Pour un vrai capital-risque au service des créateurs d’entreprises
IV – Coopération entre les entrepreneurs et les financeurs
Dans son classement, par ordre d’importance, des obstacles à la création d’entreprise, Yvon Gattaz place le manque d’argent en dernière position.
De fait, tous les financiers se déclarent prêts à financer les bons projets, mais en ajoutant : “ malheureusement, en France, ils sont très rares ”.
Ce n’est pas l’avis des porteurs de projets, et certains d’entre eux trouvent, à l’étranger, un meilleur accueil. On entend aussi beaucoup de patrons de PME évoquer la dérobade de leurs financeurs pendant les années noires qu’ils ont traversées.
Trois de nos camarades, concernés par les problèmes de financement des PME, nous donnent le fruit de leur expérience et de leurs observations.
Philippe Girardot est ingénieur en chef des Ponts et Chaussées, ancien conseiller au Cabinet du Premier ministre et cofondateur du fonds TRINOVA.
Si la France avait la même densité entrepreneuriale que la Grande-Bretagne, nous compterions un million d’entreprises supplémentaires. C’est ce qu’à déclaré notre secrétaire d’État aux PME, madame Lebranchu, au mois de mai dernier ; lors des assises de la création d’entreprise.
Or ces créations, non seulement ne décollent pas mais, pire, sont en baisse régulière depuis quatre ans. À peine 13 000 affaires ont été lancées pendant le mois de mai 1999. Ce n’est pourtant pas l’environnement économique qui est en cause : il est exceptionnellement favorable.
Les experts les plus qualifiés1 ont fait le tour des causes possibles de cette carence : procédures administratives trop lourdes, charges excessives, formation insuffisante, culture entrepreneuriale peu répandue, aversion pour la prise de risque. Ils ont même recommandé des remèdes énergiques.
Ma contribution se limitera donc à présenter deux chantiers d’innovation financière sur lesquels je me suis engagé : le financement d’amorçage pour création d’entreprises innovantes, et l’offre microcrédits aux créateurs totalement « sans argent », frappés d’exclusion financière.
Pour la création de fonds d’amorçage privés
C’est à dessein que j’éviterai le terme de « capital-risque » dans lequel on range parfois pêle-mêle le capital-risque stricto sensu (le seed capital anglo-saxon), le capital développement et même le capital transmission.
Cette confusion a pour effet fâcheux de dissimuler une carence bien française : l’extrême rareté des fonds d’investissements spécialisés dans la création d’entreprise. Cette situation est un lourd handicap lorsqu’il s’agit d’entreprises de nouvelles technologies, offrant des possibilités nombreuses et croissantes de créer des emplois qualifiés sur le territoire.
C’est pourquoi les créateurs s’expatrient ; ils trouvent à l’étranger des investisseurs financiers plus dynamiques. On estime à 50 000 le nombre de chercheurs et entrepreneurs français dans la Silicon Valley.
Traverser l’Atlantique est d’emblée une nécessité. © AÉROSPATIALE
Les États-Unis sont en matière de créations d’entreprises, comme en matière de nouvelles technologies, une référence mondiale peu discutable2. Quelles leçons pouvons-nous tirer de leur exemple ?
675 fonds de capital-risque (177 dans la seule Silicon Valley) orientés de plus en plus vers des entreprises naissantes, 40 milliards de francs investis, 1 milliard de dollars sur un seul trimestre (la moitié dans les logiciels et les communications), 250 000 business angels ayant investi dans des entreprises généralement en phase de démarrage…
À côté, la France fait pâle figure : les fonds d’amorçage y sont rares (une dizaine, en comptant large), et même caractérisés par une « quasi-inexistence » pour reprendre l’expression d’un récent et célèbre rapport d’Henri Guillaume (1998). Les business angels ne seraient que 100 à 400 et investiraient 10 à 40 millions d’euros.
Or il s’investit dans la seule Silicon Valley quatre fois plus que dans la France entière…
Notre sous-investissement dans les entreprises en création est un enjeu économique de premier ordre.
Encore faut-il réagir sans se tromper sur les moyens. Les établissements financiers spécialisés dans le capital investissement délaissent sciemment (même s’ils ne le reconnaissent pas toujours) le capital d’amorçage : la création d’entreprise serait très risquée, ce serait même un mauvais risque, insuffisamment rémunérateur en raison des coûts d’instruction élevés pour des montants d’investissements faibles… Cela ne suffit pas à démontrer l’impossibilité de transposer en France des pratiques éprouvées ailleurs, en particulier celles qui ont réussi aux États-Unis (seed capital).
C’est précisément le défi qui reste à relever avec des équipes nouvelles. À cet égard, les références du fameux « track record » exigées pour le capital développement sont peu utiles, moins que la maîtrise des secteurs cibles des investissements et surtout une expérience confirmée des hommes engagés dans la création d’entreprise pour répondre aux besoins d’accompagnement des nouveaux créateurs.
Ces fonds d’amorçage, je parle d’expérience, peuvent atteindre en France des rentabilités élevées, comparables à celles des meilleurs fonds américains, contrairement à ce qu’affirment inconsidérément quelques prétendus experts.
