Pour une industrie conquérante, laissez agir les hommes d’entreprise
En France, nous parlons de rentabilité par rapport au chiffre d’affaires. Mais, pour les investisseurs, la vraie rentabilité est celle des capitaux investis. Or toute l’information économique ne parle que de rentabilité par rapport au chiffre d’affaires ou à la valeur ajoutée. Un exemple simple permet de comprendre la différence.
Rentabiliser les capitaux investis
Gagnants et perdants
Le taux de profit assure une nouvelle répartition financière entre investisseurs, et uniquement entre investisseurs. Certains s’appauvrissent et d’autres s’enrichissent. Malheureusement, si l’on parle beaucoup de ceux qui s’enrichissent, on ne parle jamais de ceux qui perdent.
Si l’on prend trois entreprises, l’une dans le commerce, l’autre dans l’industrie classique, et la troisième fortement capitalistique (comme la SNCF), on peut avoir la même rentabilité par rapport au chiffre d’affaires, mais dans le premier cas avoir une rentabilité extrêmement élevée, et dans les deux derniers des rentabilités détestables. Selon ce critère, la France est très mal placée par rapport à tous les pays dont on vante l’efficacité industrielle et où la rentabilité des capitaux investis est de l’ordre des deux tiers.
Ainsi, aux États-Unis, la rentabilité moyenne des entreprises industrielles (par rapport aux capitaux investis) est de 12 % à 14 %, alors qu’en France elle se situe plutôt aux alentours de 7 % à 8%.
Les succès payent les échecs, ni plus, ni moins
Les entreprises industrielles lancent en permanence de nouveaux projets. On ne sait pas a priori si tous les projets seront des succès, et qui dit projet dit obligatoirement aussi risque d’échec.
Il est avéré que le taux de profit moyen des entreprises est rigoureusement égal au taux d’intérêt réel sans risque multiplié par l’inverse du taux de succès des projets. En d’autres termes, mais ceci est d’une banalité affligeante, les succès payent les échecs, ni plus, ni moins.
Rentabilité et renouvellement
Chaque année, une entreprise renouvelle au moins 20% de son activité (produits et services différents) en s’appuyant sur des projets lancés dans les années qui précèdent.
Avec, pour les succès, un taux moyen de profit trop faible, le nombre de projets qui pourront être lancés sera plus faible. La France, avec un taux moyen de 8 %, ne peut pas se permettre de connaître plus d’un échec pour deux succès, alors que les États-Unis, l’Allemagne, la Chine, etc., peuvent assumer entre 50 % et 60 % d’échecs.
En classant les projets sur une échelle de 0 à 20, les Français ne peuvent trouver de financements que pour ceux qui seraient cotés à partir de 15 et au-dessus. En revanche, dans tous les autres pays cités, il est possible de financer des projets qui seraient notés de 10 à 20.
Plus on descend dans la notation, plus le nombre de projets est important, mais plus le risque d’échec est élevé. Ainsi, si l’on prend tous les projets notés de 10 à 20, on peut en avoir 300 ou 400, parmi lesquels se trouveront les 100 notés de 15 à 20. Avec un taux d’échec d’un tiers sur ces 100 projets, on aura 66 réussites. Ces 66 réussites, au taux moyen de profit de l’ordre de 7 % à 8 %, financeront les 34 échecs. Mais si l’on veut lancer 300 projets, le taux d’échec sera de 50 % à 60 %. Les 150 échecs devront être financés par les 150 succès. Le taux moyen de profit des entreprises qui auront réussi doit être beaucoup plus important.
C’est effectivement bien ce que l’on constate : en Allemagne, aux États-Unis, en Chine les taux moyens de profit permettent de payer tous les échecs.
Trois handicaps
Depuis plus de quarante ans, on parle toujours des mêmes problèmes. Mais n’ont-ils pas comme seule origine l’incapacité de nos entreprises à assurer le financement de prises de risque plus importantes et d’échecs vraisemblables ? J’en citerai trois : l’insuffisance des fonds propres ; la recherche et le développement ; le commerce extérieur.
L’insuffisance des fonds propres
Si l’industrie dégage une rentabilité par rapport aux capitaux investis insuffisante, les investisseurs sont obligés de doper, par un effet de levier, la rentabilité économique d’une rentabilité financière. Or, si les rentabilités économiques sont de 12% à 13 %, la tentation d’avoir recours à l’effet de levier sera largement affaiblie.
Emprunter auprès des banques menace en permanence notre indépendance. Par ailleurs, les résultats obtenus avec des rentabilités économiques de 12 % à 13 % iraient directement en fonds propres des entreprises ou en distribution de dividendes qui seront réinvestis.
L’insuffisance de la recherche
Européanisation
Tout projet de conquête ou de développement sur un autre marché est plus risqué que sur le marché intérieur. En prenant une échelle de risque de 0 à 20, les projets qui, en France, seraient cotés de 15 à 20 seraient au mieux cotés entre 7 et 8 en Chine et en Inde, à 10 environ au Brésil et en Amérique du Sud, et entre 12 et 14 aux États-Unis.
La cotation sur l’Europe est équivalente, ou peu s’en faut, à celle de la France.
Cette approche explique pourquoi ce qu’on appelle l’internationalisation de l’industrie n’est en fait que son européanisation
La recherche et le développement sont par définition des activités plus risquées que les activités habituelles de l’entreprise. Dès lors, les probabilités de réussite y sont beaucoup plus faibles. Si l’on classe les projets de recherche sur une échelle de 0 à 20 en fonction de la probabilité de leurs succès, une entreprise française ne pourra envisager de financer que des projets compris entre 18 et 20. Les entreprises allemandes, chinoises, américaines, canadiennes peuvent accepter le risque de financer des projets dont la notation de succès serait comprise entre 16 et 20.
Déjà, dans des domaines nouveaux, quel que soit le pays, le nombre de projets lancés dans le cadre de la recherche diminue. Mais certains pays comme la France pourraient être moins audacieux.
L’insuffisance du commerce extérieur
Tout comme la R&D, la recherche de débouchés extérieurs est une aventure risquée. Toutes les entreprises du Club des n° 1 mondiaux français à l’exportation ont connu des échecs à l’international, avant de pouvoir un jour profiter de l’ouverture de marchés lointains. Il suffit d’interroger ceux qui ont investi en Chine, au Brésil, et même aux États-Unis, pour comprendre combien de temps et combien d’échecs il a fallu pour se développer, même dans un marché considéré comme relativement proche comme le marché américain.
Supprimer les aides et alléger les charges
Laissons la France travailler en paix et réinvestir le fruit du travail des entrepreneurs
Quel chef d’entreprise n’a pas été exaspéré par les administrations qui disent : « Faites plus de recherche, exportez plus, on va vous aider », avec des crédits qui sont accordés par des organismes qui exigent des dossiers dont le coût dépasse souvent le niveau de l’aide. On a mis en place toute une structure de contrôle, parce qu’il s’agit d’argent public. Pourtant, avant d’être public, cet argent venait des activités que l’on veut aider.
Alors, supprimons les aides, supprimons les administrations correspondantes, allégeons les coûts des entreprises – et comme par miracle l’activité se redressera, les projets deviendront plus conquérants.
Laissons la France travailler en paix et réinvestir le fruit du travail des entrepreneurs. C’est sans doute le meilleur placement que la nation puisse faire.