Pour un traité d’interdiction totale des armes nucléaires
Trois camarades répondent à l’article sur la dissuasion nucléaire paru dans le n° 715 de La Jaune et la Rouge, en proposant leur vision d’un monde débarrassé de ces armes, dont ils prônent l’interdiction universelle.
L’antithèse de l’article de Pierre LAMBALLE : La dissuasion nucléaire, une arme plus actuelle que jamais, paru dans nos colonnes en Mai 2016.
Le dossier que La Jaune et la Rouge a consacré aux « Perspectives à long terme de la défense » met, à juste titre, l’accent sur le lien dorénavant plus étroit entre défense et sécurité et sur le long terme puisque, sauf menace immédiate, penser le système de défense et de sécurité nécessite en effet anticipation et pérennité.
Mais, sur ces deux points précisément, l’article sur la dissuasion nucléaire ne répond pas aux interrogations fondamentales que la dissuasion suscite : l’article balaye d’un revers de main « le sentiment d’obsolescence qu’ont les opinions publiques sur la dissuasion » et « l’impression inexacte de son inadéquation à la situation géostratégique », puis il ne présente que les arguments en faveur du maintien et du renouvellement des armes nucléaires, arguments bien connus et martelés au peuple français depuis plus de cinquante ans par le complexe militaro-industriel.
Il n’y manque que l’argument de la fierté de la France d’être possesseur de la bombe.
Il nous semble donc nécessaire de préciser les arguments des voix qui s’élèvent maintenant un peu partout pour refuser un monde dont la paix et la sécurité seraient « assurées » par des armes de destruction massive, pour refuser la pérennité de l’équilibre de la terreur.
Ce qui est plus actuel que jamais, ce n’est pas la dissuasion, mais la nécessité de la remettre en cause. Voici quelques-uns des arguments contre la dissuasion nucléaire.
LA DISSUASION ENCOURAGE LA PROLIFÉRATION
Tout le monde s’accorde pour dire qu’il faut éviter à tout prix la prolifération, éviter que l’on se trouve avec une trentaine de pays nucléarisés dans quelques décennies, mais il faut s’interroger sur notre responsabilité si cela arrive : le sens profond de notre discours est une incitation à la prolifération, car on ne peut clamer haut et fort que la bombe est essentielle pour les intérêts vitaux de notre pays sans que les autres pays pensent la même chose pour eux.
La Corée du Nord ne fait que reproduire la dissuasion du faible au fort prônée par la France contre l’URSS. C’est pour cette raison que le Secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, a souligné qu’« il n’y a pas de bonnes mains pour de mauvaises armes. »
On ne peut avoir ratifié le TNP et, en même temps, enfreindre hypocritement son article VI, en disant qu’on ne veut pas réduire le nombre de têtes et qu’on souhaite en outre en améliorer les performances.
“ Il n’y a pas de bonnes mains pour de mauvaises armes ”
La France a refusé – alors même qu’elle dispose d’un ambassadeur en charge du désarmement nucléaire – de participer aux discussions d’un nouveau groupe de travail de l’ONU (voir encadré ci-dessus), preuve de sa mauvaise foi.
Cette politique de la chaise vide est du reste devenue une habitude, puisqu’elle a refusé de participer à trois conférences intergouvernementales sur les conséquences humanitaires catastrophiques des armes nucléaires (Norvège en 2013, Mexique et Autriche en 2014), qui rassemblèrent plus de cent cinquante États.
LA DISSUASION N’EST PAS SÛRE
Qui dit plus grand nombre de pays possesseurs de la bombe dit automatiquement plus grand risque d’explosions nucléaires.
Une centaine d’États ont participé en 2016 au nouveau groupe de travail de l’ONU pour interdire totalement les armes nucléaires. SOURCE : ICAN
La sécurité et la paix que la bombe nous a (peut-être) apportées pendant la Guerre froide sont de moins en moins garanties avec la prolifération ; aux risques de guerres nucléaires déclenchées volontairement ou par erreur de communication s’ajoutent les accidents de stockage et de manipulation.
