Pour un impôt plus facile
Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens en raison de leurs facultés.
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen
du 26 août 1789 – article 13.
Comme l’avaient compris les pères fondateurs de notre république, un impôt correctement géré est essentiel au fonctionnement de l’État de droit. Cela n’en fait pas pour autant un produit spontanément apprécié par ses clients captifs. Associer à ce produit le juste niveau de service auquel chaque Français est en droit de prétendre, lui assurer que les administrations feront le maximum pour simplifier la complexité qu’il aura à supporter sont autant d’objectifs légitimes d’évolution des politiques publiques. Légitimes parce que l’administration doit un service de qualité à l’usager qui est en attente d’un traitement personnalisé, légitimes aussi parce que le meilleur service ne peut que jouer en faveur du » civisme fiscal « .
Comme le disent avec humour les Néerlandais, » S’il n’est pas en notre pouvoir de vous rendre l’impôt agréable, nous devons agir pour vous le rendre plus facile. » Cette action de simplification se heurte néanmoins à un certain nombre d’obstacles : à la complexité de la législation et des procédures s’ajoute la complexité des structures. L’impôt sur le revenu est calculé, est déclaré à la Direction générale des impôts, mais il est à payer à la Direction générale de la comptabilité publique. Ce n’est en revanche pas vrai de l’impôt sur la fortune, et les entrepreneurs qui ont un jour voulu savoir où en était le traitement de leur demande de remboursement de crédit de TVA savent le nombre de services qui peuvent être impliqués dans ce type de procédure…
La politique de service ne peut donc réussir que si elle est au cœur de la démarche stratégique des administrations fiscales, et c’est bien le choix qui a été fait depuis maintenant quelques années et qui a été encore renforcé par le gouvernement actuel. Cette démarche de service suppose une action à trois niveaux : sur l’organisation, sur les méthodes et sur le système d’information. Loin d’être anecdotique ou de relever d’un effet de mode, l’action sur l’informatique porte sur l’outil de production de ces grandes machines à traiter de l’information que sont les administrations fiscales. C’est de ce chantier, baptisé » programme Copernic « , qu’il est question ici, j’en expliquerai les objectifs et le contenu, mais aussi les enjeux spécifiques qui sont attachés à sa conduite.
Faciliter l’impôt avec les technologies de l’information
Le programme d’évolution du système d’information est bâti sur des objectifs simples : partager pleinement l’information concernant l’usager entre tous ceux qui en ont l’usage y compris ce dernier et tirer tout le potentiel des technologies de l’information pour simplifier la vie aux usagers et offrir des outils plus efficaces aux agents. Ce partage de l’information a été construit autour de la notion de compte fiscal : le compte fiscal d’un usager regroupe l’ensemble des informations relatives à celui-ci. On y retrouve donc ses paiements, ses déclarations, ses avis d’imposition, mais aussi ses réclamations et leur état de traitement, ou ses choix de modalités de paiement.
À partir de cette notion et du potentiel des technologies de l’information, il est possible d’introduire de la liberté là où la contrainte était forte : liberté de choisir le canal de son choix pour ses démarches (téléphone, Internet, courrier ou guichet), mais aussi liberté de choisir l’endroit et le moment (Internet est accessible 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, les centres d’appels sont ouverts de 8 heures à 22 heures en semaine et de 9 heures à 19 heures le samedi). Au-delà, ces technologies permettent également d’offrir des services nouveaux qui n’étaient pas possibles auparavant : fournir un accusé de réception pour les télédéclarations, proposer une lettre d’information fiscale électronique adaptée aux thèmes retenus par l’internaute, ou encore offrir la possibilité de suivre l’état d’avancement du traitement d’une réclamation…
Si ces objectifs ont le mérite de la simplicité, leur mise en œuvre s’est néanmoins heurtée à la réalité concrète du système d’information historique : construit progressivement, souvent impôt par impôt et activité par activité, il éparpillait l’information sur l’usager en y introduisant des incohérences de mises à jour, d’identification. Ce problème, par ailleurs très courant dans toutes les grandes organisations, nécessitait pour son traitement une refonte en profondeur : d’un système construit autour des processus internes de l’administration, il fallait passer à un système structuré par la réalité externe qu’est l’usager. Une telle révolution méritait bien le nom de copernicienne !
