Groupement d'exportateurs OUTILEX

Pour que nos PME puissent faire face à l’avenir

Dossier : Le tissu des PME françaisesMagazine N°522 Février 1997
Par Jean-Stanislas PARROD
Par Gérard de LIGNY (43)

Jean-Sta­nis­las Par­rod est au CIC Paris le spé­cia­liste des pro­blèmes de péren­ni­té et trans­mis­sion des entre­prises. Gérard de Ligny (43) est pré­sident de l’AIM­VER. Ils col­la­borent sur le déve­lop­pe­ment des entre­prises des tis­sus régionaux.

Dans les lignes sui­vantes, leur atten­tion s’est por­tée prin­ci­pa­le­ment sur la PME de 50 à 500 per­sonnes, de struc­ture fami­liale, exer­çant une acti­vi­té indus­trielle ou de services.Soit envi­ron 25 000 entre­prises occu­pant trois mil­lions de per­sonnes à com­pa­rer aux 40 000 entre­prises de l’Al­le­magne Occi­den­tale, occu­pant six mil­lions de personnes.

Ils se sont inter­ro­gés sur les causes de cette rela­tive fai­blesse et les remèdes à y apporter.

1 – La situation actuelle

1.1 – Culture terrienne

Dans les pays réel­le­ment capi­ta­listes, l’en­tre­prise est, pour l’in­ves­tis­seur fami­lial, la meilleure voie pour faire fruc­ti­fier son patri­moine, mais il peut :

  • soit, voir l’en­tre­prise comme un pla­ce­ment, sans s’in­té­res­ser à son com­bat : dans ce cas, il aban­donne ses pré­ro­ga­tives aux ges­tion­naires sala­riés, et, ceux-ci le consi­dèrent en retour comme un par­te­naire dormant ;
  • soit, a contra­rio, rem­plir son rôle d’as­so­cié, et entrer dans les contraintes de sa pros­pé­ri­té : il devient, alors, atten­tif aux évo­lu­tions de la tech­no­lo­gie, des mar­chés, des hommes, et, il inter­vient dans le choix de la stra­té­gie la plus pro­pice à l’en­ri­chis­se­ment durable de l’affaire.

Il a, de sur­croît, la pos­si­bi­li­té de faire entrer des par­te­naires dans le capi­tal et si, à un cer­tain stade de l’é­vo­lu­tion, il ne se sent plus en mesure de sou­te­nir seul le déve­lop­pe­ment de l’af­faire, il passe la main – par­tiel­le­ment ou tota­le­ment – à d’autres investisseurs.

C’est ain­si que, sché­ma­ti­que­ment, le capi­tal s’a­dapte aux dif­fé­rentes phases de la crois­sance d’une socié­té familiale.

Ce modèle s’ap­plique – plus ou moins pure­ment – dans les pays de tra­di­tion mar­chande (Angle­terre, USA…).

Dans un pays de tra­di­tion ter­rienne comme la France, ce modèle s’ins­crit dans un contexte cultu­rel qui l’in­fluence très sensiblement.

D’a­bord, sui­vant l’a­dage que « la terre doit appar­te­nir à celui qui la cultive », le pou­voir direc­to­rial et le pou­voir capi­ta­liste sont le plus sou­vent, même dans les grosses entre­prises fami­liales, étroi­te­ment liés. La conti­nui­té s’en­ra­cine de ce fait, mais il s’in­tro­duit dans le capi­tal d’é­vi­dentes rigi­di­tés. Ceci est d’au­tant plus vrai qu’un autre prin­cipe affirme : que « la terre n’é­tant pas un bien mar­chand, l’hé­ri­tier ne doit ni l’a­lié­ner, ni la détour­ner de la pro­duc­tion ins­tau­rée par ses pères ». Même assou­plis, ces com­por­te­ments incitent le chef d’en­tre­prise et ses héri­tiers, à péren­ni­ser les métiers, les pro­duits, les implan­ta­tions géographiques.

Les déci­sions de recon­ver­sions, d’al­liances, et a for­tio­ri de délo­ca­li­sa­tions sont donc très dif­fi­ciles à prendre et géné­ra­le­ment très tardives.

Cette culture ter­rienne s’est assez bien accor­dée avec la situa­tion éco­no­mique fran­çaise, notam­ment durant la longue période de déve­lop­pe­ment d’a­près-guerre, période d’in­fla­tion pen­dant laquelle le cré­dit est deve­nu le mode de finan­ce­ment pri­vi­lé­gié. Les entre­prises fami­liales ont pro­gres­sé alors, avec des fonds propres rela­ti­ve­ment faibles. Ceci, mal­heu­reu­se­ment, a eu pour effet de les fra­gi­li­ser main­te­nant que l’in­fla­tion a disparu.

