Pour l’égalité des chances, priorité à la culture
Le système éducatif n’est pas en mesure de compenser pour tous les élèves l’accès à la culture et les réseaux de relation dont bénéficient dans leurs familles ceux dont les parents ont fait des études supérieures. C’est pour lutter contre les inégalités qui en résultent que l’association Culture Prioritaire intervient dès le collège puis au lycée pour proposer des activités culturelles aux élèves des quartiers populaires, pour accompagner la scolarité de ceux en difficulté et pour assurer à tous les conditions d’une bonne orientation d’abord en fin de troisième, puis en terminale.
En 1964, Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron ont publié Les héritiers, un ouvrage où ils rendaient compte des résultats d’une enquête d’où ressortait l’inégalité des chances en éducation. Cela résultait du privilège dont bénéficiaient les enfants de parents diplômés de l’enseignement supérieur : ils trouvent dans leurs familles, écrivaient-ils, « un ensemble de dons sociaux qui constituent la réalité du privilège culturel ». Les réformes effectuées depuis 1964 n’ont pas vraiment modifié la situation. Pire, selon les enquêtes Pisa publiées périodiquement par l’OCDE, le système éducatif français se révèle l’un des plus inégalitaires et confirme la persistance de ce privilège des enfants de parents éduqués.
Culture générale et culture des métiers
C’est en partant de ce constat qu’en 2013 Christine Genin a créé l’association Culture Prioritaire dont l’activité consiste, en partenariat avec des collèges et des lycées situés dans les zones sensibles des 17e, 18e et 20e arrondissements de Paris et, plus récemment à Colombes dans les Hauts-de-Seine et en Seine-Saint-Denis, à proposer aux élèves issus de milieux populaires des parcours d’accompagnement axés sur la culture générale et sur la culture des métiers. Les interventions ont lieu en dehors du temps scolaire et pendant les vacances.
Pour les élèves de classe de troisième, il s’agit de 14 séances collectives de deux heures qui portent sur la recherche du stage d’observation – dont la pertinence et la qualité dépendent le plus souvent du réseau des parents de l’enfant –, sur l’orientation en fin de troisième et sur l’expression écrite et orale.
Pour les élèves de seconde, il s’agit de 20 séances collectives de deux heures autour de cinq modules : histoire de l’art, littérature, musique, institutions politiques et économiques, histoire des sciences, ainsi que des tests de personnalité axés sur les choix d’avenir.
Pour les élèves de première, il s’agit de 20 séances collectives de deux heures qui portent sur la préparation du bac de français (culture générale, expression écrite et orale) et sur l’orientation (connaissances des voies dans l’enseignement supérieur, rencontres avec des professionnels).
Pour les élèves de terminale, il s’agit de 18 séances collectives de deux heures sur la préparation au bac et sur l’orientation dans l’enseignement supérieur via la plateforme Parcoursup. De plus, pour chacun de ces niveaux, l’association organise chaque année dix sorties culturelles : théâtres, cinémas, concerts, musées, monuments historiques et aussi une visite d’entreprise.
“Compenser l’inégalité des chances pour les élèves issus de milieux défavorisés”
Voyages à l’étranger et orientation
En fin d’année, elle propose des voyages en province pour les collégiens et à l’étranger pour les lycéens (visite de Barcelone, Venise, Lisbonne, Naples, Amsterdam…). Enfin aux élèves qui le demandent, l’association dispense des prestations individuelles : tutorat pour le travail scolaire, mise en contact avec des entreprises pour le stage de troisième, suivi du Projet Voltaire pour l’orthographe, aide à l’orientation pour les élèves de première et de terminale avec l’utilisation de l’outil numérique Pass’Avenir.
Une initiative privée au chevet du service du public
En 2013, Christine Genin fonde Culture Prioritaire avec huit cadres dirigeants d’entreprises qui siègent au conseil d’administration, l’une d’entre eux en assurant la présidence et Christine Genin la direction. L’association a pour objectif de compenser l’inégalité des chances pour les élèves issus de milieux défavorisés en leur apportant une valorisation et un enrichissement de la dimension culturelle des programmes d’enseignement ; et un accompagnement de l’orientation avec la mobilisation de réseaux qui donnent accès au monde du travail.
Pour se lancer, l’association a pris contact avec les équipes de développement local de la Ville de Paris, qui, dans le cadre de la politique de la ville, ont pour mission de réduire les inégalités territoriales en aidant les projets qui répondent aux besoins des habitants. Ces équipes ont introduit l’association auprès des collèges et des lycées du 17e, puis du 18e et du 20e, tous situés dans des quartiers sensibles. Il y a deux ans, l’association a aussi répondu à la demande d’établissements de Colombes pour intervenir dans un collège REP (Réseau d’éducation prioritaire) de cette ville puis dans le lycée voisin.