Cette » refondation » du système nécessitant des travaux importants et longs, il a été dès le démarrage décidé de mener de front les chantiers correspondants et ceux, plus rapides, qui correspondaient à la mise en place de nouveaux services, quand bien même ces nouveaux services seraient incomplets ou inaccessibles à certains tant que les travaux de fond n’auraient pas abouti. Ce choix devait permettre de livrer le maximum de services aux usagers et aux agents tout au long du programme, et ainsi d’éviter tout » effet tunnel « .
Les objectifs principaux du programme Copernic et la nature des travaux pour y parvenir expliquent sa dimension particulière : une durée de huit ans pour un budget de près d’un milliard d’euros, et, pour le mener, jusqu’à 250 personnes en maîtrise d’ouvrage et à peu près autant en maîtrise d’œuvre. Si un tel investissement peut sembler colossal, il est à rapporter à l’ampleur des enjeux : 100 000 agents utilisateurs, 250 milliards d’euros gérés chaque année, plus de 30 millions de foyers et 3 millions d’entreprises…
Des services déjà largement utilisés
La décision de lancer le programme a donc été prise en 2001, et confirmée plusieurs fois depuis, notamment au vu des premiers résultats obtenus. Il a en effet déjà très concrètement permis d’élargir la palette de services offerts aux usagers, et nous considérons évidemment que la principale mesure de son succès auprès d’eux est le niveau d’utilisation de ces mêmes services. Un petit tour d’horizon des réalisations phares du programme permet d’en juger :
- le portail fiscal sur Internet (www.impots.gouv.fr) permet d’accéder à toute la réglementation fiscale et à l’ensemble des services en ligne : il a déjà été visité près de 25 millions de fois en 2003 ;
- la télédéclaration de l’impôt sur le revenu a été utilisée par 600 000 internautes en 2003, soit une croissance de 400 % par rapport à l’année précédente ;
- le service de télédéclaration et télépaiement de la TVA collecte mensuellement près de 6 milliards d’euros soit la moitié du montant global pour cet impôt ;
- les centres d’appels (numéro unique : 0820 32 42 521) offrent depuis cette année un service national aux particuliers comme aux entreprises qui le souhaitent.
Si ces résultats sont déjà une réelle source de satisfaction, les travaux sont loin d’être terminés. Les plus gros d’entre eux, qui concernent l’évolution des aspects les plus essentiels du système d’informations sont actuellement en cours selon leur calendrier prévisionnel pour des mises en service échelonnées entre 2005 et 2008.
La » start-up » Copernic
Initier et conduire un vaste chantier d’administration électronique comme Copernic a nécessité et nécessite toujours l’invention de nouvelles façons de travailler. Afin de préserver notre capacité d’innovation des habitudes et des procédures qui avaient été forgées pour d’autres tailles de projet, nous avons retenu une approche assez voisine de celle de la création d’une entreprise.
Pour convaincre les » financeurs » du projet, nous avons ainsi commencé par définir un » plan d’action opérationnel » qui nous a servi de » business plan » : il contenait les objectifs du programme et l’agencement des chantiers induits, mais aussi des analyses des attentes des usagers et des agents construites autour de sondages spécifiques. C’est ce plan qui a fait l’objet d’un accord du ministre et qui a été régulièrement actualisé depuis. Une fois cette feuille de route validée, il a fallu choisir un statut juridique adapté aux besoins, à savoir permettre un équilibre entre les deux » actionnaires » que sont la DGI et la DGCP, et autoriser une certaine fluidité des ressources avec ces deux directions afin de se garder une bonne souplesse de gestion. La structure retenue a donc été celle de service à compétence nationale, rattaché aux deux directions générales : une » joint venture » en quelque sorte, et la première de son genre, même si le modèle a resservi depuis !
