Pour le chômage des jeunes, a‑t-on tout essayé ?
C’est en 1974, avec la crise pétrolière, que le problème du chômage a commencé à prendre de l’ampleur en France. En 1976, le nombre de chômeurs a dépassé le million. En 1982, des émeutes à Vénissieux ont montré la menace que leur difficulté d’accès à l’emploi représentait pour la cohésion sociale.
En 1988, François Mitterrand a soupiré : « Pour le chômage des jeunes, on a tout essayé. » Depuis, les gouvernements successifs ont réaffirmé leur souci de trouver des solutions à ce problème.
Le chômage des jeunes il y a trente ans
D’après La Société malade du chômage de Jacques Denantes, pour entrer dans le monde du travail, les jeunes peu qualifiés sont confrontés à la précarité.
« Dès 1976, un rapport du Commissariat au Plan sonnait l’alarme : la population active risquait de se scinder en deux et les prémisses en apparaissaient déjà ici ou là. Un groupe, le plus important, sera parvenu à négocier ou à imposer un statut plus stable pour lui ; un second groupe, dont l’importance risque de croître avec la conjoncture devenant plus variable, sera au contraire caractérisé par une très forte insécurité. »
Une société dualisée et segmentée
Cette dualisation s’est installée aux dépens des jeunes terminant leur scolarité avec une faible qualification : « D’après le recensement de 1982, le CEREQ a établi, pour les catégories socioprofessionnelles d’ouvriers et d’employés, une classification en zones d’emploi.
« Les deux premières, zones fermées aux débutants et zones stables avec appel modéré aux débutants, sont pratiquement inaccessibles aux jeunes qui terminent leur scolarité dans les filières courtes de l’enseignement, c’est-à-dire à la majorité des jeunes d’une classe d’âge.
« Il s’agit de l’administration et des services publics, des grandes organisations du tertiaire et de la plupart des secteurs industriels. « Il leur reste, pour commencer à travailler, les zones d’emploi à fort renouvellement […] où la productivité est stagnante, ouvriers du bâtiment et de l’habillement, personnels des services marchands, hôtellerie, restauration, petit commerce, emplois domestiques de toutes sortes pour les soins aux particuliers. »
Une voie unique de réussite
Une des fonctions du système scolaire est de répartir les élèves dans un éventail de qualifications qui leur permette de trouver une position active dans la société. Afin de faciliter cet ajustement, on a codifié les portes de sortie de la scolarité dans une échelle unique, « depuis le niveau 1, celui des grandes écoles, jusqu’au niveau 5, à la fin de l’enseignement professionnel court, et au niveau 6, celui des sans-qualification.
Être classé scolairement revient à être classé socialement
Ils sont plus de la moitié d’une classe d’âge qui, sortant aux niveaux 5 et 6, entrent dans la vie active par le chômage ou le travail précaire. »
À cette échelle unique des qualifications correspond une voie unique de réussite dans le système éducatif. Les services d’orientation scolaire ont « la mission d’informer et d’accompagner les choix de chaque élève à travers le maillage des itinéraires qui conduisent de la fin du primaire à l’enseignement supérieur ou à l’entrée dans la vie active. En fait il y a dans ce maillage une seule voie de réussite dont se détachent, plus ou moins tôt, toutes les autres voies. » D’où résulte une segmentation du marché de l’emploi par les niveaux des diplômes de fin d’études. On retrouve ces niveaux dans la hiérarchie des emplois, chaque niveau se référant aux diplômes correspondants.
Tout en bas de l’échelle des niveaux où les a relégués l’échec de leur scolarité, un grand nombre de jeunes n’ont d’autre choix que d’accéder à la vie active par la frange des emplois précaires.
