Rapport Berger, Frédéric Lavenir et Marion Guillou

Pour une gestion des ingénieurs de l’État par domaines de compétences

Dossier : La Haute fonction publique de l'ÉtatMagazine N°776 Juin 2022
Par Marion GUILLOU (73)

Dans le cadre de la réforme de la haute fonc­tion publique enga­gée par le Pré­sident de la Répu­blique en avril 2021, le Pre­mier ministre a confié à Vincent Ber­ger, Fré­dé­ric Lave­nir et Marion Guillou (X73) le soin de pré­pa­rer la décli­nai­son de ce pro­jet dans les quatre grands corps tech­niques de l’État. En conclu­sion de ce tra­vail col­lec­tif, Marion Guillou pré­sente les trois scé­na­rios envi­sa­geables : le main­tien des quatre corps, la créa­tion d’un corps tech­nique unique et l’intégration des ingé­nieurs dans le corps des admi­nis­tra­teurs de l’État.

Je vais m’efforcer dans cet article, lar­ge­ment extrait du texte de notre rap­port, de rap­pe­ler le cadre de tra­vail qui nous a été fixé, notre démarche et les conclu­sions prin­ci­pales que nous avons tirées. Notre rap­port a été ren­du public et, pour les lec­teurs les plus cou­ra­geux, je vous engage à en consul­ter le conte­nu plus pré­cis : Réforme de la haute fonc­tion publique : pour une ges­tion des ingé­nieurs par domaines de com­pé­tences.

Le cadre de la mission sur l’évolution des corps techniques

La lettre de mis­sion que nous avons reçue pré­cise que les évo­lu­tions à envi­sa­ger pour les corps d’ingénieurs doivent se confor­mer aux prin­cipes de la réforme glo­bale de la haute fonc­tion publique, à savoir « la diver­si­fi­ca­tion des recru­te­ments, le décloi­son­ne­ment des par­cours, le ren­for­ce­ment des mobi­li­tés, la valo­ri­sa­tion des com­pé­tences et des métiers, ain­si que la ges­tion indi­vi­dua­li­sée des car­rières ». Pour ce faire, le Pre­mier ministre a deman­dé à la mis­sion de réa­li­ser un diag­nos­tic et de for­mu­ler des pro­po­si­tions sur les points sui­vants : la réponse aux besoins de l’État en com­pé­tences tech­niques, à court, moyen et long termes ; la diver­si­fi­ca­tion des viviers de recru­te­ment, notam­ment au sein des uni­ver­si­tés, ain­si que la diver­si­té tant sociale que du point de vue de l’équilibre entre femmes et hommes ; la ges­tion indi­vi­dua­li­sée et la mobi­li­té des ingé­nieurs des grands corps tech­niques. Le Pre­mier ministre a éga­le­ment deman­dé d’analyser trois options sta­tu­taires prin­ci­pales : conser­ver un sys­tème de corps tech­niques dis­tincts, les inté­grer au sein d’un corps unique des ingé­nieurs de l’État, les inté­grer au sein du corps des admi­nis­tra­teurs de l’État.


REPÈRES

Les quatre grands corps tech­niques de l’État sont : le corps des ingé­nieurs des Mines (IM), celui des ingé­nieurs de l’Armement (IA), celui des ingé­nieurs des Ponts, Eaux et Forêts (Ipef) et celui des admi­nis­tra­teurs de l’Institut natio­nal de la sta­tis­tique et des études éco­no­miques (Insee). Les trois rap­por­teurs ont tra­vaillé pen­dant quatre mois avec l’aide pré­cieuse de trois char­gés de mis­sion, Richard Cas­taing (X10), Clé­ment Le Gouel­lec (X12) et Ivan Salin, et ont ren­du leur rap­port début 2022. Le Pre­mier ministre,
après les avoir reçus le 18 février, a deman­dé à Émi­lie Piette (X96), délé­guée inter­mi­nis­té­rielle à l’encadrement supé­rieur de l’État (Diese), de conduire une concer­ta­tion sur cette réforme, avec l’objectif de mettre en œuvre les déci­sions qui seront rete­nues « au plus tard en 2023 ». 


