaïkovsky : La Dame de pique
Les deux plus célèbres opéras de Tchaïkovski, Eugène Onéguine et La Dame de pique, ont pour origine les vers de Pouchkine, symbole du romantisme russe.
En fait entre ces deux opéras, les similitudes sont très nombreuses, au-delà du poète : le style orchestral se ressemble tellement que tel ou tel passage de l’orchestre semble pris de l’un ou de l’autre. Les deux opéras débutent par un chœur qui met dans l’ambiance (très différente il est vrai), les airs de basses semblent interchangeables, le jeu avec les thèmes (presque des leitmotive, plus nombreux chez La Dame de pique) est de même nature.
Et l’on retrouve une scène de duel dans les deux opéras (Pouchkine est mort en duel, cinq ans après les romans qui inspirèrent les deux opéras).
Mais autant Eugène Onéguine met en scène la campagne russe, à la Tchekhov, autant La Dame de pique met en scène la ville, Saint-Pétersbourg. Cette histoire fantastique de jeu, d’amour contrarié, d’obsession et de folie, de destruction, d’attirance de la mort et d’excès est magnifique.
La malédiction de la Dame de pique nous prend du début de l’opéra (le thème de la malédiction arrive très vite) jusqu’à la fin.
La musique de Tchaïkovski est superbe, au romantisme exacerbé et à l’orchestration efficace. Il s’offre le luxe de paraphraser de longues minutes le vingt-cinquième concerto de Mozart dans le second acte (une longue scène pastiche du XVIIIe siècle, avec spectacle et ballet) et de construire la scène de la mort de la comtesse autour d’une chanson française, et en français.
La production du théâtre de Barcelone en 2010 a beaucoup de mérite. Des chanteurs de premier plan, dont Hermann, le superbe ténor Misha Didyk, spécialiste du rôle, et aussi notre Ludovic Tézier impressionnant, la soprano Emily Magee, connue pour ses Strauss, touchante.
Mais on se souviendra longtemps, dans son sommeil même, de la comtesse, cette « Dame de pique » qu’incarne l’incroyable Ewa Podle´s. Cette contralto polonaise a été célèbre dans les années 1980 et 1990.
Impressionnante dans Haendel comme dans les mélodies de Chopin, elle interprétait aussi une Opinion publique désopilante dans le célèbre Orphée aux Enfers d’Offenbach revu par l’équipe Minkowski- Pelly-Dessay-Naouri au Châtelet, prouvant l’étendue de son répertoire.
Ce soir-là à Barcelone, son interprétation est grandiose. Lors des minutes qui précèdent sa mort, elle est hallucinante, au sens propre, hypnotique. Elle meurt en chantant en français la chanson de son souvenir devant un Hermann désemparé (car elle meurt sans lui donner son secret).
Les décors et costumes sont très élégants, bien que traditionnels. Les changements de décors sont même assez impressionnants.
Bien filmé (l’orchestre aussi, c’est rare), ce spectacle est celui à avoir en image aujourd’hui pour La Dame de pique.