1.2 – Nouvel environnement

Depuis le début de la décen­nie, le pay­sage éco­no­mique s’est modifié :
1) les tech­no­lo­gies nou­velles ont faci­li­té les bou­le­ver­se­ments des mar­chés ain­si que la réduc­tion des prix ;
2) la com­plexi­té des sous-trai­tances et des échanges impose des par­te­na­riats dont l’en­tre­prise inté­grée n’a aucune pratique ;
3) les dis­tances ont été abo­lies, les pays à bas salaires sont aux portes, et la glo­ba­li­sa­tion est inévitable ;
4) la concur­rence s’est élar­gie et dur­cie sans épar­gner les affaires familiales ;
5) les médias ont éle­vé sans cesse le seuil cri­tique d’en­trée dans la com­mu­ni­ca­tion com­mer­ciale (au moins pour les pro­duits de consommation).

2 – Voies du rajeunissement et de l’adaptation au marché

LA FRANCE DES OUTILS.
Cin­quante indus­triels fran­çais ont créé le grou­pe­ment d’ex­por­ta­teurs OUTILEX (*) pour pro­mou­voir leurs fabri­ca­tions sur les mar­chés inter­na­tio­naux : par­ti­ci­pa­tion col­lec­tive aux salons, actions de pros­pec­tion, réa­li­sa­tion d’é­tudes, édi­tion de cata­logues et créa­tion d’un site sur Internet.

D’a­bord, nous devons nous per­sua­der que les Fran­çais sont armés pour s’a­dap­ter à la nou­velle donne de l’é­co­no­mie mon­diale et pour se libé­rer de cer­taines lour­deurs qui les entravent. Ces lour­deurs, ne les ont d’ailleurs pas empê­chés de deve­nir le 4e expor­ta­teur du monde et d’a­li­gner de nom­breuses réus­sites (mal­heu­reu­se­ment trop concen­trées sur de grandes affaires).

C’est pour­quoi, nous ne devons pas cher­cher à reprendre des modèles étran­gers, mais à en tirer des leçons utiles.

Par exemple, nous sommes trop loin de la rela­tion capi­tal-mana­ge­ment des Anglo-Saxons pour essayer de la copier, mais nous avons besoin d’un vrai « mar­ché des capi­taux » appor­tant aux PME une meilleure assise de fonds propres et une mobi­li­té réelle des actionnariats.

De même, nous n’é­ga­le­rons jamais les Ita­liens dans l’art de sus­ci­ter « l’ef­fet de ruche » entre des micro-entre­prises inter­con­nec­tées, mais leur exemple montre l’im­por­tance des réseaux et incite chaque entre­prise à s’in­té­grer dans un sys­tème maillé.

Nous devons donc trou­ver nos propres réponses en :
a) ren­for­çant l’ex­per­tise des direc­tions d’entreprises,
b) confor­tant le capi­tal des entre­prises familiales.

2.1 – Renforcer l’expertise des directions d’entreprise

Il y a déjà en France, des avan­cées remar­quables dans le mana­ge­ment stra­té­gique, et une prise de conscience de son uti­li­té qui se géné­ra­lise. Mais cette conscience se tra­duit trop fai­ble­ment, dans les entre­prises moyennes ou petites par les évo­lu­tions néces­saires : les diri­geants, en effet, qui se réservent la déci­sion stra­té­gique, n’ont pas tou­jours, mal­gré leurs qua­li­tés de carac­tère, les points d’ap­pui, le temps, et les rela­tions néces­saires pour ouvrir de nou­velles voies.

Des pro­grès sont encore indis­pen­sables dans les trois domaines suivants :
a) la for­ma­tion com­plé­men­taire des entre­pre­neurs familiaux,
b) l’in­té­gra­tion de jeunes com­pé­tences dans leurs équipes,
c) le déve­lop­pe­ment d’un corps de consul­tants adap­tés aux besoins.

Quelques com­men­taires :

a) la for­ma­tion com­plé­men­taire des entre­pre­neurs familiaux,
Les « for­ma­tions pour diri­geants » sont trop influen­cées par les demandes des Grandes Entre­prises et ne rejoignent pas suf­fi­sam­ment les pré­oc­cu­pa­tions des entre­prises moyennes fami­liales. Pour celles-ci, une for­ma­tion de patron réa­li­sée par des patrons, au sein de petits groupes convi­viaux où les pro­blèmes spé­ci­fiques de ce type d’en­tre­prise pour­raient être débat­tus, serait très effi­cace. Ce serait du même coup l’oc­ca­sion de nouer des dia­logues entre entre­prises, de s’en­traî­ner au par­te­na­riat (un début de « ruche »).