Une guerre des talents et un marché de l’emploi des ingénieurs en tension

La réforme des grands corps tech­niques de l’État s’inscrit dans un contexte plus large, qui est celui d’une « guerre des talents », pour reprendre l’expression d’un inter­locuteur de la mis­sion, issu d’une grande entre­prise du numé­rique. La com­pé­ti­tion entre les employeurs natio­naux et inter­na­tio­naux pour atti­rer les meilleurs ingé­nieurs est vive et crois­sante. Les ten­sions sur le mar­ché de l’emploi des ingé­nieurs sont exa­cer­bées dans cer­tains domaines, comme l’analyse de don­nées mas­sives ou le numé­rique. Enfin, et il faut s’en réjouir, l’attrait pour l’aventure entre­pre­neu­riale est aus­si un phé­no­mène puis­sant. Dans ce contexte, la capa­ci­té de l’État à recru­ter, puis à fidé­li­ser les meilleurs pro­fils, doit faire l’objet de la plus grande atten­tion. Simul­ta­né­ment, la capa­ci­té des corps d’ingénieurs de l’État à reflé­ter la socié­té fran­çaise dans sa diver­si­té et à construire des com­pé­tences fon­dées sur l’expérience opé­ra­tion­nelle et de ter­rain consti­tue une priorité.

“Les tensions sur le marché de l’emploi des ingénieurs sont exacerbées dans l’analyse de données massives ou le numérique.”

Une méthode rigoureuse

Pour mener à bien ses tra­vaux, la mis­sion a pro­cé­dé à plus d’une cen­taine d’entretiens, avec l’ensemble des acteurs concer­nés : chefs de corps, ges­tion­naires, employeurs actuels ou poten­tiels, publics et pri­vés, ingé­nieurs des grands corps, per­son­na­li­tés qua­li­fiées, etc. Elle a pu s’appuyer sur des com­pa­rai­sons inter­na­tio­nales, ain­si que sur une biblio­gra­phie four­nie repo­sant notam­ment sur les tra­vaux de mis­sions conduites pré­cé­dem­ment, et sur des bilans des fusions de corps notam­ment dans le cas des Ipef. Les inves­ti­ga­tions menées par la mis­sion l’ont conduite à col­lec­ter de nom­breuses don­nées, prin­ci­pa­le­ment auprès des ges­tion­naires des corps (don­nées de res­sources humaines : postes occu­pés, mobi­li­tés effec­tuées, durée moyenne des postes, etc.), mais éga­le­ment auprès de la direc­tion du bud­get, pour les don­nées de rému­né­ra­tion. Enfin, la mis­sion a enri­chi ses réflexions d’éléments qua­li­ta­tifs grâce aux deux panels qu’elle a orga­ni­sés, avec des élèves de l’École poly­tech­nique (X) et avec des ingé­nieurs en début de car­rière, au sein de l’État, et en exploi­tant le son­dage de grande ampleur mené en 2021 par la direc­tion inter­mi­nis­té­rielle de la trans­for­ma­tion publique (DITP) auprès de l’ensemble des hauts fonc­tion­naires, dont les ingé­nieurs des corps techniques. 

La gestion des ingénieurs par domaines de compétences

La mis­sion s’est d’abord effor­cée d’appréhender les besoins actuels et futurs de l’État en com­pé­tences scien­ti­fiques et tech­niques et la manière dont les corps tech­niques répondent à ces besoins (par­tie 1 de notre rap­port). Elle a pro­po­sé, ensuite, un état des lieux des corps actuels en ce qui concerne les objec­tifs de la réforme : attrac­ti­vi­té, diver­si­té, mobi­li­té, etc. (par­tie 2). Par­tant de ces constats, la mis­sion a éta­bli un ensemble de recom­man­da­tions visant à atteindre ces objec­tifs, quelle que soit l’architecture sta­tu­taire rete­nue par le gou­ver­ne­ment (par­tie 3). Enfin, elle a pré­ci­sé la décli­nai­son opé­ra­tion­nelle de ces recom­man­da­tions dans les trois scé­na­rios sta­tu­taires pré­sen­tés par la lettre de mis­sion et pro­po­sé un bilan com­pa­ra­tif de ces scé­na­rios (par­tie 4). Des annexes viennent com­plé­ter le rap­port, en four­nis­sant des déve­lop­pe­ments plus pré­cis sur les besoins de l’État (annexe n° 1), l’état des lieux (annexe n° 2) et les scé­na­rios sta­tu­taires (annexe n° 3), et en pré­sen­tant les sources uti­li­sées par la mis­sion (annexes nos 4 à 7). La liste des trente-trois recom­man­da­tions est faite pour s’appliquer quel que soit le scé­na­rio sta­tu­taire rete­nu par le gou­ver­ne­ment. Mais la plus grande force de notre rap­port repose à mon avis sur la pro­po­si­tion de gérer les ingé­nieurs par « domaines de com­pé­tences », au moins dans la pre­mière par­tie de leur vie pro­fes­sion­nelle ; c’est donc sur ce thème par­ti­cu­lier que je vais m’attarder ici.