L’étape suivante a été de retenir un mode de réalisation pour les projets du programme. D’une part, l’ampleur du programme et sa vitesse de démarrage nécessitaient la mobilisation très rapide de ressources maîtrisant les technologies les plus modernes, mais d’autre part, DGI et DGCP disposaient de fortes compétences autour des systèmes d’information, et avaient un solide savoir-faire dans la conduite de projet. Il a donc été retenu de conserver en interne la conduite du programme, ses choix d’architecture, et le contrôle des prestataires, mais de confier l’essentiel de la réalisation à des sociétés de service. Cette solution permet non seulement de mieux piloter le déroulement des projets, mais encore d’optimiser la reprise en maintenance des réalisations, qui est l’enjeu économiquement le plus critique. Nous avons dans le même temps défini l’organisation des équipes du programme en retenant une structure à deux niveaux : un premier niveau chargé d’assurer le » secrétariat général » du programme et de définir le positionnement des chantiers et l’architecture générale et un second niveau, sous le contrôle permanent du premier, où est effectivement assurée la conduite opérationnelle des projets.
Le recrutement des ressources nécessaires qui a suivi n’a pas été la tâche la plus légère : il portait sur plus de deux cents personnes, et s’est fait principalement par appels à candidature internes. Une promotion massive pour attirer le plus possible de monde, des entretiens sélectifs, une forte dose de formation pour mettre tout le monde à niveau, l’adjonction de contractuels spécialisés et de consultants en assistance à maîtrise d’ouvrage ont permis d’obtenir une équipe in fine relativement solide et homogène. C’est sans aucun doute dans ce domaine que les procédures de gestion publique ont été les plus lourdes à porter.
L’entreprise Copernic ainsi constituée, il a fallu aborder la conception de nos produits selon une approche adaptée, qui intégrait le plus en amont possible les attentes de nos futurs clients que sont les usagers. Nous sommes partis de leur vision pour concevoir une véritable offre de service, conçue à partir de l’analyse de leur cycle de vie, de leurs attentes recueillies par des sondages appropriés. Nous les avons ensuite associés à la réalisation des chantiers à travers des groupes d’usagers réguliers. Quand il a été question pour la première fois de plan marketing, il y a eu un petit choc culturel, mais qui a rapidement été balayé par l’évidence : les nouveaux modes de relations avec l’administration sont en concurrence directe avec les anciens, qu’il n’est pas question de supprimer, et il s’agit donc bien de trouver les moyens d’orienter le choix de l’usager… L’association des agents a évidemment été particulièrement travaillée, à travers notamment la mise en place d’un réseau de correspondants dans chaque département pour les deux directions.
À chaque étape de ce processus, les obstacles ont été nombreux. Contrairement à ce que l’on imagine souvent, ils relevaient bien souvent davantage du poids des habitudes ou de la peur du changement, et plus rarement des règles de la gestion publique elles-mêmes. Mais, à chaque fois, la détermination, l’enthousiasme et l’appétit de progrès des hommes et des femmes du programme ont permis de surmonter ces difficultés et d’obtenir des résultats remarquables, au-delà même du simple champ public, comme pour la signature électronique où le programme a joué un rôle de pionnier. En refusant toutes les limites habituelles pour aller chercher très pragmatiquement par la négociation et la conviction des solutions nouvelles, nous avons pu trouver des possibilités de progrès là où beaucoup avaient renoncé.
L’usager comme levier du changement
Sans prétendre à la généralisation, l’expérience des acteurs du programme Copernic a été que l’attente d’un service personnalisé était aujourd’hui non seulement profonde chez nos concitoyens, mais surtout nettement perçue par les agents, et que construire un projet autour de la satisfaction de cette attente permettait de fédérer une énergie considérable, issue de l’administration et orientée vers le changement. Loin des discours sceptiques sur l’impossible réforme de l’État, nous sommes prêts à partager avec tous ceux qui le souhaitent des enseignements résolument optimistes.
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1. 0,12€ TTC la minute, du lundi au vendredi de 8 heures à 22 heures, le samedi de 9 heures à 19 heures.