Dans ce domaine, les ini­tia­tives de l’As­so­cia­tion pour le pro­grès du mana­ge­ment (APM) et les pro­jets de J. Barache devraient être encouragés.

b) l’in­té­gra­tion de jeunes com­pé­tences dans leurs équipes,
La posi­tion de cadre dans une PME fami­liale, reste incon­for­table, par suite de l’ac­ca­pa­re­ment du pou­voir par les pro­prié­taires et de l’ab­sence d’in­té­res­se­ment. D’un côté, les chefs d’en­tre­prises, redoutent l’es­prit tech­nique et « contes­ta­taire » des jeunes diplô­més. De l’autre, ces jeunes, du moins les plus cou­ra­geux d’entre eux, pré­fèrent sou­vent, pour assu­rer leur ave­nir, prendre les risques d’une créa­tion, alors qu’ils pour­raient rendre de plus évi­dents ser­vices en s’in­té­grant dans une entre­prise. Ils lui appor­te­raient, alors, leurs com­pé­tences et relè­ve­raient les nou­veaux défis de la « guerre économique ».

Par bon­heur, la pra­tique de nou­veaux modes d’in­té­gra­tion des jeunes (par des mis­sions à l’é­tran­ger), l’é­vo­lu­tion des formes de pou­voir dans l’en­tre­prise fami­liale…, et le res­ser­re­ment de l’emploi dans les grandes entre­prises…, réorientent vers les PME des experts de grandes valeurs.

L’équipe MECANERGIE : sept patrons de PME de Roanne
L’é­quipe MECANERGIE : sept patrons de PME de Roanne conjuguent leurs efforts pour faire face aux nou­velles exi­gences de leur clien­tèle et péné­trer sur de nou­veaux mar­chés par des pro­duits innovants.

c) le déve­lop­pe­ment d’un corps de consul­tants adap­tés aux besoins.
Le recours à des conseillers exté­rieurs, devrait être, pour un diri­geant de PME, un moyen d’al­lé­ger sa soli­tude et d’ou­vrir des voies nou­velles. Appor­ter des connais­sances exté­rieures, tout autant que des com­pé­tences, tel devrait être le rôle de ces catalyseurs.

Mal­heu­reu­se­ment, il n’y a pas en France de corps de consul­tants pour PME, qui apporte à ses clients, au-delà de la concep­tion de pro­jets, des accom­pa­gne­ments de l’ac­tion, avec des tarifs accessibles.

L’Hexa­gone ne manque pour­tant pas de diri­geants expé­ri­men­tés dont la car­rière pour­rait se pour­suivre dans le conseil, moyen­nant une for­ma­tion com­plé­men­taire. Ponc­tuel­le­ment des ini­tia­tives ont été lan­cées par les Chambres de com­merce et les Comi­tés d’ex­pan­sion, mais à l’é­tran­ger, notam­ment en Angle­terre, des orga­ni­sa­tions plus effi­caces ont vu le jour et témoignent d’une prise de conscience plus profonde.

L’op­ti­misme reste tou­te­fois per­mis, car les orien­ta­tions sont bien tra­cées, et aucun obs­tacle ins­ti­tu­tion­nel déter­mi­nant ne freine la progression.

2.2 – Conforter le capital des entreprises familiales

À la véri­té, il n’y aurait pas de blo­cage au niveau du capi­tal, si les diri­geants ne se heur­taient pas, dans la mise en oeuvre de leurs stra­té­gies de renou­veau du capi­tal aux contraintes actuelles de fonc­tion­ne­ment « de l’ins­ti­tu­tion financière ».

Trois redres­se­ments paraissent par­ti­cu­liè­re­ment urgents :
a) le ren­for­ce­ment des fonds propres,
b) la faci­li­ta­tion des par­te­na­riats financiers,
c) la pro­tec­tion de la pérennité.

a) le ren­for­ce­ment des fonds propres, En pre­mier lieu, le chef d’en­tre­prise a besoin, pour abor­der cer­taines voies nou­velles, d’une sécu­ri­té finan­cière mini­male, donc d’un niveau de fonds propres très supé­rieur à celui dont on a pris l’ha­bi­tude en France. Pour cela, il faut qu’il y ait des capi­taux prêts à s’in­ves­tir, et, des diri­geants prêts à accueillir les appor­teurs de capitaux.

Les fonds d’é­pargne du per­son­nel (du type TER ita­lien), et les fonds de pla­ce­ment des retraites par capi­ta­li­sa­tion pour­raient deve­nir des gise­ments de fonds propres si tou­te­fois, la légis­la­tion défi­nit au préa­lable cor­rec­te­ment le cadre sécu­ri­taire requis.

