Polytechnicienne dans l’administration publique, pionnière et espèce menacée
Polytechnicienne ingénieure des Ponts de la première promotion féminisée, Elisabeth Dupont-Kerlan a fait sa carrière dans l’administration publique où elle témoigne que les femmes ont souvent un rôle de pionnières.
Après les études, j’ai débuté dans des postes assez classiques pour lesquels je dois remercier les premiers patrons qui m’ont fait confiance, même si j’ai connu plus d’épreuves initiatiques (comme les visites de chantier) et ai toujours dû en faire un peu plus pour avoir la même chose que les hommes. L’encadrement d’équipes ne m’a pas posé de difficultés particulières, même si l’on manage différemment chercheurs enseignants, agents d’exploitation ou policiers de l’environnement. Face aux évolutions institutionnelles, décentralisations, privatisations, disparition progressive du ministère de l’Équipement… ma carrière s’est déroulée chez divers acteurs publics : différents ministères, DDE avec des réorganisations, collectivités locales, établissements publics. Il s’agit toujours de contribuer à l’intérêt général et aux questions fondamentales : se déplacer, se loger, préserver l’environnement… Les préoccupations environnementales s’affirment lentement depuis le sommet de Rio et le changement climatique est progressivement pris en considération.
“Les femmes sont souvent en avance.”
Quelques difficultés pour les femmes
Les femmes sont souvent en avance et pas toujours assez écoutées : on leur confie plus souvent des sujets « à risque » (ex. : le tramway dans les années 1980). Quand j’ai introduit des sujets développement durable et énergie à l’École des ponts, ou créé un master ferroviaire et un institut de recherche, cela a souvent été critiqué alors que la formation doit préparer aux enjeux du futur. La compatibilité entre vie professionnelle et vie familiale est celle de beaucoup de femmes cadres à responsabilité ; mener plusieurs journées dans une seule suppose d’être hyperorganisée mais n’empêche pas les obstacles : le poste que l’on ne retrouve pas en rentrant de congé de maternité, le poste qui est refusé parce qu’on est « une femme, même plus compétente », les promotions sur des postes à problèmes…
Quelques inquiétudes communes
Face à la complexité croissante du monde, j’éprouve une inquiétude pour le futur : désaffection pour les sujets scientifiques, manque de soutien à la recherche fondamentale, responsables politiques ayant de moins en moins de culture scientifique, développement à outrance des outils numériques. J’ai aussi une inquiétude pour le secteur public : manque de moyens en général, multiplication des procédures trop lourdes, désintérêt pour la recherche, mécanos institutionnels, décrochage des salaires entre public et privé… L’État et les structures publiques auraient pourtant besoin de compétences variées pour relever les défis. N’oublions pas que les catastrophes peuvent se produire aussi en France et que l’État a perdu beaucoup de ses compétences techniques ! Depuis le XVIIIe siècle, les ingénieurs du corps des Ponts, avec leur formation scientifique solide et leur capacité à gérer la complexité, ont prouvé leur aptitude à relever les défis de leur siècle. Puisse l’État continuer à leur offrir des parcours intéressants !