Politiques pour la création d’entreprises en Belgique :
Chaque nouveau gouvernement, voire chaque ministre, qui se sent de près ou de loin concerné par la création d’emploi, s’est efforcé de mettre en œuvre des mesures visant à stimuler les entreprises à embaucher. Cependant, il est plus facile de créer de nouvelles dispositions que d’en abolir.
Aussi, dans la plupart des pays, un nombre impressionnant de mesures ont-elles été progressivement adoptées afin de contrer le spectre du chômage. Or, force est de constater que cette armée grandissante ne fait que perdre du terrain face à « l’ennemi » et que le chômage ne fait que grimper.
Les vingt millions de chômeurs en Europe, auxquels il faut ajouter autant de personnes vivant dans une situation précaire, peuvent témoigner de l’impuissance de l’ensemble de ces mesures.
D’une politique d’emploi vers une politique des PME
Face à cette inefficacité, les pouvoirs publics sont de plus en plus convaincus qu’ils doivent changer leur fusil d’épaule et davantage considérer l’emploi comme un produit dérivé du tissu entrepreneurial.
Stimuler le développement des PME et la création d’entreprises est devenu le mot d’ordre. Mais dans la mise en œuvre d’une politique visant à réaliser cet objectif, on risque de retomber dans les mêmes pièges qui ont caractérisé les mesures de promotion de l’emploi. Il faut soutenir les PME parce qu’elles sont importantes pour l’emploi, les dinosaures1 parce qu’ils sont importants pour le maintien de l’emploi et les gazelles2 parce que ce sont elles qui créent l’emploi. Et il faut encore ajouter les priorités sectorielles ou régionales. En suivant cet amas de priorités, on risque à nouveau d’aboutir à une panoplie de mesures sans vision d’ensemble et essentiellement basées sur l’instrument par excellence que sont les subventions.
Or, dans les faits, la politique dite PME se rapproche sensiblement de la politique dite de création d’emploi. Afin d’éviter le même piège, il est intéressant de recourir à ce qu’on appelle « l’evidence based policy », c’est-à-dire une politique basée sur l’analyse des mesures existantes et sur l’évaluation ex ante des nouvelles mesures tout en cherchant une synergie et une vision d’ensemble. Dans ce contexte, avant d’élaborer les principes de base de la politique pour la création d’entreprises en Belgique, nous allons résumer quelques constats pertinents.
Les subsides aux PME : une analyse critique
En Europe, un des pays qui peut se targuer d’une ardeur d’avance en matière de politique PME est certainement l’Angleterre. Stimulé par les différents instituts de recherche actifs dans le domaine PME et non entravé par une idéologie rigide, le passage d’une politique d’emploi à une politique PME a déjà eu lieu à la fin des années quatre-vingt. Les Britanniques n’ont cependant pas pu éviter les pièges évoqués précédemment. Les politiques et les mécanismes d’attribution sont trop complexes et très chers et les entreprises ne semblent pas désireuses de bénéficier des différents avantages. Parmi les raisons invoquées par celles-ci, on note principalement3 :
- les organismes qui attribuent les subventions ne comprennent pas leur business,
- accepter des subventions est considéré comme une atteinte à l’autonomie personnelle,
- les mesures ne tiennent pas compte de l’hétérogénéité des différentes entreprises,
- les procédures sont trop complexes et impliquent trop de paperasserie.
La commission d’audit a conclu dans son rapport que la politique des PME en Angleterre était devenue un patchwork de complexité et d’idiosyncrasie.
En Belgique, une analyse historique de la politique PME destinée à donner des chances égales aux petites et aux grandes entreprises constate que cette politique s’est soldée plus par une discrimination entre PME que par la réalisation de l’objectif recherché. Inutile d’ajouter que les entreprises subsidiées n’étaient pas toujours les plus efficaces. Finalement, l’étude conclut que si on opte pour la création d’emploi par les entreprises, la meilleure politique consisterait à abolir toutes les mesures de création d’emploi et réduire les coûts salariaux4.
