Plus de 30 ans d’expertise dans l’hydrogène liquide !
Le CNES est un acteur méconnu de la filière hydrogène qui, depuis plus de trois décennies, a développé une expérience et une expertise avérées en matière d’hydrogène liquide. Patrick Burdaszewski chef de service Process et Équipements à la Direction du Transport Spatial, nous en dit plus.
Le CNES dispose d’une expérience de plus de 30 ans dans la mise en œuvre d’hydrogène liquide au profit des lanceurs Ariane 4, Ariane 5 et plus récemment Ariane 6. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Les équipes du CNES ont été assez tôt confrontées aux contraintes de mise en œuvre de l’hydrogène liquide avec le programme Ariane (1er tir Ariane 1 le 24 décembre 1979) avec le troisième étage équipé du moteur HM7 (LOx/LH2). Puis, à l’occasion de l’essor d’Ariane 4, avec un premier tir le 15 juin 1988, l’expérience cryogénique du CNES s’est largement développée et renforcée. Les volumes de LH2 impliqués dans le lanceur lourd Ariane 5 ont nécessité la construction d’une usine locale de production dans les années 90. Cette usine située en plein cœur du Centre Spatial Guyanais ne produit de l’hydrogène liquide que pour le lanceur Ariane. Aujourd’hui, l’usine exploitée par Air Liquide Spatial Guyane a bénéficié d’un plan de traitement d’obsolescence financé par l’ESA et est prête à répondre aux besoins du lanceur Ariane 6.
Dans ce cadre, quels sont les expertises et savoir-faire que vous avez développés ?
Dans les années 90, le CNES a participé avec Air Liquide à la création de la filière hydrogène au Centre Spatial Guyanais. Cette industrialisation sur le territoire guyanais a été très complexe pour diverses raisons (l’absence de ressources gazières, de fortes contraintes logistiques, l’absence de tissu industriel) et a abouti au développement d’une filière dédiée au spatial.
En parallèle, les volumes mis en œuvre durant les chronologies de lancement Ariane ainsi que le caractère non-linéaire des campagnes de tirs ont conduit à concevoir une logistique LH2 très singulière, basée sur des stockages cryogéniques hors norme. Afin de gérer une production industrielle continue et les importantes consommations des jours de chronologie Ariane, le CNES a fait le choix de s’appuyer sur des réservoirs semi-mobiles (RSM) pour transporter le LH2 des usines de production jusqu’en zone de lancement. Ces RSM LH2 peuvent contenir chacun jusqu’à 320 m3 utiles de LH2 et font partie des plus gros stockages cryogéniques LH2 mobiles au monde. La gestion des boil-off, des pertes par flash, de la stratification thermique et des inconsommables font partie depuis plusieurs années du quotidien des équipes de développement et d’essais du CNES.
La distribution de LH2 représente aussi un véritable challenge, car l’hydrogène liquide cumule plusieurs contraintes, dont bien évidemment sa très basse température (20 Kelvin ou ‑253°C) qui contraint bien plus sa mise en œuvre que celle des fluides cryogéniques « traditionnels » (azote, oxygène, argon ou méthane liquides) ; la taille de la molécule d’hydrogène qui durcit de son côté les critères d’étanchéité ; sa forte inflammabilité qui génère une sécurité accrue dans les zones voyant circuler le gaz ; sa faible chaleur latente molaire qui complexifie le maintien en froid des lignes d’avitaillement auxquelles s’ajoutent des contraintes liées aux assainissements poussés des circuits avant introduction de LH2. L’ensemble de ces problématiques est pris en compte par le CNES dans le design des installations, le suivi du développement industriel, le suivi chantier sur la base spatiale et à l’occasion des tests de performance grandeur réelle menés également par le CNES.
Le volet sécurité est indissociable du volet opérationnel, notamment en ce qui concerne le traitement des effluents gaz et liquides ainsi qu’au niveau des systèmes de détection adaptés en fonction de la nature du risque et des objectifs de mesure. En outre, le CNES, à travers sa composante « Sauvegarde du Centre Spatial Guyanais », a développé une fine expertise au service de l’analyse de risques, l’analyse des zones de danger et les mesures en diminution de risque à apporter. L’utilisation massive d’hydrogène liquide lors des chronologies de lancement Ariane à Kourou et la gestion du plus important stockage d’Europe confèrent ainsi au CNES et plus particulièrement aux équipes de la sous-direction Développement Sol une expérience incomparable dans le cycle complet du LH2 (production, stockage, distribution).
