Pour une fin des transitions molles : La pensée, le retour
« On avait conscience que cette crise était différente des précédentes et qu’elle allait mal se passer. Pour autant, aucun des systèmes prévisionnels mis en place n’a révélé qu’il y avait lieu de s’inquiéter. »
Compte rendu d’une conférence de Paul Jorion, dans le cadre des « Rencontres avec des hommes remarquables ».
Paul Jorion est docteur en sciences sociales de l’Université libre de Bruxelles, diplômé en sociologie et en anthropologie sociale. Il a travaillé dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix.
Paul Jorion analyse la genèse de cette crise et le paradoxe incroyable de cette période 2005–2007, qui associe une sophistication des outils prévisionnels jamais égalée à une maille d’analyse rendue myope par sa complexité.
Ne jamais s’arrêter
Aux États-Unis, le patrimoine est concentré dans peu de mains : un tiers de la richesse est détenu par 1 % de la population et 50 % de la population se partage 2,8 % du patrimoine. Ces chiffres expliquent le besoin structurel de » vie à crédit » pour les ménages comme pour les entreprises. Dans un tel contexte, l’immobilier et sa promesse perpétuelle de profit annuel à 17 % au plus haut de la bulle devenaient une porte de salut. Il fallait juste que cela ne s’arrête jamais.
L’irrésistible attirance des revenus financiers à court terme
À la fin des années quatre-vingt-dix, dans l’esprit d’aligner les intérêts des dirigeants d’entreprises avec ceux des investisseurs, une innovation prend forme avec les stock- options. Cette tactique a bien fonctionné mais elle eut pour conséquence de jouer le profit immédiat au détriment des salariés dont les revenus stagnaient. La proportion de richesse récoltée par le milieu financier s’est envolée. Il y a vingt ans aux États-Unis, 15 % des revenus étaient dus à la finance. En 2007, ce ratio a été supérieur à 40 %.
Le cas de l’immobilier aux États-Unis et l’envol de la titrisation
Vers 1996, un processus de » cavalerie » se met en place sur le marché immobilier des États-Unis. Des ménages de moins en moins fortunés accèdent à la propriété.
L’immobilier et sa promesse perpétuelle de profit annuel étaient la porte de salut
Vers 2004, les subprimes ouvrent l’accès à la propriété à de nouvelles recrues : les personnes qui n’ont pas d’argent. Ainsi, l’industrie du crédit a pris des proportions inouïes, sur un socle bien fragile qui s’est effondré avec la stagnation des salaires. La solution classique eût été de » privatiser les profits et de socialiser les pertes « . Mais cette solution – qui, à sa manière, aurait contribué à une certaine forme de régulation – n’était plus possible du fait de l’ampleur des sommes concernées.
Dernier tango à Beijing
Historiquement indexés sur des taux à dix ans, les crédits hypothécaires reformatés en obligations (1 obligation = environ 3 000 crédits hypothécaires de particuliers) ont attiré les investisseurs chinois qui ont investi en masse dans ces produits, faisant ainsi baisser les taux d’intérêt sur l’immobilier et devenant ainsi les véritables financiers de ce secteur. Les économies faites de cette manière par les consommateurs américains ont été consacrées à l’achat de produits fabriqués… en Chine.
Quand les systèmes font aussi des bulles
Les modèles prévisionnels ont continué à faire des projections positives, en appliquant des stratégies de couverture fondées sur des corrélations historiques, adossées au réel des dix années précédentes. En 2005–2006, les instruments financiers dépassaient notre capacité collective d’entendement. Conjointement, leur informatisation permettait de réagir à la microseconde. Des positions étaient prises sur la base d’explications trop simplifiées et peu éclairées.
Supprimer les liens pervers
Pour Paul Jorion, l’essentiel serait de supprimer radicalement les liens pervers de la fonction » parasitaire » de la finance sur l’économie. La finance en serait transformée et donc, l’économie aussi.