Cette proposition radicale mettrait certes au chômage dans l’immédiat les fonctionnaires affectés à la mise en œuvre des mesures d’aide à l’emploi, mais d’ici quelques années on ne manquerait pas de possibilités de réaffectation. Sans aller jusque-là, une réorientation des moyens en fonction d’une analyse des besoins réels des entreprises et la délégation des décisions individuelles de soutien au secteur entrepreneurial lui-même peuvent contribuer au développement d’une société propice à l’entrepreneuriat et à l’emploi.
D’une politique PME vers une politique de promotion de l’esprit d’entreprise
Les analyses ci-dessus ne devraient pas conduire à un défaitisme mais plutôt à la mise en place d’une politique conçue à partir du client, l’entrepreneur. Dans un climat hostile à l’entrepreneuriat, toute politique de subvention doit être considérée comme un cautère sur une jambe de bois. Or, selon l’étude GEM (Global Entrepreneurship Monitor) qui couvre 92 % du PIB mondial, le climat entrepreneurial est peu développé en Europe.
Au niveau mondial, le pays le moins entrepreneurial est le Japon, directement suivi par la Belgique et la France5. Entreprendre y est considéré comme une anomalie, constate l’étude. En 2002, selon la même étude, la France et le Japon sont même les pays où le climat entrepreneurial a le plus régressé. Par contre, dans des pays comme Israël, les États-Unis ou l’Australie, entreprendre est considéré comme allant de soi.
Sur la base de ces constats, on peut conclure que l’essentiel est aujourd’hui de créer un climat qui stimule le goût d’entreprendre.
Il s’agit donc de promouvoir dans la population une pensée entrepreneuriale par des mesures éducatives et persuasives qui donneront envie d’être un entrepreneur libre, responsable, courageux, fraternel, et ne mettront pas tellement en péril sa famille. C’est ce à quoi nous nous employons en Belgique, conjointement à des stimulations directes au bénéfice des créateurs.
Politique de création d’entreprises en Belgique
La philosophie décrite résume bien les idées qui sous-tendent la politique poursuivie en Belgique. Bien que les compétences en matière de création d’entreprises se trouvent principalement au niveau régional, la politique n’est pas fondamentalement différente entre le sud et le nord du pays. La base commune est le développement d’un climat d’esprit d’entreprise. Le ministre flamand Jaak Gabriels déclare que l’esprit d’entreprise est le pivot du modèle de croissance de la Flandre6. Quant à la Wallonie, le ministre responsable, Serge Kubla, a lancé un plan d’action intitulé « Plan 4X4 pour Entreprendre », rappelant par une métaphore l’implication nécessaire de l’ensemble de la population. Résumons quelques éléments de ce vaste plan d’action.
Le système américain SBA-SBIC
La small business administration (SBA) est un réseau d’agences du Gouvernement fédéral couvrant l’ensemble des États-Unis et chargées d’accueillir les candidats créateurs, d’évaluer leurs projets et d’aider les meilleurs à se financer et à se lancer.
Les small business investment company sont des fonds de capital-risque agréés par la SBA qui ont le droit de lever des fonds sur les marchés financiers à hauteur d’un pourcentage prédéterminé de leurs fonds propres. Le souscripteur qui investit dans le fonds de capital-risque voit son investissement garanti par la SBA. L’ingéniosité de ce système réside dans le fait que l’État garantit l’ensemble du portefeuille et crée un effet de levier. Dans les systèmes européens classiques, par contre, les garanties sur capital-risque se font au niveau des projets (par exemple par le biais de la BDPME en France ou le Fonds de Garantie en Belgique). Ainsi se créent non seulement un biais en faveur des projets les plus douteux (argument de sélection négative), mais également une bureaucratie plus lourde, inhérente à ce genre de dispositions. En termes budgétaires, il n’est pas étonnant qu’aux États-Unis les SBIC parviennent à s’autofinancer.
