Pour qui roulent les polytechniciens ? — (2)
En juin 2003, Marc Flender (92) avait posé la question dans les libres opinions de La Jaune et la Rouge. Pour l’entreprise, le libéralisme, l’argent ? C’est ainsi qu’est né le groupe Polydées, qui regroupe une soixantaine de membres actifs.
Les échanges entretenus depuis plus de dix ans ont été riches. Citons, pêle-mêle, nécessité des très hautes rémunérations, libre circulation des capitaux et monnaies, consanguinité des hauts fonctionnaires et des dirigeants des grands groupes, ou établissements financiers, fiscalité du travail et du capital, réchauffement climatique et finitude de notre planète, etc.
Et puis est arrivée la crise financière de 2007 et 2008, qui est venue confirmer la justesse des interrogations de ce petit groupe, à défaut d’y apporter des réponses.
Ces interrogations se retrouvent aujourd’hui dans La Jaune et la Rouge, comme en témoignent quelques extraits piochés dans le numéro de décembre 2013 consacré à l’entreprise dans la société :
- Gilbert Ribes (56) : « En quarante ans le capitalisme serait passé d’une logique industrielle et entrepreneuriale à une logique financière et spéculative, moins soucieuse des intérêts des salariés et de la société ?»
- François Drouin (71) : « Cela suppose des investisseurs avisés, patients, respectueux du projet d’entreprise, qui n’attendent pas de retours démesurés, rapides et disproportionnés sur l’argent qu’ils ont immobilisé. »
- Pierre Gattaz : « La fiscalité devrait […] taxer la spéculation, la rente et le trading haute fréquence. » Il dénonce aussi « les parachutes dorés et les retraites indécentes ».
- Franck Lirzin (2003) et Laurent Daniel (96) : « Il faut encourager les capitaux patients et les actionnaires de long terme, résister à la tentation des évaluations permanentes. »
Aujourd’hui, que dire, que faire ? Une analyse courante est de considérer que la crise est passée et que seule la France est encore à la traîne en raison des défauts de son centralisme, de ses structures administratives hypertrophiées et de son manque de flexibilité.
Même si ces freins et tares sont bien réels, nous considérons que cette approche est très insuffisante. Les fondamentaux demeurent : la masse des actifs financiers est revenue en 2013 à des ratios d’avant-crise, soit plus de quatre fois le PIB mondial, contre une fois dans les années 1970. Les profits augmentent, mais alimentent moins l’investissement productif que la spéculation sur actifs divers (dont immobiliers). L’emprise du court terme se poursuit avec des recherches de rendements économiques incompatibles avec un développement durable et équilibré de notre planète.
Des hommes courageux et des pensées novatrices et structurantes sont nécessaires. En 1930, l’économie libre a produit à la fois Roosevelt (qui s’est battu pied à pied et avec succès contre les excès de la finance) et Keynes (qui a développé un corpus économique solide).
En 2014, le monde est plus interdépendant, et n’a plus de leader capable de changer les règles. Les États- Unis sont affaiblis par leur dette, l’Europe est divisée, et la Chine doit résoudre ses problèmes de croissance déséquilibrée. Cette absence ne doit pas nous empêcher de réfléchir à ces règles du jeu économique.
C’est même essentiel pour la France, pour l’Europe et le monde entier. Il est de la responsabilité des élites de bien comprendre les erreurs passées comme de proposer des voies pour relever ces défis et faire émerger des consensus.
À notre modeste échelle, ici française et polytechnicienne, nous invitons donc tous ceux que ce discours interpelle à nous écrire, à rejoindre notre groupe d’échange, à l’enrichir, à le dynamiser.