Pot@maï : énergie, autonomie et résilience pour les femmes africaines
Alors que Maguelonne Chevallier Loubelo (X02) a débuté sa carrière dans les mathématiques pures, la voici vingt ans plus tard à installer des hydroliennes en Afrique centrale au sein de l’association Pot@maï, pour permettre l’autonomie en énergie notamment des femmes, dans le but d’accéder aux services essentiels.
C’est à un moment clé de l’aventure qu’X Urgence écologique a eu envie d’entendre Maguelonne Chevallier Loubelo (X02), pour comprendre sa solution fondée sur une énergie propre qui améliore la résilience et l’autonomisation des populations rurales en termes de sécurité alimentaire et d’accès à un travail décent et à la formation.
X Urgence écologique a pour intention de permettre l’expression et l’échange entre une diversité de parcours et positionnements par rapport aux enjeux écologiques. Nous réalisons pour cela régulièrement des entretiens avec différents anciens élèves pour partager leurs histoires et messages. Ceux-ci ne doivent pas être lus comme des prises de position de la part du collectif, mais comme une mise en lumière de cet éventail de diversité.
Peux-tu nous raconter en quelques mots ton parcours à l’X et en thèse ?
Je suis de la promo 2002 et j’ai étudié à l’X principalement les mathématiques pures et la physique théorique. C’est aussi à l’X que j’ai commencé à naviguer : je m’étais inscrite en section voile par goût du défi, car je n’avais jamais mis le pied sur un voilier. J’ai ensuite réalisé une thèse à l’ENS en physique quantique, sur la structure mathématique des condensats de Bose-Einstein. C’était passionnant, mais j’ai compris que j’avais besoin de choses plus concrètes et que je ne ferais pas carrière dans la recherche fondamentale. J’avais acheté un voilier qui me servait de logement étudiant sur le canal Saint-Martin. J’ai mené ma thèse à son terme, en partie par nécessité de rembourser le crédit pour mon voilier, et je suis partie naviguer le lendemain de ma soutenance. Comme la pêche était bonne, il m’a fallu plusieurs mois pour me retrouver fauchée et devoir travailler.
Comment se sont passées la suite de ta carrière, et tes premières recherches d’emploi ?
Une solution de facilité après la physique quantique est d’entrer dans la finance : une start-up m’a proposé de partir à Singapour. De très bonnes conditions d’embauche, mais trop éloignées des réalités du terrain : j’ai préféré prolonger l’escale printanière aux Baléares. J’avais besoin de concret, fournir de l’énergie m’a paru un enjeu clair et utile, j’ai postulé chez DCNS – maintenant Naval Group –, qui avait une filière énergie marine. Erreur de casting, j’ai été affectée dans la filière naissante « nucléaire civil » avec la promesse de rejoindre rapidement les énergies marines. Ma patience a fait défaut, j’ai pris la fuite et suis repartie sur la mer.
“Travailler dans des ONG humanitaires était mon rêve de gamine.”
En parallèle, j’avais postulé dans des ONG humanitaires, parce que c’était un rêve de gamine. Toutefois la physique théorique ne parlait pas plus à Médecins sans frontières qu’au monde de l’entreprise. Mais la mer a su faire le lien : j’ai rencontré dans un port un ami qui travaillait pour Acted (association de solidarité internationale qui répond aux besoins humanitaires des populations dans les situations de crise). Il m’a vue réparer un moteur en pleine mer, donc il s’est dit que je saurais faire de la logistique dans le désert tchadien, et j’ai eu mon premier contrat.
Que t’a apporté ton expérience dans l’humanitaire ?
Je suis restée quatre ans chez Acted, travaillant d’abord au Tchad, au Pakistan, puis au Soudan du Sud. Dès ces premières missions, la question de l’énergie m’a interpellée. Dans les camps de réfugiés, on distribuait du pétrole lampant pour alimenter des réchauds, car il n’y avait plus de bois de chauffe à des kilomètres à la ronde. Du fait des procédures des Nations unies, le seul fournisseur éligible était un mafieux du coin, qui vendait son pétrole puis obligeait les réfugiés à lui en redonner une partie pour le revendre. Et tout ça alimentait le trafic d’armes. J’ai fait le constat que, dans certains projets d’urgence, on prend le risque d’apporter beaucoup de problèmes en croyant venir avec des solutions.
J’ai ensuite travaillé en République du Congo comme coordonnatrice de projets de coopération au développement, pendant plus de deux ans. M’intéresser à des projets de plus long terme m’a permis de comprendre l’impossibilité de lutter contre la pauvreté sans aborder la question de l’accès à l’énergie. Avec des amis, nous nous sommes alors penchés sur les solutions possibles pour apporter de l’énergie propre et durable dans les zones enclavées.
Comment est né le projet d’hydroliennes de l’association Pot@maï ?
Grâce à de belles rencontres. Pendant ces années-là, j’ai côtoyé les habitants du village de Loubassa situé sur l’île M’Bamou, car mon mari y gérait une ferme avicole.
