Polytechnicienne, architecte, chercheuse puis historienne de la ville
C’est par l’architecture et grâce aux cours reçus notamment à l’X et aux Ponts que Nathalie Roseau (87) est venue à l’histoire, qu’elle définit comme une science totale.
En France, les années du lycée ouvrent tôt aux humanités. La décolonisation m’avait particulièrement intéressée avant que je ne retrouve, après la brève césure des classes préparatoires, les cours d’histoire : à l’X, celui de Marc Ferro sur la révolution russe, puis aux Ponts, celui d’histoire de l’architecture et celui suivi au Centre Sèvres sur l’Islam et la modernité. La découverte de Berlin au printemps 1988, pendant mon service militaire, m’avait fascinée et fut sans doute à l’origine, avec d’autres visites, de mon amour des villes. Lors de ces années d’apprentissage, la question qui me taraudait n’était pas celle des enseignements que j’allais suivre, mais celle de la voie que j’allais emprunter pour m’accomplir professionnellement. Plutôt matheuse, je souhaitais œuvrer à un monde au croisement de l’art, de la science et de la société. L’architecture constitua tôt une perspective qui me paraissait suffisamment ample pour y projeter mes préoccupations.
Du projeteur au chercheur…
À 24 ans, tout en poursuivant des études d’architecture qui allaient s’allonger du fait de l’activité professionnelle qui s’engageait, je choisis de plonger dans le faire : la planification, le projet, la construction. Et dans le cœur du réacteur : l’État, régional et de mission ; l’entreprise de réalisation. Sur des objets complexes : la ville et la métropole, l’aéroport et l’infrastructure. Dix années de pratique qui, à la faveur d’un changement de vie (devenir parent) et d’un temps de suspension dans la vie active, me feraient m’interroger sur la question de l’utilité et du sens de ma trajectoire professionnelle. Là encore des opportunités heureuses m’ont permis de sauter le pas vers l’enseignement et la recherche. Rupture et passage en même temps, c’est pour mieux embrasser des questions auxquelles je m’étais heurtée dans l’activité du projeteur que j’ai voulu prendre le recul du chercheur : l’obsolescence structurelle d’artefacts pourtant faits pour durer ; les échelles du changement global et la pertinence de l’action ; les rapports d’attraction et de répulsion entre la ville et la métropole, l’espace et la technique. Au Latts, mon laboratoire, mais aussi dans l’environnement universitaire stimulant de Paris-Est, des écoles d’architecture, des réseaux internationaux d’historiens de la ville, des techniques, des mobilités, de la culture visuelle, je peux travailler à ces questions. L’histoire devient alors une perspective privilégiée parce que, comme science du temps, elle permet de comprendre ce qui est advenu de notre présent et, ce faisant, nous renseigne en ce qui concerne les empreintes du passé sur notre contemporain. Dans mon cas, ni la pratique seule ni la recherche seule ne m’aurait fait toucher complètement les sujets que je travaille. C’est pourquoi nous avons, comme chercheurs, notre itinéraire propre.
Le goût de l’enquête
À mes yeux, l’histoire n’est pas seulement de la connaissance, cette soif d’érudition qui guide vers le savoir. C’est aussi une école de la rigueur avec ce goût de l’enquête dont tout historien, apprenti ou chercheur, se délecte : ouvrir des archives, élaborer des hypothèses, retracer des trajectoires, tomber sur des histoires, recouper ou combler des manques… L’histoire est une discipline à la fois littéraire et scientifique : parce qu’elle est narration du réel et aspire à établir la vérité des faits. C’est une science totale, dont le souci de précision s’articule avec la nécessité d’une vue d’ensemble. C’est elle qui m’a donné le moyen de saisir mes objets de recherche – la grande ville, l’empreinte des techniques – en développant les formes de pluridisciplinarité qui me permettraient d’accéder à leur connaissance en pensant leur futur. Je ne fais pas exclusivement de l’histoire. Mais l’histoire a forgé mon regard. C’est comme architecte et historienne – moine savant et acteur social – que je vois la ville contemporaine. L’histoire me permet de l’ancrer dans la profondeur de ses strates, de ses mémoires, car avant tout, ainsi que le disait Gaston Bachelard, la ville comme l’espace tient du temps condensé.