En termes économiques, on estime que 70 % de tous les investissements d’amorçage (capital-risque dans des entreprises en création) se font au travers des SBIC, créant ainsi entre 160 000 et 200 000 emplois par an9.
Partant du constat d’un déficit important d’esprit d’entreprendre en Wallonie, notamment auprès de publics cibles spécifiques tels que les jeunes et les femmes, et de la nécessité de stimuler la création et le développement des entreprises, le plan 4X4 se décline suivant quatre priorités, chacune correspondant à un axe, lui-même composé de quatre éléments. Les quatre axes sont les suivants : stimuler le goût d’entreprendre, soutenir la création d’entreprises, dynamiser le développement des entreprises et, finalement, améliorer la gouvernance. Le plan comporte une centaine d’actions concrètes7.
À titre d’exemple, l’axe dédié à la stimulation du goût d’entreprendre prévoit une multitude d’actions de sensibilisation destinées au grand public (spots TV et radio, campagne de presse, slogans et concours sur Website, édition de livres témoignages, etc.).
Le même axe prévoit également de mobiliser le secteur financier. À cette fin, une task-force a été créée. Celle-ci regroupe des représentants des secteurs financier, public et privé et des entreprises et a pour objectif de faciliter l’accès au financement, notamment pour les créateurs, en mettant en place des instruments financiers et en intégrant les différents acteurs.
Une des mesures concrètes liées aux financements est la mise en place d’un système similaire au SBIC (voir encadré). Notre système permettra d’accorder à des fonds privés, préalablement agréés, une garantie à leurs emprunts obligataires dont le montant ne pourra pas dépasser les fonds propres du fonds émetteur. La Flandre met actuellement en place un système similaire, mais prévoit en plus un crédit d’impôt pour les investisseurs privés8.
Une deuxième mesure relative à la mobilisation du secteur financier concerne les business angels. Les régions financent des réseaux de business angels sur la base de critères de performance. Cela implique que le montant attribué après le démarrage du réseau n’est pas justifié sur la base des dépenses encourues mais sur la base de critères tels que le nombre de business angels faisant partie du réseau, le nombre de projets analysés ou encore le nombre et le montant des investissements réalisés dans les start-ups à travers le réseau. Au niveau fiscal, les plus-values que les business angels tirent de leurs investissements ne sont pas imposées.
En guise de conclusion
L’action conjointe qu’il nous faut mener s’impose d’elle-même : promotion de l’entrepreneuriat + appui des créateurs pour le développement de créations d’entreprises. Mais il reste encore beaucoup à faire pour discerner les bonnes méthodes et les bons acteurs. C’est pourquoi un groupe de chefs d’entreprises belges a accepté de lancer la Fondation de la recherche sur l’esprit d’entreprise, qu’ils ont financée eux-mêmes.
Cette recherche devrait permettre de régulièrement réorienter la politique afin de préserver le meilleur rapport coût-efficacité des deniers publics et privés.
Rudy Aernoudt est administrateur principal auprès de la Commission européenne. Il est actuellement détaché auprès du gouvernement belge où il exerce la fonction de chef de cabinet adjoint auprès du ministre de l’Économie, Serge Kubla.
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1. Grandes entreprises qui sont dans la phase déclinante de leur vie.
2. Jeunes entreprises en croissance rapide.
3. J. Curran, « What is Small Business Policy in the UK for ? » International Small Business Journal, 18, 1999.
4. T. Lambrecht, Heeft KMO beleid de KMOs gediend ? (La politique PME a‑t-elle servi les PME ?), EHSAL-KUB research institute, 2002.
5. P. Reynolds, et. al., GEM, 2002.
6. J. Gabriels, Ruimte voor ambitie (De l’espace pour l’ambition), Halewijck, 2002.
7. Le plan complet est disponible sur : www.4X4entreprendre.be
8. Voir J. Gabriels, op. cit., p. 40–43.
9. Pour une description détaillée du système SBIC, voir R. Aernoudt, European Enterprise Policy, Intersentia, 2003, ibid., p. 80–88.