Lorsque nous venions à Loubassa, il fallait prévenir pour que les pêcheurs gardent un poisson vivant. Si le poisson s’était échappé, on ne mangeait que du riz sans sauce. Ces enjeux de sécurité alimentaire sont le quotidien des habitants de l’île, qui boivent directement l’eau du fleuve non traitée. La discussion est née avec les femmes des pêcheurs pour mettre au point une chaîne du froid et un accès à l’eau potable.
“La discussion est née avec les femmes des pêcheurs pour mettre au point une chaîne du froid et un accès à l’eau potable.”
J’avais déjà entendu parler d’hydroliennes fluviales et gardé le contact de David Adrian, concepteur d’Hydro-Gen, un modèle d’hydrolienne robuste destinée aux sites isolés. Il avait la solution technique, mais il lui manquait un pied dans le pays pour comprendre le contexte institutionnel, socio-économique, et pour construire une solution durable.
Nous avons d’abord mesuré la vitesse et la profondeur du fleuve, pour voir où la technologie pouvait être implantée. Aidée de trois pêcheurs, sur une pirogue en bois à la dérive et avec un GPS, nous avons trouvé le site idéal (vitesse d’eau entre 1 et 2,5 m/s à peu près toute l’année). Il fallait un peu d’argent pour essayer : à la louche au moins 300 000 €. En 2015, nous avons créé l’association Pot@maï, qui a pour objet l’accès de toutes et tous aux services essentiels, et comme première mission d’implanter des hydroliennes au Congo, dans un objectif de développement agricole et de sécurité alimentaire.
Quelles ont été les premières étapes pour lancer le projet ?
En 2017, notre projet a été lauréat d’un concours du FFEM (Fonds français pour l’environnement mondial). Il s’est concrétisé en 2018 avec la signature d’un partenariat pour 130 000 € de subvention afin d’installer cette hydrolienne. En parallèle, notre partenaire local l’association Aide à l’Enfance a eu la diplomatie et la détermination nécessaire pour obtenir du gouvernement congolais un accord écrit marquant son intérêt pour notre solution, sésame indispensable pour débloquer les fonds publics de l’AFD.
Le soutien de l’AFD a donné de la crédibilité à notre démarche. Total access to energy solutions et les fondations de Vinci et Engie nous ont soutenus. Cette longue période de recherche de financement a permis d’affiner la solution et d’ajouter à la production d’eau potable et à la chaîne du froid d’autres activités choisies en concertation avec le village de Loubassa. C’est ainsi qu’est né le concept d’unité de services essentiels (USE) : un lieu multifonction alimenté en énergie par l’hydrolienne.
« L’idée est de fournir la chaîne complète pour que les femmes des villages voisins utilisent durablement l’USE. »
En effet, si on met du courant électrique dans ces zones rurales d’Afrique centrale où il n’y a rien, ça se révèle inutile car il n’y a personne en mesure de consommer ce courant. L’idée est donc de fournir la chaîne complète : la production de courant électrique, les machines à alimenter avec ce courant pour fournir les produits et services essentiels prédéfinis par la population, la formation et l’accompagnement nécessaires pour que les femmes des villages voisins utilisent durablement l’USE.
En septembre 2019, l’hydrolienne était construite à Tarare (France) et testée sur le Rhône avec David Adrian. Schneider Electric a contribué comme partenaire technique, pour développer un convertisseur électrique sur mesure qui n’existait pas auparavant pour notre gamme de puissance (entre 10 et 20 kW en site isolé).
En février 2020, toutes les briques fonctionnaient indépendamment et étaient prêtes à être envoyées au Congo. La Covid a bloqué l’acheminement du matériel jusqu’en janvier 2021, où toutes les conditions étaient réunies pour le départ : budget, réouverture des frontières aux personnes, container disponible. Après quelques problèmes administratifs ubuesques, l’hydrolienne a été mise à l’eau sur le fleuve Congo en août 2021, puis mise en service par David Adrian et des collègues d’Énergie sans frontières sous forme de chantier-école, avec installation du convertisseur et de panneaux solaires sur le toit de l’USE en octobre 2021.
Concrètement, aujourd’hui à quoi ressemble la solution ?
Aujourd’hui, l’USE fournit l’eau potable et la chaîne du froid, permet la transformation agro-alimentaire pour valoriser localement les produits de l’agriculture et de la pêche (séchage de fruits et poissons, confitures, moulin, four à pain, couveuse électrique) et héberge un centre de formation à divers métiers. Le bâtiment fait 160 m² et est évolutif en fonction des besoins. Le gros avantage de l’hydrolienne est que la production de courant est active 24 h / 24, ce qui limite les problématiques de stockage.
L’USE emploie sept personnes en permanence et elle est destinée à 3 000 usagers. Après un an de fonctionnement, les questions techniques sont résolues et l’USE va atteindre l’équilibre financier dès 2023 (la vente des produits agroalimentaires finance la gestion et la maintenance du site).
Et la suite ?
Aujourd’hui, nous avons un premier site qui fonctionne !
Ce site représente un investissement financier de plus de 400 000 €, mais est riche d’enseignements et doit servir à répliquer le modèle à un moindre coût et dans un délai plus court. Notre volonté est à terme de déployer 5 USE par an en Afrique centrale, d’abord en République du Congo, puis en RDC, au Gabon et au Cameroun, en construisant l’hydrolienne localement.
