Pour la France / Un petit frère / Babylon / Youssef Salem a du succès / Les banshees d’Inisherin
Le bon peuple cinéphile avide de divertissement sans prétention attendait l’Astérix et Obélix de Guillaume Canet (1 h 51). Il est venu, il est épatant et il n’a pas besoin de moi malgré les airs pincés de Télérama ou du Monde qui se réfèrent à la version culte d’Alain Chabat. Erreur ! J’ai beaucoup plus ri. Sans transition, à oublier : Tár (réalisateur : Todd Field – 2 h 38). Long, alambiqué, filandreux, ambitieux et raté. Enfin, à prendre avec des pincettes : Retour à Séoul (réalisateur : Davy Chou – 1 h 58), intéressant mais le contraire absolu d’un feel good movie. Ces mises au point faites, cinq propositions.
Pour la France
Réalisateur : Rachid Hami – 1 h 53
Un très beau film, inattendu, complexe, profond et retenu. Excellents acteurs autour d’un Karim Leklou particulièrement convaincant. Algérie 1992, années de plomb, éclatement familial, déploiement inégalement réussi de la fratrie en France et puis… le drame, réel, à l’origine du projet cinématographique : Jallal Hami, frère du réalisateur, mort lors d’un bizutage à Saint-Cyr en 2012 et les sept jours qui ont suivi. Très attachant, très équilibré, très bien joué, parvenant à rester factuel devant l’institution militaire dans le cadre d’une analyse psychologique serrée des incompréhensions et des tensions de l’amour intrafamilial et de l’ambivalence des affrontements fraternels.
Un petit frère
Réalisatrice : Léonor Serraille – 1 h 56
Très attachant lui aussi, mais se mérite. Il faut le regarder, le suivre, l’interpréter et le comprendre, le parcours obstiné, qui est bousculé et qui bouscule les autres, la fratrie, les hommes, de cette grande et longue Ivoirienne arrimée à la France et à sa liberté. L’émotion arrive à la fin, dans une belle rencontre terminale qui éclaire en retour une longue itinérance volontariste, estimable jusque dans ses errements où l’amour maternel, fraternel, ne lâche jamais complètement prise, même s’il ne peut tout sauver et si c’est bien au fond de soi, dans un entêtement vital, que chacun doit chercher sa vérité.
Babylon
Réalisateur : Damien Chazelle – 3 h 09
D’abord Margot Robbie, explosive Australienne, qui m’a « scotché » ! Puis Brad Pitt, définitivement excellent dans le recul et l’autodérision. Enfin la découverte de Diego Calva, hésitation séduisante. Sans minimiser tous les autres, exactement en place. Le thème est connexe à L’Artiste de Michel Hazanavicius, la bascule du muet au parlant, dans une hypertrophie baroque éblouissante. La première heure est un choc. Ensuite, une dérive-thriller scénaristique annexe induit un petit fléchissement, avant une relance et l’émotion finale. Oui, les 3 h 09 pourraient se dégraisser d’une bonne demi-heure, mais quelle ode au cinéma et, globalement, quel extraordinaire spectacle !
Youssef Salem a du succès
Réalisatrice : Baya Kasmi – 1 h 37
La référence initiale à une adolescence encombrée d’interdits sexuels intériorisés alourdit un peu les débuts et la fin d’une comédie sinon très agréable, enlevée, où l’identité arabe donne du sens à une vraie dimension de la réflexion et, par son dynamisme familial querelleur, constitue le ressort comique de chaleureuses scènes de groupe. Secondé par une Noémie Lvovsky en grande forme et prix Goncourt de fiction assez invraisemblable (encore que…), Ramzy Bedia excelle, entouré de la pléiade très drôle des seconds rôles de sa parentèle de cinéma. Un spectacle qui emporte l’adhésion avec, sous le rire, quelques questions sérieuses.
Les banshees d’Inisherin
Réalisateur : Martin McDonagh – 1 h 54
Le réalisateur et les deux acteurs principaux de l’incontournable Bons Baisers de Bruges (2008). Ici, sur la petite île fictive d’Inisherin, au large de l’Irlande et à portée des échos de la guerre civile de 1922–1924, Padraic (Colin Farrell) et Colm (Brendan Gleeson), depuis des années, tapent la discute au bistrot en sifflant des pintes de bière. Un jour, sans préavis, Colm y met fin. La spirale qui s’ensuit est sidérante d’absurdité, dans ce bout du monde où Siobhan, sa sœur aimante (Kerry Condon), Jenny sa petite ânesse affectueuse et Dominic, un grand ado de voisin dérangé, sont l’unique environnement affectif de Padraic, sous l’œil mauvais d’une banshee (sorcière des mythologies irlandaises). C’est violent, déchirant et d’une noirceur profonde et désespérée. L’entêtement conflictuel au service de l’irrationalité imbécile et immature qui se déploie n’est peut-être qu’une métaphore tragique des malheurs du monde. Subtile narration. Excellents acteurs.