Pour un réveil écologique : Interpeller c’est bien, agir c’est mieux
Dans les années 2010, des millions de personnes partout dans le monde se sont retrouvées derrière un mot d’ordre : indignez-vous ! L’indignation comme vertu nécessaire, voire salutaire. Avec probablement, pour ceux qui en brandissaient la bannière, le sentiment du devoir accompli une fois cette indignation vécue et exprimée. Mais l’indignation ne sert à rien sans engagement.
Émotion et motion
L’émotion n’est utile que si elle est motion et le manifeste, action. Aujourd’hui, c’est au tour des étudiants de nous interpeller dans un Manifeste étudiant pour un réveil écologique. Que nous disent ces étudiants ? Ils expriment leur refus de voir la trajectoire « destructrice de nos sociétés » se poursuivre. Ils expriment leur détermination à « inclure dans leur quotidien et leurs métiers une ambition sociale et environnementale ». Ils clament qu’il est grand temps de « prendre les mesures qui s’imposent ». Ils veulent « changer un système économique » dans lequel ils ne croient plus.
Face à nos échecs…
Comment leur donner tort face aux catastrophes environnementales annoncées ? Comment leur donner tort face aux déséquilibres sociaux qui, loin de se résorber, créent des fractures qui semblent s’agrandir depuis des décennies ? Ils ont raison de s’indigner, ils ont raison d’interpeller, ils ont même probablement raison de nous en vouloir, à nous, les générations précédentes. Le changement climatique, les inégalités sociales nous obligent à regarder nos échecs.
Les échecs de décennies de promos qui ont peut-être confondu les chiffres et la réalité. Les échecs de décennies de promos qui ont peut-être oublié de regarder la boussole avant de vouloir montrer qu’ils savaient courir plus vite que les autres, et qui aujourd’hui seulement se demandent vers quoi ils ont couru et vers quoi ils courent encore. Les échecs de décennies de promos qui ont cru que le progrès technique suffirait à créer le progrès social et que les lois de la finance transformeraient les lois de la nature.
… où sont les propositions ?
Ces étudiants ont raison dans leur indignation. Ils ont raison de vouloir changer le système et le changer en profondeur. Que proposent ces étudiants et les élèves de l’X signataires de ce manifeste ? Ils s’engagent à refuser de travailler pour les entreprises qui ne s’attaqueraient pas aux problèmes environnementaux et sociétaux. Boycott d’un nouveau genre ? Oui et non. Ce qui est nouveau n’est pas de refuser d’aller travailler dans une entreprise dont on ne partage pas les valeurs : les étudiants qui signent ce manifeste viennent essentiellement d’écoles dont la réputation d’excellence est telle qu’elle offre une grande liberté de choix à leurs élèves et on peut penser que ceux qui en sortent ont toujours pris en compte leurs valeurs et convictions essentielles au moment de choisir leur employeur.
Interpeller : est-ce agir ?
Ce qui est nouveau, c’est l’affichage collectif et l’interpellation. Faute, nous disent ces étudiants, d’être en capacité de décider eux-mêmes aujourd’hui des stratégies des entreprises et des pouvoirs publics, ils souhaitent « faire pression ». Et c’est là que le bât blesse.
Certes les signataires ne sont pas aujourd’hui dans une situation professionnelle qui leur permettrait de faire prendre des virages aux grandes entreprises et au « système ». Mais ne soyons ni trop optimistes ni trop prétentieux : même s’ils sont très mobilisés, on peut douter que tous ces étudiants puissent, en refusant d’y travailler, assécher les entreprises qui ne prendraient pas à bras-le-corps les enjeux environnementaux et sociétaux suffisamment vite pour changer la donne. De nombreuses grandes entreprises, autrefois identifiées par les étudiants comme des fleurons de l’économie et les garantes d’un avenir professionnel souhaitable, sont déjà confrontées depuis quelques années à leurs premières difficultés de recrutement. Mais à quelle échéance cette menace prend-elle sa force ? Or il y a urgence.
Ne soyons pas trop pessimistes non plus : ces entreprises qui ne prennent pas leur part de responsabilités sont de moins en moins nombreuses. Conscientes de leur fragilité, elles commencent à prendre la mesure de la rapidité des évolutions actuelles et de leurs enjeux. Elles constatent dès aujourd’hui la vitesse à laquelle évoluent les habitudes de consommation. Et rassurons-nous : même les dirigeants les plus obsédés par les résultats financiers savent que leur entreprise ne vivra que si elle répond aux attentes des consommateurs. Le changement s’impose à elles. Mais là encore, à quelle échéance ?