Christine Genin, fondatrice de Culture Prioritaire
Ancienne élève de Sciences Po Paris, Christine Genin a travaillé en entreprise, puis elle a obtenu un master en histoire de l’art à l’École du Louvre avec un mémoire sur les relations à la culture des publics adolescents. Après quelques années d’exercice de la profession de guide conférencière, elle a pris la direction d’une association familiale où elle a pu constater le handicap des jeunes qui n’ont hérité ni d’un bagage culturel, ni d’un réseau social dans le monde du travail.
Un fonctionnement qui s’appuie sur le volontariat et le bénévolat
Les élèves sont volontaires : chacun doit s’engager à une présence assidue aux activités de son programme. Le nombre de ceux pris en charge progresse chaque année : durant l’année 2018–2019, elle a pris en charge 167 jeunes en 9 groupes de niveau et, pour répondre à une demande croissante, elle prévoit d’en accueillir 200 en 2019–2020.
L’association exerce ses activités dans des locaux situés dans le 17e arrondissement, mais elle intervient aussi dans les établissements scolaires, notamment à Colombes. Elle emploie dix salariés dont trois à temps plein, qui, avec une cinquantaine de bénévoles et trois intervenants rémunérés sur honoraires (tests de personnalité, Projet Voltaire, Pass’Avenir), assurent les prestations aux élèves.
Financement public et privé
Au démarrage, le financement était assuré sur fonds publics, mais le montant de leur contribution a cessé de croître en 2016, malgré l’accroissement du nombre d’élèves pris en charge. Le relai a été pris par des donations d’entreprises, de fondations d’entreprises et de particuliers. En 2018, le budget s’est élevé à 160 000 € financés à 44 % sur fonds publics et à 46 % par des donations de fondations ou d’entreprises, le reste provenant de cotisations et de dons de particuliers.
Une réponse devant un constat alarmant
Il y a près de cinquante ans que se posent en France le problème des jeunes qui terminent leur scolarité en situation d’échec scolaire et celui du chômage qui en résulte. N’ayant moi-même pas réussi à assurer le développement d’une action que j’avais lancée en 1972 en Seine-Saint-Denis pour assurer l’insertion professionnelle de ces jeunes, j’ai recherché dans l’aventure de Culture Prioritaire ce qui m’avait manqué ou que je n’avais pas su trouver pour assurer le développement et la pérennité d’une action dont l’utilité sociale était pourtant évidente.
“Autour d’un noyau de salariés,
l’association a su mobiliser
l’engagement militant
d’une cinquantaine de bénévoles”
Les raisons de la réussite de Culture Prioritaire
Dans son territoire d’intervention, Culture Prioritaire a su se faire reconnaître comme partenaire par les établissements, collèges et lycées, où sont scolarisés les élèves bénéficiant de ses prestations. À Colombes, ce sont un collège et un lycée qui, ayant vu travailler l’association dans les arrondissements nord de Paris, ont sollicité son intervention, laquelle a lieu dans leurs locaux. Le ministre de l’Éducation s’est déplacé pour marquer son intérêt et c’est maintenant un collège de La Courneuve en Seine-Saint-Denis qui sollicite l’intervention de Culture Prioritaire.
Autour d’un noyau de salariés, l’association a su mobiliser l’engagement militant d’une cinquantaine de bénévoles pour l’emploi desquels aucun salaire ne pèse sur les coûts et dont certains sont disponibles pour intervenir avec les salariés dans les temps d’inactivité des établissements scolaires, les samedis et pendant les vacances. Les dirigeants et les cadres d’entreprise qui ont participé à la création de Culture Prioritaire et qui sont maintenant au conseil d’administration ont facilité la prise de contact avec les entreprises. Celles-ci ont ouvert leurs portes aux élèves et parmi elles, l’association a trouvé des mécènes dont les donations l’ont mise à l’abri des fluctuations des politiques publiques.
Une action à soutenir
Cette action est exemplaire en ce qu’elle montre comment, pour assurer une meilleure égalité des chances et la prévention de l’échec, il a été possible de compléter les prestations du service public de l’éducation en mobilisant au plan local des acteurs dont l’intervention s’inscrivait dans le cadre de l’économie sociale et solidaire. La croissance du nombre d’élèves depuis 2013 et l’appel de responsables d’établissements scolaires en Seine-Saint-Denis montrent à quel point l’intervention de Culture Prioritaire répond à un profond besoin. Dans la situation actuelle, il en résulte une très forte surcharge de travail pour Christine Genin et pour sa petite équipe de salariés. L’association est confrontée à une crise de croissance dont il faut souhaiter qu’elle trouve rapidement la solution.
Ressources
Les héritiers, Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, Les Éditions de Minuit, Paris, 1985.
Le Projet Voltaire est un site internet qui met à la disposition des abonnés un parcours de remise à niveau en orthographe.
Pass’Avenir est un site internet qui met à la disposition des abonnés un parcours d’aide à l’orientation.
Visitez le site : www.cultureprioritaire.org