Plus ou moins classique

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°543 Mars 1999Rédacteur : Jean SALMONA (56)

Victoria de Los Angeles

La culture espa­gnole doit avoir une force bien excep­tion­nelle pour que les Juifs séfa­rades, chas­sés d’Espagne en 1492, aient conser­vé vivantes jusqu’à nos jours la langue et les chan­sons de leurs ancêtres. D’ailleurs, n’importe quel béo­tien sait recon­naître l’évocation de l’Espagne dans la musique, qu’il s’agisse de musique espa­gnole authen­tique ou d’espagnolades de Ravel, Debus­sy ou Chabrier.

Vic­to­ria de Los Angeles aura été une des très grandes sopra­nos de ce siècle. Un cof­fret tout récent, qui reprend en CD des enre­gis­tre­ments des années 1956 à 1972, consti­tue une très belle antho­lo­gie des chants d’Espagne, que V. de Los Angeles a for­te­ment contri­bué à faire connaître au grand public. Tout y est, du Moyen Âge au XXe siècle, en pas­sant par la Renais­sance et l’époque baroque, sans oublier les chants séfa­rades1. Les accom­pa­gne­ments sont variés : gui­tare, orchestre clas­sique, ensemble ins­tru­men­tal tra­di­tion­nel, pia­no (et rien de moins que Gerald Moore, Gon­za­lo Soria­no, Ali­cia de Lar­ro­cha). Et bien sûr, comme on pou­vait s’y attendre, de tout cela res­sort une extra­or­di­naire uni­té, des chan­sons popu­laires har­mo­ni­sées par Fede­ri­co Gar­cia Lor­ca aux sub­ti­li­tés de Gra­na­dos et Falla.

Vic­to­ria de Los Angeles a aus­si popu­la­ri­sé les Bachia­nas bra­si­lei­ras de Vil­la-Lobos, et sans doute nulle ne les chante aus­si bien à ce jour. Les enre­gis­tre­ments de 1957 et 1959 (les n° 1, 2, 5 et 9) réa­li­sés sous la direc­tion de Vil­la-Lobos lui-même à la tête de l’Orchestre Natio­nal2 sont plus qu’une réfé­rence, un modèle, une petite mer­veille. À écou­ter si vous avez besoin de vous réchauf­fer le coeur, l’âme, et même le corps.

Maurice Journeau

Vous ne connais­sez sans doute pas ce com­po­si­teur bien fran­çais, bien vivant, dont on a fêté il y a peu le cen­te­naire. Vous pou­vez répa­rer cette lacune grâce à un enre­gis­tre­ment de sa Sonate pour pia­no et vio­lon par deux inter­prètes cha­leu­reux, Cathy Cou­sin et Fran­çois Goïc, bien connus des fami­liers des fes­ti­vals du Val de Loire, qui jouent sur le même disque les Sonates de Franck et Debus­sy3.

Jour­neau écrit, dans la droite ligne de Fau­ré et Lekeu, mais sans paro­dier qui­conque, une musique chaude et lyrique, aux har­mo­nies assez sub­tiles, et aux thèmes qui sonnent bien, musique qui vaut la peine d’être décou­verte parce que l’on a plai­sir à l’entendre.

Fazil Say

Il est en musique des phé­no­mènes sem­blables à des météores, qui déboulent brus­que­ment dans un monde de musi­ciens et d’auditeurs bien à l’aise dans leurs sys­tèmes, leurs valeurs et leurs cer­ti­tudes, et qui ravagent tout sur leur pas­sage. Horo­witz et Glenn Gould étaient de ceux-là.

Fazil Say, pia­niste turc encore incon­nu en France il y a un an, stu­pé­fie d’abord par un disque de Mozart qua­si explo­sif. On l’attend dans Bach : le voi­ci, avec un disque qui réunit une Suite fran­çaise, le Concer­to ita­lien, le pre­mier des pré­ludes et fugues du Cla­vier bien tem­pé­ré, et deux trans­crip­tions, un Pré­lude et Fugue par Liszt et la Cha­conne par Buso­ni4.

C’est excep­tion­nel et propre à déchaî­ner l’enthousiasme de l’amateur le plus bla­sé. Que l’on n’imagine pas des extra­va­gances géniales à la Gould : Say joue Bach comme s’il le pra­ti­quait depuis une tren­taine d’années, avec une séré­ni­té et une joie qui n’ont d’égales que l’absolue per­fec­tion de sa tech­nique. On peut dire cal­me­ment et après mûre réflexion que le XXIe siècle a là son pia­niste majeur.

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1. 4 CD EMI 5 66937 2.
2. 1 CD EMI 5 66912 2.
3. 1 CD DCG 9801 (FNAC).
4. 1 CD WARNER WE 874.

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