Plaisir de la musique

Plaisir de la musique

Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°798 Octobre 2024
Par Jean SALMONA (56)

La vie d’un homme devrait être une marche solen­nelle au son d’une musique exquise…

Hen­ry David Tho­reau, Journal

Il est des musiques qui ont pour seule ambi­tion de pro­cu­rer à l’auditeur du plai­sir au pre­mier degré, plai­sir dont il ne res­te­ra rien, l’écoute ter­mi­née. Il est aus­si des musiques bien écrites mais ennuyeuses : celles-là sont à jeter au panier. Mais, si une pièce de musique vous apporte à la fois le plai­sir sen­suel et le raf­fi­ne­ment d’une écri­ture com­plexe, éla­bo­rée, voire géniale, alors c’est le nir­va­na. Trois disques récents se situent dans cette caté­go­rie rare.

Vienna, joyful apocalypse

La période qui a pré­cé­dé l’effondrement pro­gram­mé de l’Empire aus­tro-hon­grois a été mer­veilleu­se­ment décrite par Ste­fan Zweig dans Le Monde d’hier, Sou­ve­nirs d’un Euro­péen. Au moment où l’on s’interroge avec inquié­tude sur la péren­ni­té de la civi­li­sa­tion euro­péenne, l’évocation de cette période où les arts, et tout par­ti­cu­liè­re­ment la musique, avaient atteint un niveau inéga­lé de raf­fi­ne­ment, et où l’on pres­sen­tait que tout cela allait dis­pa­raître bien­tôt, a un sens que l’on espère non prémonitoire. 

C’est à cette évo­ca­tion que le pia­niste Auré­lien Pon­tier consacre son disque Vienne, ‑l’Apocalypse joyeuse, un disque excep­tion­nel à plus d’un titre. Par le choix des pièces, dont la com­plexi­té sub­tile les situe au som­met de la musique tonale ; et par l’ébouriffante vir­tuo­si­té de l’interprète. Écou­tez le Concert para­phrase sur des thèmes de Johann Strauss II, écou­tez la trans­crip­tion par Rach­ma­ni­nov du Lie­bes­leid de Kreis­ler, la Valse oubliée en la mineur de Liszt, au total une quin­zaine de pièces qui se clôt sur ce qu’Aurélien Pon­tier appelle « le tour­billon fatal » de La Valse de Ravel. Un pur bon­heur, rare. 

1 CD WARNER

Impressions parisiennes

Le qua­tuor est la forme reine de la musique de chambre. Le jeune et brillant Qua­tuor Van Kuijk a entre­pris de trans­crire pour qua­tuor diverses œuvres emblé­ma­tiques de la musique fran­çaise des années 1870–1945, toutes mar­quées par une écri­ture raf­fi­née et des lignes mélo­diques exquises, au pre­mier plan des­quelles six pièces de Fran­cis Pou­lenc, qui pour­raient consti­tuer le qua­tuor que Pou­lenc n’a jamais écrit, dont Fêtes galantes, Fleurs, et bien enten­du Les che­mins de l’amour ; de Debus­sy la Petite Suite, de Ravel la Pavane pour une infante défunte, de Fau­ré quatre mélo­dies Les Ber­ceaux, Clair de lune, Après un rêve, Man­do­line, d’Erik Satie la chan­son paro­dique Je te veux. Tout en étant rigou­reu­se­ment fidèles à l’original, les trans­crip­tions témoignent d’une recherche har­mo­nique savante qui réjouit l’amateur éclai­ré. Ces pièces sont entre­lar­dées de com­po­si­tions du pia­niste de jazz Bap­tiste Tro­ti­gnon, créa­tives et bien en situa­tion. Une heure de plai­sir subtil.

1 CD ALPHA CLASSICS

Szymanowski par Jonathan Fournel

Szy­ma­nows­ki est encore rela­ti­ve­ment peu connu et peu joué. Il est pour­tant un des com­po­si­teurs majeurs de la pre­mière moi­tié du xxe siècle. Sa musique, très ori­gi­nale, se situe proche de Scria­bine et influen­cée par Cho­pin puis par Debus­sy. Jona­than Four­nel a enre­gis­tré deux pièces majeures pour pia­no, qui datent du début du siècle : les Varia­tions en si bémol mineur et les Varia­tions sur un thème folk­lo­rique polo­nais. Szy­ma­nows­ki cultive la com­plexi­té tout en cher­chant à séduire son audi­toire. Sur le même CD, Jona­than Four­nel inter­prète la Sonate n° 3 de Cho­pin en si mineur, une des plus belles inter­pré­ta­tions que nous connais­sions : clar­té, absence de pathos. Cou­rez décou­vrir Szy­ma­nows­ki – et redé­cou­vrir Chopin.

1 CD ALPHA CLASSICS

Au fond, si l’on excepte Bach qui se situe dans un autre uni­vers, toute musique ne devrait-elle pas être, avant tout, exquise ?

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