Pour réussir cette évolution, dont progressivement on se persuade enfin de l’urgence, deux erreurs, me semble-t-il, sont à éviter :
- trop miser sur les business angels ; certes, ces derniers sont présents sur l’échiquier et occuperont une place croissante dans l’avenir ; mais il faut se rendre à l’évidence : en France, ils sont mille fois moins nombreux qu’aux États-Unis, beaucoup moins fortunés que leurs homologues américains, plus individualistes et donc moins organisés (même si des réseaux se mettent en place). Faire reposer sur eux la solution française du financement de l’amorçage serait bien imprudent ; il ne peut s’agir, à brève et aussi à moyenne échéance, que d’une solution partielle ;
- multiplier des fonds publics (par exemple des fonds régionaux à l’initiative de collectivités publiques) même en supposant les équipes de gestion toutes de qualité et reconnues, les montants investis dans de tels fonds sont rarement suffisants (je cite le cas extrême d’un fonds de « pays » doté de 1,6 million de francs…). En outre, les périmètres d’intervention sont déterminés par des considérations politiques et donc limités à une toute petite partie du territoire national, alors que dans de nombreux secteurs économiques, surtout dans les nouvelles technologies, traverser les frontières ou l’Atlantique est d’emblée une nécessité.
Les initiatives des organismes publics intervenant directement, même avec les meilleurs intentions, n’ont pas toujours donné par le passé les résultats espérés. Ce n’est pas ainsi que les créations se sont développées aux États-Unis.En conclusion, ce sont bien des fonds d’amorçage privés « à l’américaine » qu’il faut encourager, comme le recommande d’ailleurs le rapport Guillaume de 1998 et comme les pouvoirs publics ont entrepris de le faire en s’appuyant sur la Caisse des Dépôts.
Quelques premières réalisations sont en cours ; le mouvement doit s’accélérer.
Pour des financements adaptés aux personnes touchées par « l’exclusion financière » et qui veulent créer néanmoins leur entreprise
Là encore, le constat peut réserver quelques surprises : en France, près de 40 % des entreprises sont créées par des chômeurs, 20 % par des personnes touchant le RMI. Il existerait une population évaluée entre 50 000 et 200 000 personnes démunies capables de créer leur propre emploi.
Or, les banques n’accordent pas de crédit aux personnes qui n’ont pas d’apport personnel et ne présentent pas de garanties. Elles ne sont pas non plus en mesure de prendre en charge la gestion, l’accompagnement et le risque lié à la fragilité. Frappées « d’exclusion financière« 3 ces personnes risquent donc de s’enfoncer irréversiblement dans l’exclusion sociale.
Par ailleurs, le coût de l’aide à la création d’entreprise par un chômeur est en moyenne inférieur à la moitié du coût annuel d’indemnisation ; c’est donc un excellent investissement pour la collectivité.
La création d’entreprise par des chômeurs et des Rmistes, loin d’être un gadget, relève donc d’une grande cause nationale. Il n’y a que des avantages humains, sociaux, financiers, à susciter une dynamique personnelle, permettre la réinsertion, et procurer des économies significatives pour les finances publiques.
Maria Nowak, présidente de l’ADIE. - C’est le défi qu’ont relevé plusieurs associations, au premier rang desquelles l’ADIE (Association pour le droit à l’initiative économique)4 créée il y a neuf ans par Maria Nowak en s’inspirant au départ du modèle de la « banque des pauvres » (Grameen Bank, lancée en 1977 au Bangladesh par le professeur Yunus).
L’ADIE a entrepris, à partir d’un réseau de distribution décentralisé qu’elle a elle-même constitué, de proposer aux personnes les plus démunies, candidates pour créer leur entreprise, des prêts de faible montant (30 000 F sur deux ans).
L’Association s’appuie sur des bénévoles qui expertisent les dossiers, parrainent les candidats retenus et suivent les affaires.
Les résultats de l’ADIE après neuf ans sont assez modestes, mais convaincants et prometteurs : 3 000 entreprises et 7 000 emplois créés, avec une croissance de 20 % par an.
Quatre-vingts pour cent des projets financés ont été apportés par des chômeurs de plus de six mois, dont 50 % au RMI. La mortalité des entreprises créées n’a pas été supérieure à la moyenne générale, et le taux de remboursement des prêts a toujours été supérieur à 75 %, il approche maintenant de 90 %.
Néanmoins l’ADIE, malgré quelques soutiens officiels, vit dans la précarité, et une grande partie de son énergie est consacrée à faire la chasse aux subventions.
La situation des autres associations à vocation similaire – par exemple les Cigales – est généralement encore plus précaire. Au total les besoins ne sont couverts qu’à moins de 10 %. Les efforts actuels doivent donc être décuplés.
L’importance de l’enjeu a été perçue par les pouvoirs publics qui ont encouragé par une disposition fiscale les dons à ces associations, mais il faudrait que les Fondations agissant contre l’exclusion lancent des campagnes similaires à celles du téléthon, pour susciter des équipes d’accueil et d’accompagnement et pour couvrir les frais de fonctionnement des associations.
Quant au financement des prêts eux-mêmes, une réponse naturelle consisterait à lever la contrainte de la charge de trésorerie pesant sur ces associations en la reportant sur des partenaires bancaires (Caisse des Dépôts, Crédit Mutuel, Crédit Coopératif…).
En conclusion, il y a bien matière à innover dans le monde de la finance. Certes, l’innovation dans les deux chantiers précédents est bien limitée, puisqu’il s’agit de transposer en France deux solutions ayant déjà fait leurs preuves ailleurs, la première aux États-Unis, la seconde au Bangladesh (et aussi dans des pays développés).
Mais que d’efforts pour lever nos blocages et réussir ces transpositions !
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1. Par exemple : Henri Guillaume (1998), les sénateurs Pierre Laffitte (1996), et René Trégouët (1997), J.-M. Yolin (ministère des Finances, 1999), Thierry Jacquillat (CCI de Paris, 1998).
2. Voir le rapport « Aider les PME : l’exemple américain » (Francis Grignon, sénateur, 1999).
3. Daniel Lebègue, directeur général de la Caisse des Dépôts (Le Monde, mai 1999).
4. ADIE, 14, rue Delambre, 75014 Paris (01.42.18.57.87).