Pour former des ingénieurs entrepreneurs : la démarche de l’école des Mines d’Alès
Quinze ans de maturation
L’école des Mines d’Alès (EMA) est une des écoles rattachées au secrétariat d’État à l’Industrie, comme Albi, Douai et Nantes. Elle recrute la majorité des 170 étudiants de chaque promotion sur concours commun en fin de maths sup. et la durée de sa scolarité est de quatre ans. C’est une école d’ingénieurs généralistes et transdisciplinaires.
Outre son enseignement, elle entretient une activité de recherche qui emploie 180 personnes réparties en trois centres de compétence : Alès, Nîmes et Pau.
Les diplômés de l’ÉMA n’ont pas de problèmes de débouché : 99 % trouvent un emploi dans les six mois suivant l’obtention de leur diplôme. Ils se placent de façon majoritaire dans les grands groupes industriels (comme les ingénieurs des autres écoles), en négligeant les PME et en ignorant la voie de la création d’entreprise.
Cette situation confortable ne satisfait pas pleinement la Direction. Aussi, dès 1984, sous l’impulsion d’un grand novateur, Henri PUGNERE, qui est aujourd’hui le directeur de l’École, l’ÉMA s’est donné les moyens d’accompagner les jeunes diplômés porteurs de projets de produits nouveaux à la mise au point de ces produits au sein des laboratoires de l’École ; elle leur a procuré en outre une bourse de subsistance et une formation à la création d’entreprise.
Douze ans après, en 1996, à la suite d’un colloque sur « L’enseignement supérieur et la création d’entreprise », l’ÉMA entreprit une suite d’actions pour faire évoluer la culture de son établissement : en responsabilisant davantage les élèves, en instituant un enseignement de philosophie, en recrutant des sportifs de haut niveau, et en ouvrant son corps enseignant sur la vie économique extérieure, notamment les entreprises. Elle a pu ainsi envisager de passer à un stade plus avancé de « révolution culturelle », et en juin 1998, son conseil d’administration a décidé de convertir plus complètement l’ÉMA en une « école d’ingénieurs entrepreneurs » avec même l’ambition d’être la première école française répondant à ce besoin majeur de l’économie française.
Pour la rentrée de 1999 un cursus entièrement rénové a été annoncé aux élèves, avec la pleine coopération du corps professoral, et pour certains, de radicales reconversions.
Car c’est un intense travail d’équipe qui a permis de concrétiser ce grand projet.
L’innovation n’a pas porté que sur le cursus des quatre années de formation : elle a porté aussi sur le dispositif pour faire mûrir les projets de créations d’entreprises et faciliter leur réalisation (ce que nous appelons à Alès « l’incubateur ») ; et enfin sur la façon d’impliquer plus largement l’École dans le développement économique des régions où elle a déjà des antennes de recherche-développement (Nîmes, Pau et bien entendu Alès).
Nous allons approfondir le chapitre de la formation proprement dite des ingénieurs et évoquerons plus rapidement les autres initiatives.
Gérard Unternaehrer.
Le nouveau cursus de formation des ingénieurs
Les promotions issues de la sélection actuelle nous paraissent tout à fait aptes à prendre le tournant de la nouvelle formation ; elle correspond en fait – nous l’avons vérifié – aux motivations profondes des élèves. Être le plus près possible des entreprises réelles et devenir eux-mêmes de vrais entrepreneurs les intéresse au plus haut point.
Les principes de notre nouvelle pédagogie, qui a été mise en place en partenariat avec HEC-Entrepreneurs, sont les suivants :
- priorité à la formation-action qui place l’étudiant face à des problèmes dont il n’a pas tous les éléments de réponse, en réclamant de lui initiative et proposition concrète ;
- le plonger aussi dans l’environnement de la vie économique et de l’entreprise, pour résoudre des problèmes réels dont l’enjeu est important ;
- donner aux élèves qui le souhaitent des facilités pour développer un projet personnel à caractère entrepreneurial (création d’entreprise, projet humanitaire…) en bénéficiant d’une scolarité aménagée et des diverses ressources de l’École.
La transmission de connaissances, par la pédagogie classique, occupe encore deux tiers du temps ; le troisième tiers comprend quatre types d’activités.
- Une fois à deux fois par an une « mission de terrain », sur cinq semaines en continu, menée par une équipe de trois élèves, chaque mission est proposée par un professionnel extérieur à l’École (le plus souvent un chef d’entreprise), qui s’engage à en assurer le pilotage. Le travail réalisé est présenté devant un jury de professionnels qui en discute la méthode et les résultats.
Cette séance de présentation est concentrée sur une journée pour les 50 à 60 projets réalisés, avec la participation de l’ensemble des élèves et des professeurs, plus une bonne centaine d’industriels. Cette journée constitue un événement propice aux échanges et à l’innovation. - Deux fois par an des minimissions d’une semaine chacune. Les élèves travaillent sur un sujet à caractère scientifique ou technologique, tutorés par un spécialiste du sujet. Tout en réalisant une application, ils approfondissent leurs connaissances et leurs compétences sur ce sujet.
- À la fin de chaque année un stage en entreprise de huit à douze semaines, avec prise de responsabilités réelles ; le stage de 4e année comporte l’établissement d’un vrai projet industriel.
- Tout au long de la 3e année un projet d’une durée totale d’environ deux cent cinquante heures mené par équipes de trois et consistant à relever un défi scientifique, technique ou technologique (projet de R&D ou étude de procédé de fabrication par exemple).