Domaines de compétence des ingénieurs de l'État

L’État a besoin d’ingénieurs de haut niveau

La sou­ve­rai­ne­té et la pros­pé­ri­té d’une nation se jouent sur la capa­ci­té de l’État non seule­ment à anti­ci­per les évo­lu­tions tech­no­lo­giques, à asso­cier les par­ties pre­nantes des grands pro­jets et à don­ner une juste vision col­lec­tive des objec­tifs et des prio­ri­tés de long terme, mais aus­si à user à bon escient et dans la durée des leviers dont il dis­pose. La maî­trise tech­no­lo­gique est au cœur de l’État stra­tège por­teur d’une vision par­ta­gée de long terme, de l’État finan­ceur de la recherche et de l’innovation, de l’État pro­duc­teur et maître d’ouvrage, de l’État ache­teur et de l’État régu­la­teur. C’est pour­quoi il a besoin d’ingénieurs, c’est-à-dire de per­sonnes qui, par leur for­ma­tion ini­tiale et leur expé­rience pro­fes­sion­nelle, ont la capa­ci­té de com­prendre réel­le­ment le conte­nu tech­nique des menaces et des oppor­tu­ni­tés (et pas seule­ment d’en avoir l’intuition), d’être en mesure de les tra­duire en conseils utiles aux déci­deurs poli­tiques, d’organiser la concer­ta­tion démo­cra­tique et de maî­tri­ser opé­ra­tion­nel­le­ment la dimen­sion tech­nique de leur mise en œuvre.

Les besoins de l’État dans sept domaines de compétences techniques

La mis­sion a cher­ché à défi­nir les domaines aux­quels peuvent être rat­ta­chés les besoins en com­pé­tences tech­niques de l’État. Pour ce faire, elle a pro­cé­dé de manière empi­rique, par une ana­lyse de la cen­taine d’entretiens qu’elle a menés auprès des inter­lo­cu­teurs les plus divers, en com­plé­tant cet exer­cice par un tra­vail docu­men­taire sur les sources fran­çaises ou étran­gères qui parais­saient les plus aptes à éclai­rer sa vision pros­pec­tive. L’annexe n° 1 du rap­port com­porte la syn­thèse de ces dif­fé­rentes approches. Il en res­sort une liste de sept domaines de com­pé­tences dont l’État aura besoin dans la durée : arme­ment et espace ; don­nées, sta­tis­tiques et éco­no­mie quan­ti­ta­tive ; éner­gie et indus­tries de la décar­bo­na­tion ; envi­ron­ne­ment, cli­mat et ali­men­ta­tion ; infra­struc­tures et amé­na­ge­ment ; tech­no­lo­gies de l’information et du numé­rique ; san­té. Cha­cun de ces domaines consti­tue un éco­sys­tème com­plet com­por­tant de nom­breux acteurs, y com­pris des agences voire des indus­tries de sou­ve­rai­ne­té qui s’y rat­tachent, les métiers et sec­teurs qui en relèvent, aux niveaux natio­nal, euro­péen et inter­na­tio­nal ; et le rap­port s’est atta­ché à expli­ci­ter la cor­res­pon­dance entre cha­cun de ces domaines et les enti­tés publiques où pour­raient trou­ver à se for­mer ou à s’exercer les com­pé­tences métiers. 

