PIOTR ILLITCH TCHAÏKOVSKI
L’orchestre du théâtre Mariinsky de Saint-Pétersbourg est une des plus anciennes institutions musicales d’Europe, dont l’origine plonge au début du XVIIIe siècle. Dirigé par les plus grands chefs de la fin du XIXe siècle et du XXe siècle, il fit la création de nombreuses oeuvres et opéras de Tchaïkovski, Prokofiev, Rimski- Korsakov et Moussorgski. Renommé théâtre du Kirov pendant la période soviétique, il a repris son nom dans les années 1990. L’arrivée du grand Valery Gergiev à sa tête il y a vingt-cinq ans s’est conjuguée avec l’ouverture du pays à l’extérieur et à l’économie privée. L’orchestre et son chef sont désormais un des ensembles les plus attendus et demandés dans le monde. Les entendre, et les voir, dans ce qui est un des sommets du monde symphonique russe est une formidable occasion d’en comprendre les raisons objectives.
Ces trois symphonies composées entre 1877 et 1893 ont la particularité commune d’être marquées par l’émotion tragique, Tchaïkovski faisant ressentir aux auditeurs son pathos, le poids du destin, du fatum disait-il, sur ses épaules et celles des hommes, impression qui ne quitta pas l’artiste entre son mariage raté pour cause d’homosexualité et sa mort mystérieuse dix-sept plus tard, période où s’étend la composition de ces trois symphonies.
En tournée européenne, c’est de passage salle Pleyel début 2010 que l’orchestre et Gergiev ont enregistré cette somme sous les caméras imaginatives d’Andy Sommer (celui qui a réalisé les magnifiques sonates de Beethoven par D. Barenboïm, 6 DVD EMI). Souvent désormais, ces artistes publient leurs disques et DVD sous leur propre label « Mariinsky ».
L’image permet de profiter parfaitement du style original de direction de Gergiev, avec des mains extrêmement expressives et probablement hypnotiques pour l’orchestre, et les mouvements de l’ensemble de son corps, parfois halluciné. Les symphonies sont dirigées avec l’emphase et l’expressivité nécessaire à cette musique, avec variations de tempo continues et des rallentandi à se damner. Ce n’est jamais vulgaire mais toujours très « interprété ». Valery Gergiev, dans la très intéressante interview en bonus, explique combien la direction d’une symphonie de Tchaïkovski nécessite de complicité physique avec cette musique. Et la réalisation en image nous fait encore mieux ressentir cette leçon de direction d’orchestre où une centaine de musiciens sont constamment soulevés vers plus d’expression (préférez le Blu-Ray, avec une image et un son encore supérieurs).
L’originalité de certains mouvements (le scherzo de la 4e Symphonie qui est entièrement en pizzicato des cordes ou en solo des bois, le final de la 6e Symphonie qui est un adagio bouleversant, la récurrence du thème du fatum dans tous les mouvements de la 5e…) saute alors aux yeux. De plus, la réalisation enchaîne les mouvements sans nous montrer la pause entre les mouvements, où d’habitude les musiciens soufflent mais où le public, en particulier à Paris, lance souvent un concours de toux : cet enchaînement est une situation idéale jamais réellement atteinte en concert. Ce film est le moyen parfait de découvrir ou de creuser ces symphonies grandioses.
Gergiev et le Mariinsky ont aussi enregistré les trois premières symphonies, qu’il nous a été donné de visionner. Espérons qu’elles soient un jour disponibles, car dans ce répertoire bien plus rarement joué, Gergiev fait extrêmement bien ressortir la modernité de ces trois œuvres surnommées Rêves d’hiver, Petite Russie et Polonaise.