Au service du bien commun, il faut construire
Élèves de l’X : ne vous contentez pas de vous indigner.
Ces entreprises sont des paquebots. Aidons-les à changer plus vite. Nous sommes tombés dans les maths et la physique quand nous étions petits… nous y avons appris à challenger les hypothèses, à ne jamais prendre pour acquis ce qui n’était pas dûment démontré et à innover dans la contrainte. Nous sommes des ingénieurs. Notre vocation est d’inventer, de proposer, de construire les solutions.
Polytechniciens, l’État a investi en vous. Rendez-le lui. Ne vous contentez pas de vouloir « faire pression ». Proposez, innovez, créez. Mettez vos capacités au service du bien commun. Mais ce bien commun, il faut le construire avec les entreprises, pas contre elles. Il faut le construire avec toutes les générations, et non en opposant les nouvelles aux anciennes.
“Proposez, innovez, créez.
Mettez vos capacités
au service du bien commun.”
Construire le changement avec les entreprises, c’est possible
Certains penseront que je suis un suppôt du capitalisme, d’autres que je suis un Bisounours. J’affirme qu’aujourd’hui l’engagement peut se construire avec les entreprises. Et si je l’affirme, c’est pour l’avoir vu, pour l’avoir fait.
En juillet 2019, à l’Institut de l’Engagement, nous avons organisé le premier « Campus de l’Engagement ». La proposition faite aux entreprises était de venir avec des collaborateurs, en immersion pendant trois jours et au « vert » d’un alpage du Vercors, à la rencontre de lauréats de l’Institut de l’Engagement : des jeunes engagés, particulièrement sensibles aux questions sociales et environnementales, aux parcours particulièrement cahoteux, et animés par une forte envie d’agir.
Il ne s’agissait pas de demander aux collaborateurs de ces entreprises de venir mentorer, partager leurs compétences, donner de leur temps à ces jeunes. Il leur était demandé de participer avec eux à des conférences et à des ateliers et de travailler avec eux sur les questions qui se posent aujourd’hui aux entreprises. De faire naître des propositions, de construire avec eux des solutions. Mentoring et reverse mentoring. C’est ainsi que le groupe ADP a demandé à ces jeunes, à la fois sensibles aux questions environnementales et avides de découvertes interculturelles : « Va-t-on vers un monde sans avion ? »
C’est ainsi que le groupe BNP Paribas a demandé à ces jeunes en situation financière parfois extrême quels produits financiers proposer pour permettre à tous d’étudier. BNP Paribas les a aussi questionnés et écoutés sur la gestion de la diversité, avec la conviction qu’un frein majeur aux recrutements dans la diversité est la crainte de ne pas savoir gérer les équipes ainsi constituées.
C’est ainsi que Total leur a demandé quels services proposer dans les stations-service en zone rurale.
Construire le changement avec les entreprises, c’est disruptif
De ces ateliers de travail entre jeunes et entreprises, de ces ateliers de travail que ni les jeunes ni les entreprises n’auraient provoqués d’eux-mêmes, sont nées des idées.
Par exemple proposer aux étudiants qui empruntent pour financer leurs études dans de grandes écoles de management un produit financier modulable qui leur permette, en sortie d’études, de se lancer dans une création d’entreprise en retraitant l’échéancier et la nature des remboursements.
Par exemple faire des stations-service une plateforme de stages, le cas échéant en télétravail, pour les jeunes en zone rurale auxquels les stages sont le plus souvent inaccessibles…
Les entreprises qui ont participé à ce premier Campus de l’Engagement ont envie de poursuivre le travail lancé. D’autres entreprises souhaitent elles aussi participer à cet événement. Parce qu’elles ont besoin de comprendre, d’anticiper, de gérer les inévitables disruptions et que ce sont les jeunes qui doivent les y aider.
Construire le changement avec les entreprises, c’est urgent
Étudiants des grandes écoles, nous avons besoin de vous pour ce réveil écologique. Mais nous avons besoin de votre présence, pas de votre absence.
Ouvrez les portes au lieu de les fermer.
Donner une réalité au réveil écologique, c’est ce que vous faites lorsque vous adoptez des comportements individuels verts et vertueux.
C’est ce que vous faites lorsque vous faites savoir aux entreprises ce que votre génération attend d’elles.
C’est ce que vous ferez lorsque vous construirez les solutions qu’elles adopteront.
« Il vaut mieux penser le changement que changer le pansement »
Francis Blanche a raison : « Face au monde qui change, il vaut mieux penser le changement que changer le pansement. »
Mais, en plus de penser le changement, construisons-le. Ensemble.