La mobi­li­sa­tion de l’é­pargne en faveur des entre­prises locales (pour déve­lop­per l’emploi de proxi­mi­té), pour­rait elle aus­si pro­gres­ser, à condi­tion que soit assu­rée la liqui­di­té des pla­ce­ments et la garan­tie des inves­tis­se­ments ini­tiaux. Quelques pas ont été faits récem­ment dans cette direc­tion, mais d’autres avan­cées doivent encore être pro­po­sées par le législateur.

b) la faci­li­ta­tion des par­te­na­riats finan­ciers, Les déten­teurs d’en­tre­prises fami­liales devront par­ta­ger plus clai­re­ment leur capi­tal et leurs pou­voirs. C’est la condi­tion pour que s’or­ga­nisent des tours de tables capi­ta­lis­tiques stables, sans les­quels les par­te­na­riats indus­triels et com­mer­ciaux, récla­més par les diri­geants, res­tent éphé­mères et fra­giles. Une telle orien­ta­tion peut par­tir de l’ac­cueil d’un action­naire mino­ri­taire, pour aller jus­qu’à une « recom­po­si­tion de l’ac­tion­na­riat » avec de nou­veaux venus, rem­pla­çant les asso­ciés dormants.

Exer­cice appa­rem­ment périlleux mais qui a déjà réus­si dans les nom­breux cas où les asso­ciés tra­di­tion­nels ont su prendre les dis­po­si­tions néces­saires, pour conser­ver leur patri­moine, et le valoriser.

Cela implique bien enten­du, que les nou­veaux par­te­naires expli­citent leur éthique, leur proxi­mi­té cultu­relle, leur dyna­misme, et leur fair play, éven­tuel­le­ment dans des joint ven­ture n’en­ga­geant pas défi­ni­ti­ve­ment les par­ties. Ain­si, le carac­tère patri­mo­nial de l’en­tre­prise peut être sauvegardé.

Si nous dis­po­sions des mêmes outils finan­ciers que les Anglo-Saxons, ce type d’o­pé­ra­tion pour­rait être plus fré­quent, et les can­di­dats pour s’y enga­ger plus nombreux.

c) la pro­tec­tion de la péren­ni­té. Le renou­vel­le­ment de géné­ra­tions et le règle­ment des suc­ces­sions imposent des réformes urgentes : l’obs­tacle fis­cal met qua­si­ment les plus grandes dans les griffes des groupes étran­gers (74 absorp­tions en cinq ans). Une action de sen­si­bi­li­sa­tion sur la fis­ca­li­té des trans­mis­sions est d’ailleurs déployée par l’As­so­cia­tion des moyennes entre­prises patri­mo­niales (ASMEP). Cette action ne doit pas être per­çue comme une reven­di­ca­tion caté­go­rielle. Octave Géli­nier a démon­tré magis­tra­le­ment que l’in­té­rêt géné­ral fran­çais est en jeu.

Concer­nant les affaires de taille plus petite, dont la capi­ta­li­sa­tion ne dépasse pas quelques mil­lions de francs, les mesures prises res­tent encore limi­tées. En par­ti­cu­lier des faci­li­tés finan­cières devraient leur être don­nées pour faire accé­der à la table des action­naires les cadres qui en ont le désir et l’é­toffe. Ces der­niers sont en effet les par­te­naires les plus faci­le­ment inté­grales à la famille. Il y a là, une tran­si­tion pos­sible entre deux géné­ra­tions d’entrepreneurs.

3 – En résumé : un combat sur plusieurs axes, qui peut être gagné

Le nou­vel envi­ron­ne­ment éco­no­mique réclame prio­ri­tai­re­ment de la réac­ti­vi­té, pour suivre au mieux l’é­vo­lu­tion rapide de la demande et de la concur­rence. L’en­tre­prise patri­mo­niale n’est pas la plus mal pla­cée, mais il reste quelques pro­grès majeurs à accomplir :

  • Orga­ni­ser une forte capa­ci­té d’an­ti­ci­pa­tion et d’in­no­va­tion, car les concur­rents ont l’oeil ouvert. Dans ce domaine, les entre­prises fami­liales doivent encore struc­tu­rer leur vigilance.
  • Réorien­ter l’é­pargne vers l’en­tre­prise patri­mo­niale : tant que l’argent sera rare et la pro­prié­té sus­pec­tée, il sera dif­fi­cile de confor­ter ces affaires.
  • Rame­ner les diri­geants-pro­prié­taires sur la trans­mis­sion de leur patri­moine, tout en les pré­pa­rant à des ouver­tures indispensables.
  • Inten­si­fier les efforts d’a­dap­ta­tion du mana­ge­ment dans les domaines de l’in­no­va­tion pro­duits-mar­chés et de la coopé­ra­tion internationale.

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