Pour que nos PME puissent faire face à l’avenir
Jean-Stanislas Parrod est au CIC Paris le spécialiste des problèmes de pérennité et transmission des entreprises. Gérard de Ligny (43) est président de l’AIMVER. Ils collaborent sur le développement des entreprises des tissus régionaux.
Dans les lignes suivantes, leur attention s’est portée principalement sur la PME de 50 à 500 personnes, de structure familiale, exerçant une activité industrielle ou de services.Soit environ 25 000 entreprises occupant trois millions de personnes à comparer aux 40 000 entreprises de l’Allemagne Occidentale, occupant six millions de personnes.
Ils se sont interrogés sur les causes de cette relative faiblesse et les remèdes à y apporter.
1 – La situation actuelle
1.1 – Culture terrienne
Dans les pays réellement capitalistes, l’entreprise est, pour l’investisseur familial, la meilleure voie pour faire fructifier son patrimoine, mais il peut :
- soit, voir l’entreprise comme un placement, sans s’intéresser à son combat : dans ce cas, il abandonne ses prérogatives aux gestionnaires salariés, et, ceux-ci le considèrent en retour comme un partenaire dormant ;
- soit, a contrario, remplir son rôle d’associé, et entrer dans les contraintes de sa prospérité : il devient, alors, attentif aux évolutions de la technologie, des marchés, des hommes, et, il intervient dans le choix de la stratégie la plus propice à l’enrichissement durable de l’affaire.
Il a, de surcroît, la possibilité de faire entrer des partenaires dans le capital et si, à un certain stade de l’évolution, il ne se sent plus en mesure de soutenir seul le développement de l’affaire, il passe la main – partiellement ou totalement – à d’autres investisseurs.
C’est ainsi que, schématiquement, le capital s’adapte aux différentes phases de la croissance d’une société familiale.
Ce modèle s’applique – plus ou moins purement – dans les pays de tradition marchande (Angleterre, USA…).
Dans un pays de tradition terrienne comme la France, ce modèle s’inscrit dans un contexte culturel qui l’influence très sensiblement.
D’abord, suivant l’adage que « la terre doit appartenir à celui qui la cultive », le pouvoir directorial et le pouvoir capitaliste sont le plus souvent, même dans les grosses entreprises familiales, étroitement liés. La continuité s’enracine de ce fait, mais il s’introduit dans le capital d’évidentes rigidités. Ceci est d’autant plus vrai qu’un autre principe affirme : que « la terre n’étant pas un bien marchand, l’héritier ne doit ni l’aliéner, ni la détourner de la production instaurée par ses pères ». Même assouplis, ces comportements incitent le chef d’entreprise et ses héritiers, à pérenniser les métiers, les produits, les implantations géographiques.
Les décisions de reconversions, d’alliances, et a fortiori de délocalisations sont donc très difficiles à prendre et généralement très tardives.
Cette culture terrienne s’est assez bien accordée avec la situation économique française, notamment durant la longue période de développement d’après-guerre, période d’inflation pendant laquelle le crédit est devenu le mode de financement privilégié. Les entreprises familiales ont progressé alors, avec des fonds propres relativement faibles. Ceci, malheureusement, a eu pour effet de les fragiliser maintenant que l’inflation a disparu.
1.2 – Nouvel environnement
Depuis le début de la décennie, le paysage économique s’est modifié :
1) les technologies nouvelles ont facilité les bouleversements des marchés ainsi que la réduction des prix ;
2) la complexité des sous-traitances et des échanges impose des partenariats dont l’entreprise intégrée n’a aucune pratique ;
3) les distances ont été abolies, les pays à bas salaires sont aux portes, et la globalisation est inévitable ;
4) la concurrence s’est élargie et durcie sans épargner les affaires familiales ;
5) les médias ont élevé sans cesse le seuil critique d’entrée dans la communication commerciale (au moins pour les produits de consommation).
2 – Voies du rajeunissement et de l’adaptation au marché
LA FRANCE DES OUTILS.
Cinquante industriels français ont créé le groupement d’exportateurs OUTILEX (*) pour promouvoir leurs fabrications sur les marchés internationaux : participation collective aux salons, actions de prospection, réalisation d’études, édition de catalogues et création d’un site sur Internet.
D’abord, nous devons nous persuader que les Français sont armés pour s’adapter à la nouvelle donne de l’économie mondiale et pour se libérer de certaines lourdeurs qui les entravent. Ces lourdeurs, ne les ont d’ailleurs pas empêchés de devenir le 4e exportateur du monde et d’aligner de nombreuses réussites (malheureusement trop concentrées sur de grandes affaires).