Gérer par domaines les carrières, les effectifs et les personnes

Aus­si, pour garan­tir une réponse satis­fai­sante aux besoins de l’État comme aux attentes des inté­res­sés, la mis­sion recom­mande de struc­tu­rer la ges­tion pré­vi­sion­nelle des effec­tifs et des com­pé­tences, ain­si que la ges­tion indi­vi­duelle et col­lec­tive des ingé­nieurs de l’État, autour de ces « domaines de com­pé­tences ». Cha­cun des sept domaines fait appel à des métiers par­ta­geant des com­pé­tences fon­da­men­tales com­munes et s’inscrit dans un éco­sys­tème cohé­rent d’organismes de for­ma­tion, de recherche et d’employeurs poten­tiels. Cha­cun de ces domaines a voca­tion à être ani­mé par un res­pon­sable de haut niveau, idéa­le­ment un ingé­nieur géné­ral, dis­po­sant à la fois d’une légi­ti­mi­té pro­fes­sion­nelle et d’une bonne connais­sance de l’environnement et des per­sonnes. Ce res­pon­sable serait appuyé par un ou plu­sieurs ges­tion­naires indi­vi­duels de car­rière, de telle manière que chaque ges­tion­naire ait à suivre un por­te­feuille de 250 ingé­nieurs au maxi­mum. Le res­pon­sable de domaine devrait impé­ra­ti­ve­ment avoir un posi­tion­ne­ment inter­mi­nis­té­riel, son rat­ta­che­ment admi­nis­tra­tif étant à déter­mi­ner en fonc­tion de l’organisation sta­tu­taire qui sera rete­nue, mais en tout état de cause indé­pen­dant des dépar­te­ments minis­té­riels employeurs.


D’autres compétences scientifiques et techniques de haut niveau dans la fonction publique

Les tra­vaux de la mis­sion ont por­té sur le péri­mètre défi­ni par la lettre de mis­sion du Pre­mier ministre. La cohé­rence intrin­sèque de ce péri­mètre des quatre grands corps tech­niques, qui englobe envi­ron 5 000 ingé­nieurs, ne doit pas lais­ser pen­ser qu’il com­prend l’ensemble des com­pé­tences tech­niques et scien­ti­fiques de l’État. L’État et les col­lec­ti­vi­tés emploient en effet de nom­breux autres ingé­nieurs de grande qua­li­té, dans les domaines des tra­vaux publics, de l’agriculture, de l’industrie, de la recherche.
Par ailleurs, les corps des ins­pec­teurs de san­té publique vété­ri­naire, des phar­ma­ciens ins­pec­teurs de san­té publique et des méde­cins ins­pec­teurs de san­té publique four­nissent des com­pé­tences spé­ci­fiques de haut niveau.
La mis­sion a recom­man­dé d’examiner la situa­tion de ces corps par ailleurs.


Analyse comparative des trois scénarios statutaires proposés 

Les trois scé­na­rios sug­gé­rés par le Pre­mier ministre exigent une volon­té poli­tique forte. Ils ont été décli­nés plus pré­ci­sé­ment dans le texte de notre rap­port, de manière à per­mettre la mise en œuvre de l’ensemble des recom­man­da­tions de la mis­sion, rela­tives aux cinq prin­cipes de la réforme de la haute fonc­tion publique (diver­si­fi­ca­tion des recru­te­ments, ges­tion indi­vi­dua­li­sée) indépendam­ment du choix sta­tu­taire. La mis­sion a résu­mé les avan­tages et incon­vé­nients majeurs que cha­cun d’eux lui sem­blait com­por­ter vis-à-vis des objec­tifs du gouvernement.

Le maintien des quatre corps et de l’architecture statutaire existante

Le scé­na­rio 1 (main­tien des quatre corps) pré­sen­te­rait pour pre­mier avan­tage de repo­ser sur l’architecture sta­tu­taire exis­tante, donc de néces­si­ter un tra­vail de réforme sta­tu­taire moindre. La démarche de conduite de chan­ge­ment, dans ses dimen­sions humaines, serait assez simple. Les corps actuels, déjà attrac­tifs, pour­raient capi­ta­li­ser sur leur image de marque et sur la qua­li­té de leurs rela­tions avec les employeurs et les écoles. En revanche, la mise en œuvre de ce scé­na­rio sup­po­se­rait, dans la durée, une ges­tion de pro­jet volon­ta­riste pour intro­duire les chan­ge­ments sou­hai­tés. Par ailleurs, en conser­vant des corps dis­tincts, ce scé­na­rio pré­sen­te­rait un risque de ne pas atteindre par­tout les objec­tifs de décloi­son­ne­ment des par­cours et de sup­pres­sion de cer­tains silos minis­té­riels. Enfin, la coexis­tence des quatre corps limi­te­rait les pos­si­bi­li­tés de mutualisation.