Le secret sur le nombre important d’incidents qui sont survenus depuis soixante ans commence à être levé. Il a fait l’objet de plusieurs livres récents, alors que seulement deux acteurs (États-Unis, Union soviétique), rationnels et maîtrisant la technologie, étaient en présence. À plus de deux acteurs (dont certains pourraient même ne pas être de vrais États), la dissuasion n’est plus un jeu d’échecs, mais de poker.
La sécurité des armements nucléaires doit faire face à un nouveau défi, les cyberattaques. En effet, le risque de prise de contrôle des systèmes d’armes ou de manipulation des signaux d’alerte par des pirates informatiques ne peut être écarté totalement et ce risque grandit aussi avec la prolifération. Mais face au dogme qui règne, cette question n’est pas abordée.
Les partisans de la bombe auraient-ils peur de voir ébranlée la crédibilité de la dissuasion ?
“ La dissuasion n’est plus un jeu d’échecs, mais de poker ”
Le risque grandit aussi avec le nombre de têtes qu’on maintient en état d’alerte, puisque l’état d’alerte diminue le temps de réaction et donc le temps de correction possible d’une erreur.
Enfin, la prolifération accroît la quantité de matière radioactive en circulation, augmentant le risque terroriste d’une « bombe sale » – pourquoi pas au centre d’une capitale.
NOS INTÉRÊTS VITAUX ET MORAUX EN VALENT-ILS LA PEINE ?
LA FRANCE TIENT LE TNP EN ÉCHEC
La France a largement contribué à l’échec de la dernière réunion visant à actualiser le TNP, au point que la majorité des États membres de l’ONU ont décidé de créer un nouveau groupe de travail « pour faire avancer le désarmement nucléaire » visant à proposer un instrument juridique contraignant pour éliminer les armes nucléaires, à l’instar de ce qui existe pour les armes chimiques et biologiques qui font l’objet de conventions d’interdiction.
Pour quels « intérêts vitaux » est-on prêt à payer ce lourd prix de la prolifération, entraînant une insécurité accrue du monde ? On ne les précise jamais et on ne veut pas les préciser, mais à force de ne rien dire et de répéter en outre que l’arme nucléaire est une arme de « non-emploi », on incite nos ennemis à repousser de plus en plus loin les limites dans les provocations.
On peut légitimement se demander si le fait de ne pas fixer la ligne rouge, de laisser floues les règles du jeu, augmente ou diminue le risque de guerre.
On constate que l’arme nucléaire n’a en rien diminué les guerres conventionnelles dans le monde : leur liste depuis soixante-dix ans est longue, et les États-Unis les ont pratiquement toutes perdues.
Au contraire, l’existence des armes nucléaires rend sans doute plus difficile la sécurité des pays non nucléaires et le règlement pacifique de conflits, puisqu’on affiche clairement qu’on ne peut s’entendre entre pays que par l’équilibre de la terreur, par la force et la menace d’agression et non par des voies légales et diplomatiques.
Quels intérêts vitaux peuvent être mis en balance avec le risque d’une guerre nucléaire, d’une escalade qui anéantirait l’humanité ?
Quels intérêts vitaux justifient que l’on prenne ainsi en otage les populations civiles, y compris la population française, puisqu’on serait anéanti immédiatement en retour ?
“ La France s’honorerait en sortant de sa posture nucléaire à tout prix ”
L’article du dossier prône même l’attaque en premier « où nous prenons l’initiative du conflit armé […] pour défendre notre vision des valeurs et de l’ordre international ».
Cela fait froid dans le dos de penser que la défense de nos valeurs, dans un monde civilisé, passe par l’utilisation de l’arme nucléaire.
Dans notre démocratie, on pourrait penser que le peuple serait consulté sur ces intérêts vitaux de la France au nom desquels il pourrait être anéanti et donc sur la question de la possession et de l’emploi par la France de l’arme nucléaire. Ce n’est pas le cas.
Qu’est-ce qui justifie que nous maintenions la capacité de détruire une nation dans les vingt minutes ?
LA DISSUASION PÈSE EXCESSIVEMENT SUR LE BUDGET DE LA DÉFENSE
Les menaces de guerres conventionnelles et de terrorisme sur notre territoire n’étant pas écartées, il faut choisir dans les priorités de dépense.
