Poser un regard innovant sur la misère
La misère n’est pas fatale, elle est l’œuvre des hommes et les hommes peuvent la détruire. L’exemple d’ATD Quart Monde montre la possibilité d’apporter des avancées significatives comme la CMU.
Une atteinte aux droits fondamentaux
De sa propre expérience et de celle des familles aux côtés desquelles il ne cessa de vivre, le père Joseph Wresinski tira une série de convictions à contre-courant des idées reçues. La première étant que la misère est une atteinte aux droits fondamentaux, il nous appartient tous de la faire disparaître. Les plus pauvres peuvent et doivent être partie prenante de ce combat au travers du savoir unique dont ils sont porteurs.
Dans les années cinquante, l’Europe nie la persistance de la grande pauvreté en son sein. Le père Joseph Wresinski, lui-même né dans la misère, va vivre avec les familles du camp pour sans-abri de Noisy-le-Grand, installé en 1954 par l’abbé Pierre. Ils créent ensemble le Mouvement ATD Quart Monde et introduisent une idée neuve à l’époque : la misère n’est pas seulement le problème de ceux qui vivent dans la grande pauvreté, c’est un problème » entre nous « .
Cause et effet de l’exclusion sociale
Un engagement aux multiples facettes
Des milliers de gens très pauvres dans 20 pays sont militants du Mouvement et en sont le fondement. 400 volontaires permanents de nationalités, formations, religions diverses en sont la cheville ouvrière, en choisissant de lier leur vie à celle des plus pauvres et d’entreprendre des actions innovantes qui montrent que la misère n’est pas fatale. Ils vivent avec le salaire minimum de leur pays et sont en partie subventionnés par des aides liées à leur action et par des dons réguliers d’amis du Mouvement, ce qui leur donne leur liberté d’action.
Trente ans plus tard, Wresinski, devenu membre du Conseil économique et social, écrit avec tous les partenaires sociaux un rapport qui pour la première fois exprime le point de vue politique des plus démunis et fait adopter la notion que la misère est une violation des droits de l’homme. Cette notion, reprise par les Nations Unies, découle de l’idée complexe que la misère est à la fois cause et effet de l’exclusion sociale, enracinée dans nos cultures, nos organisations et nos institutions et qu’elle ne peut être éradiquée que par tous. Selon Christopher Winship, directeur du département de sociologie à Harvard, la droite voit la misère comme un problème inhérent aux pauvres eux-mêmes, la gauche comme due aux structures économiques. Ces deux explications ont en commun d’être » en dehors de moi « . Wresinski ne nie ni l’une ni l’autre, mais ajoute la question centrale, celle du lien entre moi et celui qui vit dans la misère. Mais notre civilisation voit les plus pauvres comme des problèmes à régler. Niant la complexité de leur être et de leurs relations avec nous, elle nie leur humanité même et les fait taire.
Un message et un savoir à partager
Notre civilisation voit les plus pauvres comme des problèmes à régler
Les plus pauvres porteurs d’un message civilisateur pour l’humanité ? Pourquoi pas ? Faire émerger la pensée, les aspirations, les stratégies que développent les plus pauvres comme source d’une nouvelle connaissance, d’une nouvelle action collective et d’un nouveau projet de civilisation. Pourtant, quand on les rencontre, leur parole ne semble pas immédiatement intelligible. C’est qu’ils n’ont pas eu l’occasion et la ressource de penser leur expérience et leur savoir. Pour cela il faut penser avec d’autres, dialoguer, réfléchir. La corrélation entre l’échec scolaire et le niveau économique et social dans les pays développés est une constante révoltante. Sans un véritable partage des savoirs, les enfants, les jeunes, les adultes n’ont aucune chance de s’en sortir ni d’apporter au monde leur regard, leur pensée dont nous avons tant besoin pour rendre le monde plus humain. Le Mouvement ATD Quart Monde, pour sa part, en s’appuyant sur l’énergie et le savoir des personnes elles-mêmes et en les portant dans les plus hautes sphères politiques et scientifiques a permis des avancées comme la CMU ou la loi SRU. Ces avancées sont les conséquences des prises de conscience et des rapports au CES que le père Joseph Wresinski, puis Geneviève Anthonioz de Gaulle, et puis d’autres ont écrits.
Un réseau d’alliés
Le Mouvement s’est aussi bâti grâce à un réseau d’alliés capables d’établir des partenariats entre les actions qui s’inventent sur le terrain, dans leur propre milieu, avec les pouvoirs publics, les entreprises, etc. L’Union européenne, la Banque mondiale ou le Parlement, pour faire financer les actions originales d’ATD Quart Monde et permettre de gérer au mieux les ressources (gestion saluée par la Cour des comptes pour sa frugalité et sa cohérence avec nos options de base). Mais aussi faire avancer des professions comme l’enseignement, la médecine, le travail social.
Bibliographie
- Klanfer Jules, L’exclusion sociale, étude de la marginalité dans les sociétés occidentales, Éditions Sciences et Service, Paris, 1965.
- Rosenfeld Jona, Tardieu Bruno, Artisans de démocratie. De l’impasse à la réciprocité : comment forger l’alliance entre les plus démunis et la société ? Éditions de l’Atelier – Éditions Ouvrières – Éditions Quart Monde, Paris, 1998.
- Wresinski Joseph, Grande pauvreté et précarité économique et sociale : rapport présenté au nom du Conseil économique et social, Journal officiel de la République française. Avis et rapports du Conseil économique et social, n° 6, 1987. À l’origine du RMI, de la CMU, et d’autres lois.
- Winship Christopher, » Preface » in Anouihl Gilles, The Poor are the Church, Twenty-third publications, Mystic, CT, 2002.
ATD Quart Monde
http://www.atd.quartmonde.org
Travailler et apprendre ensemble
http://www.tae.ass.org