Pour que la Terre reste humaine
Ce livre doit être lu comme un cri d’alarme à propos des outrages qu’aura subi notre planète au cours du XXe siècle : déforestations massives, pollution et épuisement des réserves d’eau douce, pollution de la mer et de l’air (y compris l’effet de serre), etc. La question suivante est posée : au troisième millénaire, la terre deviendra-t-elle inhumaine et inhospitalière pour l’homme par la faute de l’homme ?
- Le titre même du livre Pour que la Terre reste humaine montre que nous avons affaire à de véritables humanistes, ce qui est confirmé par leurs affirmations très claires : l’homme occupe une place éminente dans la nature… il y a urgence objective à veiller à ce que la terre demeure belle et bonne à vivre par le plus grand nombre d’individus. On n’y trouve bien évidemment aucune proposition tendant à réduire de façon drastique la population du monde pas plus que son niveau de vie.
- Les auteurs se démarquent très vite et très nettement des idéologies anglo-saxonnes sur les droits de la nature et des animaux : Non ! on ne peut pas parler d’un droit de la nature, le droit est créé par les hommes pour les hommes… Les droits des animaux ? cela n’a guère de sens ! mais dire que la nature n’a pas de droits ne signifie absolument pas que la nature et la biosphère soient correctement défendues. On retrouve beaucoup d’idées avancées par Luc Ferry dans son ouvrage désormais célèbre Le nouvel ordre écologique, l’arbre, l’animal et l’homme (Grasset, 1994).
- Ils se livrent à des critiques acerbes des orientations discutables voire des excès de certains défenseurs de l’environnement. Ils refusent l’idéologie et de la peur, et veulent sortir des rumeurs, des à peu près et du manichéisme qui caractérisent souvent les militants écolo et leurs adversaires. Les militants de la deep ecology qui mettent la nature avant l’homme dans la hiérarchie de leurs préoccupations considèrent que la disparition de l’espèce humaine ne serait pas une catastrophe, et même que les autres vivants pourraient s’en réjouir. Pour Nicolas Hulot, la vie est une valeur suprême.
- Ils sont sévères à l’égard des Verts qui : constituent un mouvement social très divers, ont rendu et rendent encore de grands services, en jouant les mouches du coche de l’information et de la dénonciation de certaines pollutions, mais ont tendance à croire qu’ils sont seuls à défendre l’environnement et qu’ils ont tout inventé… pourtant, avant eux, les analyses scientifiques existaient déjà… les écologistes sont venus après, et il n’y a pas de propriétaires de la lutte pour l’environnement… une des misères de l’environnement sur le plan politique, c’est de réserver ces problèmes à un parti “ Vert ” et à un ministère “ Vert ”, pendant que les grands partis et le gouvernement s’occupent des choses sérieuses… d’une façon générale, les partis écologistes pèchent par jusqu’au-boutisme.
- Ils ont le courage d’aborder sans complexe un sujet devenu tabou, le nucléaire : L’action politique des partis écologistes laisse plus d’une fois perplexe : sur le nucléaire, on peut penser qu’il est pour le moins imprudent de demander à tous les pays occidentaux d’en sortir rapidement : une telle mesure risquerait de rendre plus difficile la conjoncture économique des prochaines décennies marquées par une forte hausse de la consommation mondiale et par de fortes tensions sur le pétrole, sans parler de l’effet de serre… Qu’on se souvienne de la guerre du Golfe : si le pétrole redevenait la principale source d’énergie, nous serions dans une situation encore plus dangereuse que celle d’aujourd’hui. Les périls liés au nucléaire sont certes réels mais si on veut le supprimer, il faut se donner des délais et ne pas oublier que le pétrole et les autres sources d’énergie mettent aussi à mal l’environnement. Pour ma part, je vais beaucoup plus loin estimant avec Bruno Comby que le nucléaire pourrait bien être l’avenir de l’écologie.
- J’ai eu un grand plaisir à découvrir les idées de Dominique Bourg (auteur d’un autre livre que je recommande au passage : L’homme artifice, Gallimard, 1996). Dominique Bourg s’exprime ainsi : Je ne partage pas les idées “ new age ” d’un réenchantement du monde et de la nature : cette résurgence d’une sorte de vague paganisme, sans intérêt pour la réflexion et l’action écologique, m’est totalement étrangère… Je ne pense pas bien que je trouve admirable le livre Pieds nus dans la terre sacrée que les idées qu’il contient (la philosophie des Indiens d’Amérique du Nord par rapport à la nature) puissent nous aider, on oublie trop que les Indiens brûlaient des surfaces de prairie énormes pour la chasse…
Je suis pourtant en désaccord avec certaines idées exprimées dans l’ouvrage :
Il y a, selon moi, des contradictions importantes entre les chapitres V (la pollution de la terre) et VI (les plantes transgéniques dangereusement inutiles ?), si les OGM sont vraiment capables de nous délivrer des pesticides et de certains engrais il me semble opportun de les expérimenter et de les mettre en oeuvre sans tarder…, l’argument selon lequel leur utilisation risque de faire apparaître des espèces résistantes ne me semble pas suffisant pour y renoncer : un tel raisonnement conduirait à renoncer aussi aux antibiotiques, ce que l’on s’est bien gardé de faire (et on a eu raison). Je pense a contrario que les OGM (comme le nucléaire) représentent un espoir formidable pour l’humanité.
Je ne suis pas d’accord non plus sur un véritable tollé lancé contre les scientifiques signataires de l’appel d’Heidelberg, ces scientifiques ont, selon moi, bel et bien mis le doigt sur une dérive réelle et inquiétante de certains militants écologistes : il y a et il y aura toujours beaucoup d’irrationnel et de superstition dans l’attitude de ces militants. Nos trois auteurs reconnaissent d’ailleurs spontanément cette dérive en écrivant à propos des partis écologistes : Ils fonctionnent facilement à l’obsession, ils sont radicaux et cet extrémisme explique leurs divisions.
En fin de compte, malgré ces quelques réserves, un livre intéressant et stimulant qui propose dans un contexte de très grande liberté une réflexion globale sur des questions essentielles : la place de l’homme sur la terre, son environnement, le devenir de notre planète (les générations futures sont concernées). Les problèmes sont abordés avec rigueur, fermeté et une grande ouverture d’esprit. Il est grand temps de s’en occuper : si nous voulons que la terre redevienne humaine il convient, selon moi, non pas seulement de la “ protéger ” mais bel et bien de “ l’aménager ” en fonction des besoins des générations futures et des moyens dont nous pouvons nous doter grâce à la science et à la technique