ÉTRANGE RÉVÉLATION
On a appris récemment que le Président de la République, théoriquement seul décideur du déclenchement de la guerre nucléaire, a délégué ce pouvoir, en cas d’empêchement, à une personne inconnue du public. Étrange révélation, quand on sait que notre système constitutionnel donne ce droit au président du Sénat.
L’article du dossier signé par le général Desportes souligne à quel point l’atrophie budgétaire de la défense met en péril notre armée lors de ses interventions extérieures. Il dénonce ainsi régulièrement le poids budgétaire de notre force de dissuasion, qui interdit des investissements majeurs pour nos forces conventionnelles.
Dans ce contexte, le renouvellement, l’amélioration, le maintien de sous-marins et de têtes en état d’alerte, voire l’existence pure et simple de notre force de dissuasion doivent être discutés objectivement et non décidés selon un héritage gaullien qu’on voudrait faire passer pour un consensus national.
« Monsieur le Président, nous avons gagné : nous sommes les seuls survivants sur terre. » SOURCE : A.L.
Enfin, l’argument qui consiste à dire que ces dépenses profitent à toute l’armée est fallacieux, surtout au vu des besoins de nos soldats (drones, pièces de rechange pour des hélicoptères, chaussures, douches, etc.) sur les terrains au Mali, en République centrafricaine, au Liban ou à Paris.
En revanche, il est évident que le budget de la dissuasion est une aubaine pour des industriels français qui s’assurent ainsi des contrats dont les coûts pour le budget de la défense ne cessent de croître d’année en année, sans réel contrôle parlementaire.
Oui, la recherche civile a bénéficié de l’atome militaire. Et alors ? Est-ce une raison pour conserver cette force ?
Les recherches sur les premières armes chimiques ont permis des avancées technologiques en matière d’industrie chimique. Avons-nous pour autant conservé ces armes ? Non. Sont-elles interdites par des traités et conventions ? Oui. La recherche chimique se porte-t- elle mal en France ? Non, si l’on en juge par les deux prix Nobel attribués à des Français en trente ans et par le sixième rang mondial de ce secteur industriel.
La France s’honorerait en sortant de sa posture nucléaire à tout prix, en cessant de faire croire que la possession de la bombe est source de fierté et qu’elle assurera sa sécurité et la défense de ses intérêts.
La défense de nos valeurs passe par notre humanisme, par notre participation à l’avènement d’un monde pacifié, même si la perspective en est lointaine, par la promotion de mécanismes de résolution des conflits fondés sur le dialogue et sur la loi et non sur les menaces d’extermination d’une partie de l’humanité.
La dissuasion a pu servir la paix durant la Guerre froide, mais elle n’est pas un moyen fiable sur le long terme et son échec peut avoir des conséquences catastrophiques : il est temps d’inventer d’autres mécanismes et de montrer qu’enfin la raison l’emporte sur la violence et la force brute.
2 Commentaires
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pour un traité d’interdiction totale des armes nucléaires
Le chapeau de l’article est trompeur : ce n’est ni une vision d’un monde débarrassé de l’arme nucléaire, ni une plaidoyer pour son interdiction universelle mais une dénonciation de la langue de bois de nos institutions nationales, reprise une fois de plus dans la J&R de mai dernier.
Il démonte le discours officiel et, à titre incident, informe sur l’état des travaux internationaux sur le désarmement nucléaire.
Il ouvre un débat vital. Puisse t‑il contribuer à convaincre enfin les jeunes générations d’y participer ! La campagne présidentielle est un moment favorable.
Vive l’arme nucléaire, arme des dictateurs !
Après 2000 essais atomiques dont 210 français, le 5e essai nucléaire nord-coréen fait trembler la terre et provoque l’indignation de la communauté internationale. Les Etats Unis, la Russie, la France, la Chine et la Grande-Bretagne, membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, exigent que la Corée du Nord renonce à sa rhétorique et à ses armes de terreur. Ils oublient juste de parler des leurs, infiniment plus nombreuses, autrement plus redoutables, qu’ils se sont pourtant engagés à éliminer depuis des décennies.
