Pour le plaisir
De chaque livre ouvert il me plaît d’espérer pour le moins du plaisir, peut-être du savoir et, qui sait, de la sagesse.
Georges Duhamel
Cette phrase de Duhamel, bien connue – surtout des candidats au bac –, pourrait s’appliquer mutatis mutandis à la musique. N’en déplaise à certains esprits chagrins, n’est-ce pas du plaisir tout d’abord que l’on peut attendre de toute musique ?
Les premiers quatuors de Mendelssohn
L’excellent Quatuor Van Kuijk, quatuor jeune et français, a entrepris d’enregistrer l’intégrale des quatuors de Mendelssohn et nous livre en un premier volume les trois premiers, les opus 12 et 13 et le premier de l’opus 44. Bien sûr, l’ombre de Beethoven et de ses quatuors est omniprésente mais, avant toute référence, avant même la recherche de ce soupçon de transcendance que l’on espère chez tout grand musicien, c’est la beauté de la ligne mélodique et la finesse du contrepoint qui nous transportent, quatuor après quatuor, mouvement après mouvement. Quel plaisir ! Cela sera moins vrai par la suite, jusqu’au tragique Quatuor op. 80, mais nous en parlerons dans une prochaine chronique.
1 CD ALPHA
De la Belle Époque aux Années folles
Reynaldo Hahn (1874−1947) était surdoué. Il aurait pu, comme Milhaud et le groupe des Six, s’essayer à l’innovation mais il aura choisi d’être, comme Proust en littérature, le musicien du plaisir, du plaisir raffiné, subtil et sensuel. Ses pièces pour ensemble choral, que vient de révéler l’ensemble Accentus, sont de pures gemmes. Sur des textes de Baïf, Charles d’Orléans, Banville, Hugo, il joue avec les harmonies sans jamais heurter l’oreille par des dissonances malvenues. Écoutez Pleurez avec moi, poème d’Agrippa d’Aubigné, écoutez À la lumière, sur un texte d’Anatole France (1er enregistrement mondial) et laissez-vous aller : c’est le nirvana. Sur le même disque, de jolis chants de Saint-Saëns qui, mort en 1921, aura connu aura connu la Belle Époque et les débuts des Années folles..
1 CD ALPHA
Sous le titre Croisette, opérettes des Années folles, l’Orchestre national de Cannes dirigé par Benjamin Levy vient d’enregistrer une anthologie d’extraits d’opérettes de Christiné, Maurice Yvain, Moïse Simons, et aussi d’André Messager et Reynaldo Hahn, avec une pléiade de bons solistes comme ‑Patricia Petibon et Amel Brahim-Djelloul. À l’exception de Hahn et Messager, cela ne vole pas très haut en matière musicale ; mais ces pièces populaires, tendres ou endiablées, au charme un peu kitch, témoignent d’une insouciance désespérée alors que s’amoncellent les nuages qui précèdent la grande catastrophe.
1 CD ERATO
Deux violonistes d’exception
Sous le titre Roots (racines), le grand et inclassable Nemanja Radulović a enregistré un kaléidoscope de pièces populaires ou folkloriques dont chacune est supposée être caractéristique d’une nation. On passera sur les pays proches pour s’attarder sur
la Macédoine, la Bosnie, la Roumanie, la ‑Moldavie, le Japon, qui nous font découvrir de très jolies musiques.
1 CD WARNER
Augustin Hadelich, lui, nous présente deux concertos pour violon : celui de Benjamin Britten et le n° 2 de Prokofiev, avec l’Orchestre symphonique WDR dirigé par Cristian Măcelaru. Le Concerto de Britten a été composé en réaction à la guerre civile espagnole. Là, il n’est plus question de plaisir : c’est une œuvre déchirante que Britten considérait comme une de ses œuvres majeures et que l’on ne peut écouter les yeux secs. Seule l’extrême difficulté technique de l’écriture explique que ce concerto, un des plus forts du xxe siècle, soit si peu joué. Le Concerto n° 2 de Prokofiev, onirique, vient à point après celui de Britten pour un retour au calme et l’on retrouve le plaisir simple avec la brillante Fantaisie sur Carmen de Sarasate et les délicieux Souvenirs de l’Alhambra de Tárrega. En définitive, le plaisir se mérite.
1 CD WARNER