“La maîtrise technologique est au cœur de l’État stratège.”

La création d’un corps technique unique des ingénieurs de l’État

Le scé­na­rio 2 (créa­tion du corps des ingé­nieurs de l’État) pré­sen­te­rait l’avantage de faci­li­ter la coor­di­na­tion entre domaines par l’existence d’un chef de corps et d’une orga­ni­sa­tion uniques. Les chan­ge­ments dans le péri­mètre (voire le nombre) des domaines, ain­si que les chan­ge­ments de domaines pour les ingé­nieurs, seraient plus faciles, dans la mesure où les domaines seraient tous logés dans un cadre sta­tu­taire et orga­ni­sa­tion­nel com­mun. Les meilleures pra­tiques des corps actuels pour­raient plus faci­le­ment être dif­fu­sées. En revanche, ce scé­na­rio néces­si­te­rait une réforme sta­tu­taire très pro­fonde. Il com­por­te­rait un risque non négli­geable de perte d’attractivité, du fait de l’inconnu entou­rant le nou­veau corps, par com­pa­rai­son avec la noto­rié­té des corps exis­tants. La taille de ce corps ferait par ailleurs repo­ser sur le bon fonction­nement des domaines le suc­cès de la réforme. Le pilo­tage cen­tra­li­sé de la ges­tion de la deuxième par­tie de car­rière des ingé­nieurs consti­tue­rait un défi signi­fi­ca­tif, compte tenu de la taille du corps.

L’intégration des ingénieurs dans le corps des administrateurs de l’État

Le scé­na­rio 3 (inté­gra­tion des ingé­nieurs dans le corps des admi­nis­tra­teurs de l’État) aurait pour avan­tage d’offrir un cadre sta­tu­taire unique à l’ensemble, ou presque, de la haute fonc­tion publique d’État. Il com­por­te­rait néan­moins un risque encore plus fort de perte d’attractivité et néces­si­te­rait une réécri­ture com­plète du sta­tut des admi­nis­tra­teurs de l’État, qui vient d’être mis au point, afin d’instituer un régime de recru­te­ment, de for­ma­tion et de ges­tion dif­fé­ren­cié pour les ingé­nieurs. L’hétérogénéité de ges­tion, au sein d’un même corps, pour­rait éga­le­ment poser un pro­blème d’acceptabilité. Enfin, le risque d’échec de la mise en place de la struc­tu­ra­tion par domaines serait très fort, du fait de son carac­tère sin­gu­lier au sein du corps des admi­nis­tra­teurs de l’État.

Quelles que soient les orien­ta­tions rete­nues fina­le­ment par le gou­ver­ne­ment, les tra­vaux à mener sur le plan régle­men­taire et orga­ni­sa­tion­nel néces­si­te­ront la mise en place par le Pre­mier ministre d’une équipe pro­jet dédiée, dis­po­sant d’un cahier des charges clair, tra­vaillant étroi­te­ment avec les quatre corps concer­nés et les employeurs.


Les recommandations de la mission

Gérer par domaine les carrières, les effectifs et les compétences des ingénieurs

1 Struc­tu­rer la ges­tion pré­vi­sion­nelle des com­pé­tences tech­niques et la ges­tion des car­rières des ingé­nieurs en sept « domaines de com­pé­tences » inter­mi­nis­té­riels ani­més cha­cun par un res­pon­sable de haut niveau.
2 Attri­buer à chaque res­pon­sable de domaine le pilo­tage de la ges­tion pré­vi­sion­nelle des effec­tifs et des com­pé­tences d’in­gé­nieurs pour son domaine.
3 Mettre en place auprès du Pre­mier ministre une gou­ver­nance trans­ver­sale des domaines, char­gée de la coor­di­na­tion inter-domaine et de la pros­pec­tive glo­bale pério­dique des besoins en com­pé­tences de l’État.