Cet exercice vise à développer le sens de l’organisation et le travail en équipe.
Les étapes de l’apprentissage
L’ensemble de cette pédagogie a pour objectif de développer parallèlement les compétences scientifiques, techniques et celles de management, et par ailleurs les qualités humaines : esprit d’initiative, curiosité, capacité à s’organiser et à se dépasser, insertion dans une équipe, acceptation de la remise en cause par autrui.
Il est intéressant de voir comment les thèmes des diverses missions et projets évoluent d’année en année :
- en première année se placent paradoxalement les projets les plus complexes, ceux qui concernent la création d’entreprise. C’est le meilleur moyen de plonger tout de suite l’élève dans les réalités économiques et de lui faire percevoir tout ce qui se situe au-delà de la technique : aspects commerciaux, financiers, juridiques… ;
- en deuxième année, l’élève s’exerce à la combinaison des divers facteurs de réussite :
– d’une part, produit – marché – financement, il s’agit d’élaborer une stratégie « marketing« “, ou un montage financier, ou un plan d’action à l’international, ou une politique de communication…,
– d’autre part combinaison des fonctions recherche, production, organisation, il s’agit de prendre rapidement en charge le problème réel d’une entreprise (par exemple gestion de production, logistique, qualité…), et de proposer une solution argumentée de façon convaincante ; - la troisième année est l’année de l’innovation, avec création de produits et services nouveaux : l’équipe doit détecter un besoin, un problème, une insatisfaction, une appétence, un rêve qui pourrait conduire à la réalisation d’un produit de service innovant ; elle aura à conduire les phases de perception et d’analyse du besoin, d’émergence de solutions, et de validation de la solution retenue. Cette mission intéresse tout particulièrement les industriels soucieux du développement d’activités nouvelles dans leur entreprise ;
- la quatrième année, traditionnellement année d’option, peut devenir pour les élèves les plus dynamiques un véritable espace de création avec une formation adaptée à un projet personnel pouvant aller jusqu’à la création d’une entreprise. De plus, chaque élève devra réaliser une expérience significative à l’étranger. L’École s’organise pour rendre le niveau européen bac + 3 lisible au centre de sa formation en quatre ans.
Chaque élève peut, à tout moment de sa scolarité, contractualiser avec l’École un cursus personnalisé afin de réaliser un projet personnel ambitieux (projet sportif, création d’une entreprise, incubateur, etc.).
L’ANVAR vient de passer une convention avec l’école des Mines d’Alès pour apporter un soutien financier de 40 000 F aux projets personnels de créations de produits innovants.
Tel est le programme de réforme du processus de formation des élèves que nous sommes en train de mettre en route à Alès. Les difficultés que nous rencontrerons nous obligeront certainement à ajuster notre tir et retoucher notre programme, mais ce qui paraît déjà acquis, c’est l’adhésion de toutes les parties prenantes de cette réforme, élèves, enseignants, personnel assistant, et les nombreux partenaires extérieurs : chefs d’entreprises, universitaires, autorités de tutelle de l’ÉMA.
Au-delà de la formation initiale des ingénieurs
Il reste à dire quelques mots des activités de l’ÉMA, complémentaires à l’enseignement proprement dit, qui constituent un environnement quasi indispensable.
Pour authentifier son insertion dans les réalités économiques, l’ÉMA doit poursuivre en l’intensifiant sa participation au développement des projets jusqu’à l’industrialisation et la commercialisation des produits et même sa participation au développement des industries locales.
Nous avons donc un plan pour développer notre dispositif d’incubation et surtout sa connexion, en amont avec les organismes de recherche, et en aval avec les pépinières d’entreprises. Notre incubateur, qui accueille 20 créateurs aujourd’hui, en accueillera 50 en 2005, et depuis son origine il a permis la création d’une cinquantaine d’entreprises durables. Parmi ces créateurs, les diplômés de notre École ont jusqu’ici été très minoritaires parce que l’enseignement reçu ne les y préparait guère, mais il est évident que cela va changer.
Notre participation au développement local, notamment à celui de zones d’activité et de technologie, implique une proportion non négligeable de notre corps enseignant et aussi, à partir de cette année, un certain nombre d’élèves qui y trouveront des « missions de terrain ».
Elle se déroule en partenariat avec les acteurs économiques locaux et fait l’objet d’un contrat avec la collectivité locale (le contrat avec Pau a été signé dans l’été 99) ; notre apport est reconnu comme très fructueux sur les deux chantiers déjà en cours (Nîmes et Alès). Par exemple, sur la technopole de Nîmes se sont installées six entreprises dans le domaine des biotechnologies et l’ÉMA a un programme de recherche et de formation dans ce domaine.
Une grande ambition
L’école des Mines d’Alès fait donc plusieurs paris ambitieux, avec une perspective très vaste : le retour vers le bassin méditerranéen des activités économiques à base de matière grise. Elle croit pouvoir influer sur le développement économique et social de sa région et s’y investit.
Elle croit aux jeunes, leur fait confiance, et les accompagne dans leurs projets.
Enfin elle s’ouvre sur la société civile et cultive une relation forte entre les élèves, les enseignants et les responsables d’entreprises.
Pour mettre en œuvre sa démarche entrepreneuriale, elle souhaite que les industriels ayant le goût d’entreprendre la rejoignent afin de jouer le rôle de tuteur et transmettre leur passion au travers de la réalisation de missions, où les futurs ingénieurs s’aguerrissent.