Le chômage des jeunes aujourd’hui
D’après La Machine à trier : Comment la France divise sa jeunesse de Pierre Cahuc, Stéphane Carcillo, Olivier Galland et André Zylberberg, « le marché du travail français est structuré de manière duale : d’un côté, les titulaires de contrats à durée indéterminée (CDI), protégés par des règles nombreuses et contraignantes, et, de l’autre, les contrats à durée déterminée (CDD) dont le terme et le coût sont connus à l’avance. Aujourd’hui, les CDD représentent plus de 90% des embauches. »
Dans le secteur public, les contrats aidés n’ouvrent aucune perspective de carrière et, dans le privé, le niveau du salaire minimum est trop élevé. S’agissant de jeunes sans qualification ni expérience professionnelle, « un salaire minimum élevé limite leurs chances d’insertion. Car si l’impact du salaire minimum sur l’emploi en général continue à faire débat parmi les économistes, son impact sur l’emploi des jeunes, en France comme à l’étranger, est bien établi. »
L’école au cœur de la machine à trier
Les enquêtes conduites depuis 2000 par l’OCDE sur des jeunes de quinze ans montrent, pour la France, « un écart significatif entre les scores des meilleurs et des moins bons élèves. Notre proportion de bons élèves est plus forte que la moyenne, mais nos proportions de mauvais élèves et d’élèves en grande difficulté dépassent aussi la moyenne des pays de l’OCDE. » Plusieurs fonctionnements contribuent au décrochage des élèves en difficulté.
D’abord celui de l’orientation qui, en fin de troisième, « prend la forme d’un processus autoritaire (et informatisé) fondé sur les seuls résultats scolaires. Les élèves les plus faibles sont orientés presque systématiquement vers les spécialités les moins demandées. »
100 000 jeunes entrent sur le marché de l’emploi sans maîtriser les connaissances de base en français et en calcul
Puis, les méthodes pédagogiques d’enseignants qui sont spécialisés par disciplines. On a tenté d’assouplir ce cadre disciplinaire par l’introduction du socle commun des compétences, mais celui-ci, pourtant décidé par une loi en 2005, n’est pas mis en œuvre. « Le principal obstacle réside dans l’organisation rigide de notre enseignement par disciplines, jalouses de leur pré carré. »
Enfin, la culture de la compétition et du classement qui trouve son prolongement dans la hiérarchisation de la société.
« En France, le diplôme n’est pas perçu comme un investissement en capital humain qui permet de mieux se vendre sur le marché du travail. C’est un titre, l’équivalent d’un titre de noblesse, qui confère des droits et ouvre l’accès à une place donnée dans la hiérarchie sociale. Pour les jeunes Français et leur famille, tout se joue donc là : être classé scolairement revient à être classé socialement. »
Deux leviers d’action
Les auteurs de La Machine à trier proposent deux leviers d’action sur deux fonctionnements générateurs de chômage, l’un dans le monde du travail, l’autre dans celui de l’éducation.
Un défaut de formation
Bien qu’ils en aient le plus grand besoin, « les jeunes sans diplôme, qu’ils soient salariés ou chômeurs, se trouvent encore trop souvent écartés des dispositifs offrant des formations vraiment qualifiantes, car elles coûtent cher et sont de longue durée. » Pour les entreprises, il est plus rentable de réserver l’investissement formation aux personnels qualifiés.
Quant aux programmes publics de formation pour les chômeurs, l’évaluation de leurs résultats, d’après le nombre d’insertions immédiates vers un emploi, élimine les formations longues.
Dans le monde du travail, il s’agit de l’obligation de rémunérer au SMIC des jeunes sans qualification, ce qui est dissuasif pour les employeurs car ne leur permettant pas de prendre en compte le manque d’expérience des débutants.
Dans le monde de l’éducation, il s’agit du maintien en vigueur des programmes de l’enseignement secondaire structurés par disciplines, alors qu’une loi de 2005 a institué l’obligation, pour le système éducatif, de faire en sorte qu’aucun élève ne termine le cycle obligatoire des études sans avoir acquis la maîtrise d’un socle commun de connaissances et de compétences.
Il est impossible de trouver en France un collège engagé dans la mise en application de cette loi adoptée par le Parlement en 2005, et pourtant chaque année depuis quarante ans, plus de 100 000 jeunes entrent sur le marché de l’emploi sans maîtriser les connaissances de base en français et en calcul.
On imagine que la seule rationalité de ces mesures ne suffirait pas pour obtenir l’adhésion de tous les acteurs, ceux du monde de l’éducation et ceux du monde du travail mais, compte tenu de l’enjeu, ne vaudrait-il pas au moins la peine d’en parler ?