Conforter l’excellence du recrutement des ingénieurs en diversifiant les voies d’accès et en confirmant la place prépondérante de l’École polytechnique

4 Rem­pla­cer les voies d’ac­cès externes réser­vées à cer­taines écoles par un concours externe unique, ouvert à l’ensemble des ingé­nieurs diplômés.
5 Créer un « concours talents », voie d’accès réser­vée aux étu­diants bour­siers par­ti­ci­pant à un par­cours de pré­pa­ra­tion sélec­tif, dis­po­sant de 15 % des places ouvertes à l’École poly­tech­nique et au concours externe.
6 Impo­ser au recru­te­ment une limite maxi­male de deux tiers des effec­tifs pour un même sexe.
7 Géné­ra­li­ser la voie de recru­te­ment spé­ci­fi­que­ment dédiée aux doc­teurs, en aug­men­ter les flux et pré­voir un niveau d’in­té­gra­tion dans le corps pre­nant en compte leur expérience.
8 Créer une nou­velle voie de recru­te­ment « ingé­nieurs expé­ri­men­tés », ouverte aux per­sonnes pré­sen­tant une expé­rience pro­fes­sion­nelle d’au moins sept ans dans le sec­teur pri­vé ou public et pré­voir un niveau d’in­té­gra­tion dans le corps pre­nant en compte cette expé­rience pro­fes­sion­nelle. Ce nou­veau mode de recru­te­ment ne remet pas en cause les concours internes et autres dis­po­si­tifs de pro­mo­tion interne (exa­men pro­fes­sion­nel, liste d’aptitude) actuels.
9 Main­te­nir à son niveau actuel le nombre de places réser­vées dans les corps aux élèves de l’École poly­tech­nique, qui conti­nue­ront de repré­sen­ter la majo­ri­té des recru­te­ments en début de carrière.
10 Réno­ver le mode d’affectation des élèves de l’École poly­tech­nique en met­tant fin au sys­tème de choix par l’é­lève dans l’ordre du clas­se­ment : les res­pon­sables de domaine recru­te­raient sur une base mul­ti­cri­tère, com­por­tant obli­ga­toi­re­ment des entre­tiens de moti­va­tion et d’information.
11 Sen­si­bi­li­ser et infor­mer les élèves, durant leur sco­la­ri­té à l’École poly­tech­nique, par des ses­sions de pré­sen­ta­tion des corps d’ingénieurs, de l’État et de son fonc­tion­ne­ment (aux­quelles l’INSP pour­rait contribuer).

Garantir une construction de compétences cohérente, reposant sur la formation et sur les premiers postes, pour renforcer l’attractivité des carrières et répondre aux besoins de l’État

12 Char­ger le res­pon­sable de domaine de garan­tir la qua­li­té et la per­ti­nence de la for­ma­tion ini­tiale, par une rela­tion pri­vi­lé­giée avec une « école por­teuse » et par l’a­ni­ma­tion d’un comi­té de per­fec­tion­ne­ment incluant employeurs, écoles et autres éta­blis­se­ments partenaires.
13 Enri­chir le conte­nu des for­ma­tions ini­tiales en insis­tant davan­tage sur l’apprentissage de com­pé­tences non tech­niques (soft skills, méthodes de concer­ta­tion des par­ties pre­nantes des grands pro­jets, mana­ge­ment, etc.).
14 Accroître la par­ti­ci­pa­tion des ingé­nieurs-élèves au tronc com­mun pilo­té par l’INSP.
15 Accroître la contri­bu­tion des écoles d’ingénieurs au conte­nu du tronc com­mun pilo­té par l’INSP.
16 Ren­for­cer la for­ma­tion conti­nue des ingé­nieurs des grands corps tech­niques. La for­ma­tion conti­nue doit por­ter sur des enjeux com­muns aux hauts fonc­tion­naires, qui peuvent être pris en charge par l’INSP, et sur des enjeux scien­ti­fiques et tech­niques, qui relèvent d’opérateurs spécialisés.
17 Deman­der aux res­pon­sables de domaine d’as­su­rer une conti­nui­té dans la construc­tion de com­pé­tences entre la for­ma­tion ini­tiale et les pre­miers postes, qui doivent pré­sen­ter une forte dimen­sion tech­nique et ins­crire ce prin­cipe dans les lignes direc­trices de ges­tion (cf. recom­man­da­tion n° 23).
18 Garan­tir une meilleure cohé­rence entre les sujets de doc­to­rat des ingé­nieurs (lorsque ceux-ci optent pour un par­cours de for­ma­tion par la recherche) et les besoins liés aux postes suivants.