C’est pourquoi, nous ne devons pas chercher à reprendre des modèles étrangers, mais à en tirer des leçons utiles.
Par exemple, nous sommes trop loin de la relation capital-management des Anglo-Saxons pour essayer de la copier, mais nous avons besoin d’un vrai « marché des capitaux » apportant aux PME une meilleure assise de fonds propres et une mobilité réelle des actionnariats.
De même, nous n’égalerons jamais les Italiens dans l’art de susciter « l’effet de ruche » entre des micro-entreprises interconnectées, mais leur exemple montre l’importance des réseaux et incite chaque entreprise à s’intégrer dans un système maillé.
Nous devons donc trouver nos propres réponses en :
a) renforçant l’expertise des directions d’entreprises,
b) confortant le capital des entreprises familiales.
2.1 – Renforcer l’expertise des directions d’entreprise
Il y a déjà en France, des avancées remarquables dans le management stratégique, et une prise de conscience de son utilité qui se généralise. Mais cette conscience se traduit trop faiblement, dans les entreprises moyennes ou petites par les évolutions nécessaires : les dirigeants, en effet, qui se réservent la décision stratégique, n’ont pas toujours, malgré leurs qualités de caractère, les points d’appui, le temps, et les relations nécessaires pour ouvrir de nouvelles voies.
Des progrès sont encore indispensables dans les trois domaines suivants :
a) la formation complémentaire des entrepreneurs familiaux,
b) l’intégration de jeunes compétences dans leurs équipes,
c) le développement d’un corps de consultants adaptés aux besoins.
Quelques commentaires :
a) la formation complémentaire des entrepreneurs familiaux,
Les « formations pour dirigeants » sont trop influencées par les demandes des Grandes Entreprises et ne rejoignent pas suffisamment les préoccupations des entreprises moyennes familiales. Pour celles-ci, une formation de patron réalisée par des patrons, au sein de petits groupes conviviaux où les problèmes spécifiques de ce type d’entreprise pourraient être débattus, serait très efficace. Ce serait du même coup l’occasion de nouer des dialogues entre entreprises, de s’entraîner au partenariat (un début de « ruche »).
Dans ce domaine, les initiatives de l’Association pour le progrès du management (APM) et les projets de J. Barache devraient être encouragés.
b) l’intégration de jeunes compétences dans leurs équipes,
La position de cadre dans une PME familiale, reste inconfortable, par suite de l’accaparement du pouvoir par les propriétaires et de l’absence d’intéressement. D’un côté, les chefs d’entreprises, redoutent l’esprit technique et « contestataire » des jeunes diplômés. De l’autre, ces jeunes, du moins les plus courageux d’entre eux, préfèrent souvent, pour assurer leur avenir, prendre les risques d’une création, alors qu’ils pourraient rendre de plus évidents services en s’intégrant dans une entreprise. Ils lui apporteraient, alors, leurs compétences et relèveraient les nouveaux défis de la « guerre économique ».
Par bonheur, la pratique de nouveaux modes d’intégration des jeunes (par des missions à l’étranger), l’évolution des formes de pouvoir dans l’entreprise familiale…, et le resserrement de l’emploi dans les grandes entreprises…, réorientent vers les PME des experts de grandes valeurs.
L’équipe MECANERGIE : sept patrons de PME de Roanne conjuguent leurs efforts pour faire face aux nouvelles exigences de leur clientèle et pénétrer sur de nouveaux marchés par des produits innovants.
c) le développement d’un corps de consultants adaptés aux besoins.
Le recours à des conseillers extérieurs, devrait être, pour un dirigeant de PME, un moyen d’alléger sa solitude et d’ouvrir des voies nouvelles. Apporter des connaissances extérieures, tout autant que des compétences, tel devrait être le rôle de ces catalyseurs.
Malheureusement, il n’y a pas en France de corps de consultants pour PME, qui apporte à ses clients, au-delà de la conception de projets, des accompagnements de l’action, avec des tarifs accessibles.
L’Hexagone ne manque pourtant pas de dirigeants expérimentés dont la carrière pourrait se poursuivre dans le conseil, moyennant une formation complémentaire. Ponctuellement des initiatives ont été lancées par les Chambres de commerce et les Comités d’expansion, mais à l’étranger, notamment en Angleterre, des organisations plus efficaces ont vu le jour et témoignent d’une prise de conscience plus profonde.
L’optimisme reste toutefois permis, car les orientations sont bien tracées, et aucun obstacle institutionnel déterminant ne freine la progression.