L’essai nord-coréen ne prouve qu’une chose : les armes nucléaires ne sont pas plus efficaces pour empêcher un dictateur de menacer ses voisins et d’affamer son peuple qu’elles ne sont parvenues à empêcher des terroristes de massacrer des civils américains, russes ou français au coeur de leurs capitales. A quoi peuvent-elles donc servir ? A maintenir au pouvoir des dirigeants imbus de leur puissance, des dictateurs qui n’en portent pas le nom et qui s’ignorent tels, et dans leur ombre les lobbies militaro-industriels et nucléaires qui sévissent dans leurs propres pays et mettent en coupe réglée le reste du monde.
L’arme nucléaire est la clef de voûte d’un système mondialisé de partage du monde par la domination, la terreur, la violence et le crime d’Etat. L’arme nucléaire est l’arme des dictatures.
Vive l’arme nucléaire de la Corée du Nord, dictature familiale, et de la France, patrie des droits de l’Homme ! Kim Jong Un, Hollande, Poutine, Obama – même tartuferie, même combat !
Il est temps que les peuples s’emparent de la question.
Nous les cibles.
Nous les payeurs.
Nous les électeurs.
Nous les citoyens du monde.
Debout les humains !
Communiqué de presse, 11 septembre 2016
Action des Citoyens pour le Désarmement Nucléaire (ACDN)
Jean-Marie Matagne, Président
contact@acdn.net
http://www.acdn.net
Post-Scriptum, le 12 septembre 2016
ACDN demande depuis 20 ans que les Français soient consultés par référendum sur la participation de la France à l’abolition des armes nucléaires. Ce sera peut-être bientôt le cas.
Après le tournant historique pris à Genève le 19 août 2016 par le groupe de travail de l’ONU « chargé de faire avancer les négociations multilatérales sur le désarmement nucléaire », la question que nous proposons de soumettre à référendum tombe à pic : « Voulez-vous que la France négocie et ratifie avec l’ensemble des Etats concernés un traité d’interdiction et d’élimination complète des armes nucléaires, sous un contrôle mutuel et international strict et efficace ? ». D’après le sondage IFOP/ACDN d’octobre 2015, trois Français sur quatre (74%) y répondraient oui (dont 63% des électeurs de Marine Le Pen !). La même proportion se déclare prête à soutenir (27 % certainement, 47 % probablement) une proposition de loi organisant un référendum sur cette question précise.
Le référendum d’initiative citoyenne n’existe pas encore en France. Mais depuis la réforme constitutionnelle de 2008, un référendum dit « d’initiative partagée » est possible si 10 % des électeurs inscrits soutiennent une proposition de loi référendaire elle-même présentée par 1⁄5 du Parlement (185 députés ou sénateurs sur 925). Le processus est lancé. Au 22 mars 2016, les signataires étaient 12 ; au 13 juin, 38 ; au 13 juillet, 60 ; au 25 juillet, 75. Suspendue pendant les vacances parlementaires, la collecte des signatures reprend à la rentrée. Si chacun s’y met, l’objectif pourrait être atteint début 2017.
Une fois la proposition de loi déposée, le Conseil constitutionnel disposera d’un mois pour la valider, puis le ministère de l’Intérieur d’un autre mois pour préparer le recueil en 9 mois, par voie électronique, des soutiens citoyens. Du fait des élections générales, présidentielle et législatives, de 2017, c’est peu après celles-ci – et quel que soit leur résultat – que le recueil devra débuter : le 1er août. Juste avant le 72e anniversaire d’Hiroshima… et peut-être au moment même où l’ouverture de négociations sur un traité d’interdiction fera la une de l’actualité mondiale !
Ainsi, le peuple français pourra ouvrir la voie à un monde sans armes nucléaires. Nous appelons les membres du Parlement à lui en offrir l’occasion, et l’ensemble des électeurs français à apporter en temps voulu, par voie électronique, leur soutien à cette initiative.
Dès à présent, nous appelons chaque citoyen, chaque électeur français à s’adresser aux députés et sénateurs de son département ou de sa région pour les inviter à cosigner la proposition de loi pour un référendum sur la participation de la France à l’abolition des armes nucléaires.
Nous délivrer de l’épée de Damoclès atomique, ce sera renforcer à la fois notre sécurité et notre liberté, dans le plein respect des Droits de l’Homme et de la devise républicaine : liberté, égalité, fraternité.
C’est ainsi que notre pays pourra s’inscrire à nouveau dans le sens de l’histoire, celui qui permettra la survie de l’humanité et interdira sa destruction.