Mon message est que l’aventure ne fait que commencer.
Pot@maï va recruter, surtout au Congo. Nous avons besoin d’ingénieurs avec l’esprit curieux, patient et imaginatif pour faire avancer la solution. Nous avons besoin de partenaires techniques et financiers : nous fonctionnons grâce aux particuliers et aux entreprises. Nos USE sont là aussi pour tester des technologies innovantes, robustes et constructibles localement. Au-delà de tout apport financier, nous souhaitons expérimenter d’autres technologies sur place, pour améliorer l’accès de toutes et tous aux services essentiels.
Un dernier message pour les lecteurs et lectrices de La Jaune et la Rouge ?
Pour les jeunes, allez au bout de vos rêves. L’X nous donne la liberté de faire à peu près n’importe quel choix de carrière, saisissez-là ! L’histoire de Pot@maï a commencé en 2014, elle ne s’est réalisée concrètement en termes de kilowattheures et litres d’eau potable qu’en 2021. Je n’ai jamais lâché car c’était objectivement une idée bonne et utile qui a été soutenue par ma famille et mes amis puis par les partenaires du projet, et qui a été attendue avec impatience par les habitantes de l’île M’Bamou.
Ce qui guide ma vie est aussi la liberté. J’ai construit cette activité avec le soutien spirituel de mon mari et nous parvenons à faire vivre nos trois enfants en œuvrant à une réalisation qui nous intéresse. C’est très satisfaisant de travailler sur une idée qu’on a conçue soi-même. Et puis ce type de projet est tellement passionnant que je ne fais plus tellement de différence entre les vacances et le travail. Je passe beaucoup de temps en pirogue sur le fleuve Congo, à la rencontre des utilisatrices présentes et futures des USE. Nos enfants adorent notre mode de vie, nous n’avons pas besoin de partir en vacances à l’île Maurice.
Des milliers de kilomètres de fleuves et de rivières sont à explorer en Afrique centrale, des centaines de milliers de riverains n’ont pas encore accès aux services essentiels. Embarquez avec Pot@maï !
Pour soutenir Pot@maï
Campagne de dons défiscalisables ouverte toute l’année : https://www.helloasso.com/associations/pot-mai/formulaires/2
2 Commentaires
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Bravo Maguelone, superbe projet.
On a tendance à l’oublier dans nos contrées occidentales confortables, mais l’accès de base à l’énergie, à la chaîne du froid et à l’eau potable n’est pas donné à tout le monde…
Quelques questions de fond pour ma gouverne : 400 000€ d’investissement pour une capacité de 10 à 20 kW avec 7 employés, ça parait cher vu d’ici, non ? On comprend bien que la question ne se pose pas forcément en ces termes aujourd’hui (pour le moment la question est plutôt de savoir si on a de l’énergie ou pas, si j’ai bien compris), mais on peut imaginer qu’à terme d’autres sources d’énergie seront disponibles et que le choix ira vers les sources les plus pratiques et les moins chères ?
Longue vie à Pot@mai en tout cas !
Merci Roland pour cette question et tes encouragements…
question budget : il faut comprendre que 400k€, ce n’est pas seulement la production d’énergie (qui représente environ un tiers de l’investissement) mais aussi la construction de l’USE, la formation et la rémunération du personnel pendant 1 an, l’acquisition de tous les équipements de transfo agroalimentaire et d’artisanat, le transport, et les frais de coordination de projet.
question énergie : l’hydrolienne peut fournir 10kW, ce n’est pas beaucoup vue de France, mais 24h/24 ça représente 87MWh par an (pour l’instant on n’utilise qu’un tiers de la capacité, car toutes les activités prévues dans l’USE ne sont pas encore en route). Dans les conditions actuelles d’utilisation, avec une durée de vie estimée à 20 ans, le coût du kWh hydrolien est évalué à 0.24 euros (ce qui n’est pas si mal pour une installation africaine hors réseau et compte tenu du surcoût lié au fait que c’est un prototype.) Dans les futures conditions (optimales) d’utilisation, avec construction locale de l’hydrolienne (donc diminution des coûts) et optimisation de la gestion du courant électrique (qui sera orienté aux heures creuses automatiquement vers des équipements productifs pour le séchage ou l’irrigation au lieu d’être dissipée dans des résistances thermoplongeantes dans le fleuve), le coût du kWh hydrolien tombera à 0.10 euros, inférieur au coût actuel du PV en Afrique.
Grâce à l’hydrolienne, on peut faire cuire du pain la nuit sans tirer sur les batteries, et livrer le pain au village avant que les enfants ne partent à l’école.
La technologie a aussi l’avantage d’être assez simple, réparable par un mécanicien congolais, et bientôt construite localement, à la différence des PV qui sont importés de Chine.
Cependant, le concept d’USE peut s’adapter à n’importe quelle autre source d’énergie, à condition qu’elle soit pas chère, renouvelable, et adaptable au contexte de brousse congolaise : les propositions d’autres sources d’énergie sont bienvenues !