2.2 – Conforter le capital des entreprises familiales
À la vérité, il n’y aurait pas de blocage au niveau du capital, si les dirigeants ne se heurtaient pas, dans la mise en oeuvre de leurs stratégies de renouveau du capital aux contraintes actuelles de fonctionnement « de l’institution financière ».
Trois redressements paraissent particulièrement urgents :
a) le renforcement des fonds propres,
b) la facilitation des partenariats financiers,
c) la protection de la pérennité.
a) le renforcement des fonds propres, En premier lieu, le chef d’entreprise a besoin, pour aborder certaines voies nouvelles, d’une sécurité financière minimale, donc d’un niveau de fonds propres très supérieur à celui dont on a pris l’habitude en France. Pour cela, il faut qu’il y ait des capitaux prêts à s’investir, et, des dirigeants prêts à accueillir les apporteurs de capitaux.
Les fonds d’épargne du personnel (du type TER italien), et les fonds de placement des retraites par capitalisation pourraient devenir des gisements de fonds propres si toutefois, la législation définit au préalable correctement le cadre sécuritaire requis.
La mobilisation de l’épargne en faveur des entreprises locales (pour développer l’emploi de proximité), pourrait elle aussi progresser, à condition que soit assurée la liquidité des placements et la garantie des investissements initiaux. Quelques pas ont été faits récemment dans cette direction, mais d’autres avancées doivent encore être proposées par le législateur.
b) la facilitation des partenariats financiers, Les détenteurs d’entreprises familiales devront partager plus clairement leur capital et leurs pouvoirs. C’est la condition pour que s’organisent des tours de tables capitalistiques stables, sans lesquels les partenariats industriels et commerciaux, réclamés par les dirigeants, restent éphémères et fragiles. Une telle orientation peut partir de l’accueil d’un actionnaire minoritaire, pour aller jusqu’à une « recomposition de l’actionnariat » avec de nouveaux venus, remplaçant les associés dormants.
Exercice apparemment périlleux mais qui a déjà réussi dans les nombreux cas où les associés traditionnels ont su prendre les dispositions nécessaires, pour conserver leur patrimoine, et le valoriser.
Cela implique bien entendu, que les nouveaux partenaires explicitent leur éthique, leur proximité culturelle, leur dynamisme, et leur fair play, éventuellement dans des joint venture n’engageant pas définitivement les parties. Ainsi, le caractère patrimonial de l’entreprise peut être sauvegardé.
Si nous disposions des mêmes outils financiers que les Anglo-Saxons, ce type d’opération pourrait être plus fréquent, et les candidats pour s’y engager plus nombreux.
c) la protection de la pérennité. Le renouvellement de générations et le règlement des successions imposent des réformes urgentes : l’obstacle fiscal met quasiment les plus grandes dans les griffes des groupes étrangers (74 absorptions en cinq ans). Une action de sensibilisation sur la fiscalité des transmissions est d’ailleurs déployée par l’Association des moyennes entreprises patrimoniales (ASMEP). Cette action ne doit pas être perçue comme une revendication catégorielle. Octave Gélinier a démontré magistralement que l’intérêt général français est en jeu.
Concernant les affaires de taille plus petite, dont la capitalisation ne dépasse pas quelques millions de francs, les mesures prises restent encore limitées. En particulier des facilités financières devraient leur être données pour faire accéder à la table des actionnaires les cadres qui en ont le désir et l’étoffe. Ces derniers sont en effet les partenaires les plus facilement intégrales à la famille. Il y a là, une transition possible entre deux générations d’entrepreneurs.
3 – En résumé : un combat sur plusieurs axes, qui peut être gagné
Le nouvel environnement économique réclame prioritairement de la réactivité, pour suivre au mieux l’évolution rapide de la demande et de la concurrence. L’entreprise patrimoniale n’est pas la plus mal placée, mais il reste quelques progrès majeurs à accomplir :
- Organiser une forte capacité d’anticipation et d’innovation, car les concurrents ont l’oeil ouvert. Dans ce domaine, les entreprises familiales doivent encore structurer leur vigilance.
- Réorienter l’épargne vers l’entreprise patrimoniale : tant que l’argent sera rare et la propriété suspectée, il sera difficile de conforter ces affaires.
- Ramener les dirigeants-propriétaires sur la transmission de leur patrimoine, tout en les préparant à des ouvertures indispensables.
- Intensifier les efforts d’adaptation du management dans les domaines de l’innovation produits-marchés et de la coopération internationale.