Plus ou moins classique
Victoria de Los Angeles
La culture espagnole doit avoir une force bien exceptionnelle pour que les Juifs séfarades, chassés d’Espagne en 1492, aient conservé vivantes jusqu’à nos jours la langue et les chansons de leurs ancêtres. D’ailleurs, n’importe quel béotien sait reconnaître l’évocation de l’Espagne dans la musique, qu’il s’agisse de musique espagnole authentique ou d’espagnolades de Ravel, Debussy ou Chabrier.
Victoria de Los Angeles aura été une des très grandes sopranos de ce siècle. Un coffret tout récent, qui reprend en CD des enregistrements des années 1956 à 1972, constitue une très belle anthologie des chants d’Espagne, que V. de Los Angeles a fortement contribué à faire connaître au grand public. Tout y est, du Moyen Âge au XXe siècle, en passant par la Renaissance et l’époque baroque, sans oublier les chants séfarades1. Les accompagnements sont variés : guitare, orchestre classique, ensemble instrumental traditionnel, piano (et rien de moins que Gerald Moore, Gonzalo Soriano, Alicia de Larrocha). Et bien sûr, comme on pouvait s’y attendre, de tout cela ressort une extraordinaire unité, des chansons populaires harmonisées par Federico Garcia Lorca aux subtilités de Granados et Falla.
Victoria de Los Angeles a aussi popularisé les Bachianas brasileiras de Villa-Lobos, et sans doute nulle ne les chante aussi bien à ce jour. Les enregistrements de 1957 et 1959 (les n° 1, 2, 5 et 9) réalisés sous la direction de Villa-Lobos lui-même à la tête de l’Orchestre National2 sont plus qu’une référence, un modèle, une petite merveille. À écouter si vous avez besoin de vous réchauffer le coeur, l’âme, et même le corps.
Maurice Journeau
Vous ne connaissez sans doute pas ce compositeur bien français, bien vivant, dont on a fêté il y a peu le centenaire. Vous pouvez réparer cette lacune grâce à un enregistrement de sa Sonate pour piano et violon par deux interprètes chaleureux, Cathy Cousin et François Goïc, bien connus des familiers des festivals du Val de Loire, qui jouent sur le même disque les Sonates de Franck et Debussy3.
Journeau écrit, dans la droite ligne de Fauré et Lekeu, mais sans parodier quiconque, une musique chaude et lyrique, aux harmonies assez subtiles, et aux thèmes qui sonnent bien, musique qui vaut la peine d’être découverte parce que l’on a plaisir à l’entendre.
Fazil Say
Il est en musique des phénomènes semblables à des météores, qui déboulent brusquement dans un monde de musiciens et d’auditeurs bien à l’aise dans leurs systèmes, leurs valeurs et leurs certitudes, et qui ravagent tout sur leur passage. Horowitz et Glenn Gould étaient de ceux-là.
Fazil Say, pianiste turc encore inconnu en France il y a un an, stupéfie d’abord par un disque de Mozart quasi explosif. On l’attend dans Bach : le voici, avec un disque qui réunit une Suite française, le Concerto italien, le premier des préludes et fugues du Clavier bien tempéré, et deux transcriptions, un Prélude et Fugue par Liszt et la Chaconne par Busoni4.
C’est exceptionnel et propre à déchaîner l’enthousiasme de l’amateur le plus blasé. Que l’on n’imagine pas des extravagances géniales à la Gould : Say joue Bach comme s’il le pratiquait depuis une trentaine d’années, avec une sérénité et une joie qui n’ont d’égales que l’absolue perfection de sa technique. On peut dire calmement et après mûre réflexion que le XXIe siècle a là son pianiste majeur.
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1. 4 CD EMI 5 66937 2.
2. 1 CD EMI 5 66912 2.
3. 1 CD DCG 9801 (FNAC).
4. 1 CD WARNER WE 874.