Assurer une gestion de carrière proactive

19 Mettre en œuvre, sous la res­pon­sa­bi­li­té des res­pon­sables de domaine en lien avec les employeurs, une ges­tion indi­vi­dua­li­sée et inter­mi­nis­té­rielle des par­cours, sans obs­tacle aux chan­ge­ments de domaine de rat­ta­che­ment, et en arti­cu­la­tion avec les viviers de niveau 3 (« haut poten­tiels » et « talen­tueuses », pro­po­sés dans le rap­port Bas­sères) de la DIESE.
20 Créer un annuaire inter-domaine des ingé­nieurs, afin d’op­ti­mi­ser la connais­sance de la com­mu­nau­té et de flui­di­fier les mobilités.
21 Délé­guer la ges­tion admi­nis­tra­tive de la car­rière des ingé­nieurs (affec­ta­tion, pro­mo­tion, mobi­li­té, déon­to­lo­gie) aux res­pon­sables de domaines.
22 Sys­té­ma­ti­ser, à l’i­ni­tia­tive des res­pon­sables de domaine, une ou plu­sieurs expé­riences en dehors des admi­nis­tra­tions cen­trales dès le début de car­rière, par exemple en col­lec­ti­vi­té ter­ri­to­riale, en entre­prise, en éta­blis­se­ment public (dont éta­blis­se­ments de recherche), ou en orga­ni­sa­tion inter­na­tio­nale, selon les métiers exercés.
23 Éla­bo­rer et publier dans chaque domaine des lignes direc­trices de ges­tion, conçues sous la conduite des res­pon­sables de domaine, en concer­ta­tion avec les employeurs et les autres par­ties prenantes.
24 Délé­guer aux res­pon­sables de domaine la res­pon­sa­bi­li­té de la ges­tion des ques­tions déon­to­lo­giques et leur appor­ter un appui tech­nique dans un cadre fluide avec la HATVP.
25 Géné­ra­li­ser un outil juri­dique idoine pour rendre pos­sible et favo­ri­ser un pas­sage des ingé­nieurs-fonc­tion­naires dans le sec­teur concur­ren­tiel, en début de carrière.
26 Afin de faire de la rému­né­ra­tion un véri­table outil de ges­tion, inci­ter les employeurs à aban­don­ner, pour les ingé­nieurs, les grilles indem­ni­taires contrai­gnantes et ins­crire dans les lignes direc­trices de ges­tion du ou des corps l’utilisation au maxi­mum de la part variable de la com­po­sante indemnitaire.
27 Ali­gner toutes les grilles indi­ciaires du ou des corps d’ingénieurs sur celle du corps des admi­nis­tra­teurs de l’État.
28 Ins­tau­rer un rem­bour­se­ment for­fai­taire des frais de for­ma­tion (pan­toufle) pour tous les grands corps techniques.

Prolonger l’accompagnement des ingénieurs dans la deuxième partie de carrière, en assurant une bonne articulation avec la DIESE et une gestion active de la pyramide des âges

29 Pré­voir les arti­cu­la­tions néces­saires entre les res­pon­sables de domaines et le res­pon­sable glo­bal ou le chef de corps pour assu­rer le relais de la ges­tion per­son­na­li­sée à un cer­tain stade de la carrière.
30 Pré­voir les arti­cu­la­tions néces­saires entre les res­pon­sables de domaine et les secré­taires géné­raux des minis­tères, pour ali­men­ter ou allé­ger les viviers de cadres de direc­tion (viviers de niveau 2).
31 Pré­voir les arti­cu­la­tions néces­saires entre le res­pon­sable glo­bal (ou les chefs de corps) et la DIESE, pour ali­men­ter ou allé­ger le vivier de cadres diri­geants (vivier de niveau 1).
32 Déve­lop­per les outils de ges­tion des fins de car­rière (inci­ta­tions au départ, mis­sions d’appui) afin de per­mettre au ges­tion­naire de déployer une poli­tique active de ges­tion de la pyra­mide des âges.
33 Ins­crire dans les lignes direc­trices de ges­tion des domaines le prin­cipe de l’utilisation en tota­li­té de la capa­ci­té de modu­la­tion de la rému­né­ra­tion, au bout d’un an, en cas de retour d’un agent au corps, sans affectation.

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Jean COIFFARDrépondre
22 juin 2022 à 15 h 14 min

Par­mi les domaines de com­pé­tence pro­po­sés, où trou­ver une place pour l’in­dus­trie manu­fac­tu­rière ? L’É­tat se résigne-t-il à s’en désintéresser ?

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