Ces compétences sont particulièrement recherchées par le secteur portuaire et aéroportuaire. Quels sont les projets qui vous mobilisent dans ce cadre ?
Aujourd’hui, les infrastructures portuaires et aéroportuaires souhaitent acquérir le plus rapidement possible cette expérience. En France, seuls les grands gaziers, le CNES et ArianeGroup possèdent cette expérience industrielle. C’est dans cette logique que l’accord de partenariat entre le CNES et la CMA CGM a été noué. Essentiellement axé sur l’utilisation des données spatiales, ce partenariat inclut également un volet hydrogène afin d’accompagner le transporteur maritime français soucieux de verdir son activité. Le CNES est par ailleurs sollicité pour apporter son expertise dans le secteur aéroportuaire.
En parallèle, avec l’Agence Spatiale Européenne vous avez lancé un projet d’unité pilote de production d’hydrogène vert. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce projet et son état d’avancement ?
Le projet HYGUANE, HYdrogène GUyanais A Neutralité Environnementale, est né d’une volonté de l’ESA et du CNES d’embarquer des ergols verts dans le lanceur Ariane 6 et de développer tout un écosystème autour de l’hydrogène sur le territoire guyanais. C’est un projet hors du commun car il réunit toutes les composantes d’un écosystème complet ; la production d’hydrogène vert sera assurée via un électrolyseur à membrane échangeuse de protons (PEM) alimenté par une énergie renouvelable issue d’un champ photovoltaïque dédié. Le gaz sera alors épuré et injecté dans le système de liquéfaction existant à Kourou pour pourvoir être utilisé par Ariane 6.
L’usage lanceur créera ainsi les conditions favorables aux développements de nouveaux usages d’avenir pour le territoire : l’usage stationnaire (Piles A Combustible) et la mobilité lourde H2 (transport de personnes et marchandises). Pour ce faire, le projet inclut une station de conditionnement et de stockage d’hydrogène gazeux, des moyens de transport d’hydrogène gazeux, une station d’avitaillement ainsi que des véhicules lourds hydrogène (Car, bus VIP et tracteur) et deux Piles à Combustibles dont l’une d’entre elles devrait être installée sur le nouveau pas de tir en cours de construction et qui sera dédié aux micro et mini lanceurs.
Pour finir, de manière à doter le territoire de nouveaux savoir-faire pour l’exploitation de ces briques technologiques, un centre de compétences sur l’hydrogène (HCC) sera construit et hébergera des installations de maintenance pour la mobilité et le stationnaire, un centre de formation pour certifier les techniciens et opérateurs et une plateforme de R&D pour accueillir universitaires et start-up de l’hydrogène.
Alors que la filière autour de l’hydrogène se professionnalise et se développe, comment vous projetez-vous et quels sont vos ambitions ?
Au-delà de la conduite de la politique spatiale française et les grands projets menés sur les satellites, les lanceurs, l’observation de la Terre et le traitement des données spatiales, le CNES a aussi pour mission d’accompagner le secteur industriel dans son développement. Fort de ses acquis dans la manipulation à grande échelle de l’hydrogène, le CNES peut apporter toute son expertise et son retour d’expérience aux acteurs français.
En parallèle, la nouvelle direction du développement durable du CNES œuvre sur tous les fronts pour réduire l’empreinte carbone de nos activités, en particulier celle du Centre Spatial Guyanais. La sobriété énergétique côtoie les projets de production d’énergie renouvelable (champ photovoltaïque, centrale biomasse) et verdissement des ergols lanceurs tels que l’hydrogène. Un des objectifs du CNES sur cette thématique est ainsi de rendre l’activité spatiale neutre du point de vue environnemental, tout en promouvant les initiatives bénéficiant au territoire guyanais.