Pour une rationalisation de la pêche
Développement de la pêche
Bref historique
Développement de la pêche
Bref historique
Pendant des millénaires, la pêche a été une activité de subsistance circonscrite aux eaux continentales et à la frange maritime littorale. La pêche commerciale hauturière a commencé à se développer en Europe occidentale au cours du Moyen Âge. La révolution industrielle lui a donné un nouvel essor grâce au développement des marchés (agglomérations urbaines et industrielles) et des moyens de transport, à l’adoption de nouvelles techniques de propulsion, de capture et de conservation des produits, et à l’établissement de nouvelles bases, dans les pays industrialisés d’abord, puis dans les pays émergents (pays du Sud après leur décolonisation). Dans les années 1970, les administrations nationales ont commencé à s’intéresser aux pêcheries artisanales, jusque-là considérées surtout comme une source de main-d’œuvre pour les marines militaires et marchandes et la pêche industrielle, même si, depuis la fin du siècle dernier, elles étaient entrées dans une production commerciale.
Ce développement s’est opéré selon un triple processus :
- intensification de l’exploitation des espèces nobles, proches des centres d’expansion ;
- diversification de la pêche par la mise en exploitation, dans les mêmes aires, d’espèces jusque-là négligées en raison de leur valeur ou de leur abondance moindres ;
- redéploiement des flottilles industrielles (ou hauturières) vers de nouvelles zones de pêche, où les deux processus précédents se répètent.
L’expansion de la pêche hauturière s’est opérée dans le cadre du principe de liberté de la pêche formulé en 1609 par Grotius.
Le caractère fini des ressources rendait inévitable le heurt des intérêts de la pêche hauturière et des pêcheries locales. Après la Seconde Guerre mondiale, confrontés à l’épuisement des ressources locales, un nombre croissant de pays entreprirent d’étendre unilatéralement leurs eaux nationales, engendrant de fortes oppositions de la part des pays armant à la grande pêche.
De graves conflits opposèrent ces deux groupes de pays jusqu’à ce que, dans les années 1970, les seconds acceptent peu à peu d’offrir des compensations en échange du droit de pêcher devant les côtes des pays riverains. Finalement, l’extension à 200 milles des juridictions nationales fut adoptée en 1982 à la Conférence des Nations unies de Montego Bay, et formellement ratifiée en 1994.
Mondialisation de la surpêche et état des ressources
La surpêche n’est pas un phénomène récent. Dès le XVe siècle, des signes de surexploitation sont observés dans les pêcheries littorales françaises. Mais, pendant longtemps, le phénomène est resté circonscrit aux zones côtières. Les possibilités de redéploiement vers des stocks hauturiers permettaient de résorber les surcapacités locales par le redéploiement des flottilles. À partir de la Seconde Guerre mondiale, le phénomène s’est graduellement étendu à l’ensemble de l’océan mondial (figure 1).
Le plafonnement de la production qui en a résulté s’est d’abord manifesté dans les régions où la pêche industrielle s’était initialement développée (Atlantique et Pacifique Nord). Dans l’Atlantique Nord-Est, les débarquements ont déjà baissé de 25 % au cours du dernier quart de siècle. La surexploitation est également plus forte pour les stocks économiquement les plus intéressants (stocks nobles) – notamment les espèces démersales (voir encadré).
FIGURE 2 |
Évolution comparée de la production dans le monde, dans l’Atlantique Nord-Est, et de la production de morue dans l’Atlantique Nord (FAO, 1997). |
L’évolution récente de la production mondiale donne une fausse image de l’état actuel des ressources (figure 2).
L’intensification de la pêche des stocks sous-exploités compense en effet tout juste la baisse de production des stocks surexploités.
Comme les possibilités de redéploiement et de diversification sont finies, la production mondiale ne pourra se maintenir au niveau actuel que si la surpêche des stocks surexploités est effectivement maîtrisée. Comme celle-ci est plus forte pour les stocks nobles et qu’elle réduit davantage l’abondance des individus de grande taille dont le prix est généralement supérieur, le plafonnement actuel des débarquements masque déjà une baisse de leur valeur moyenne.
La FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) évalue le potentiel halieutique mondial entre 100 et 125 millions de tonnes par an (pour une production actuelle de l’ordre de 85 millions).
La capture de 10 millions de tonnes supplémentaires paraît réalisable, celle des 17 millions suivants possible, et celle des derniers millions hypothétique.
La réalisation de ces perspectives dépend prioritairement de la réduction de la pêche des stocks surexploités, et secondairement de l’intensification de celle des stocks sous-exploités (principalement les stocks pélagiques de maquereau, sardine, hareng, anchois, thon…), notamment dans l’océan Indien, où la pêche s’est développée plus tardivement.
Effets de la pêche sur les ressources halieutiques et les écosystèmes
Effets directs sur les stocks
La productivité d’un stock halieutique résulte de trois processus :
- la relation entre le nombre d’œufs émis dans le milieu naturel et la biomasse de reproducteurs,
- les effets des conditions environnementales sur la survie des phases précoces (œufs, larves et frai),
- et le profil d’exploitation des classes d’âge présentes dans la phase exploitée – c’est-à-dire la répartition de la mortalité par pêche sur ces classes.
Engins et techniques de pêche
Les engins de capture les plus couramment utilisés se regroupent en trois grands ensembles :
- les arts dormants (ou engins fixes), comme les lignes et les palangres, les casiers, les filets maillants…, qui capturent passivement le poisson ;
- les arts encerclants, comme les sennes, avec lesquelles on entoure un banc de poissons, avant de l’amener à couple du bateau pour procéder à l’embarquement de la prise ;
- les arts traînants, comme les chaluts de fond et pélagiques, les dragues et les lignes de traîne, qui accroissent par la traction le volume d’eau où ils opèrent.
Les capacités de capture d’une flottille, fonction de la nature des arts, de la puissance motrice et de l’activité des bateaux, déterminent “l’effort de pêche ” et la mortalité exercée sur les stocks.
Le nombre d’œufs émis et, par suite, l’espérance de recrutement – le recrutement désigne le nombre de juvéniles qui remplacent chaque année les morts naturels et les individus capturés – sont initialement déterminés par la biomasse de reproducteurs. À long terme, le recrutement dépend de la nature de l’espèce. Comme chez les espèces terrestres, les populations d’espèces de grande taille (beaucoup d’espèces de poissons démersaux) ont des effectifs moindres, et, de ce fait, produisent en moyenne moins de recrues que les espèces de petite taille (comme les petits pélagiques ou les crevettes).
La réduction du stock parental par la pêche entraîne un déclin de la biomasse, des rendements et du recrutement moyen du stock exploité (figure 3). Quand le taux d’exploitation devient excessif, il peut conduire à l’arrêt de la pêche pour des raisons économiques, voire à l’extinction du stock. Ce risque est plus grand pour les espèces de grande taille qui sont à la fois les plus prisées et les plus vulnérables. Cette surexploitation est appelée » surpêche de recrutement « .
Annuellement, le succès du recrutement issu d’une même biomasse de géniteurs est fortement influencé par les conditions environnementales régnant pendant de courtes périodes de temps, critiques pour la survie des phases précoces. À cause de la variabilité des conditions météorologiques, les recrutements annuels présentent des fluctuations importantes, particulièrement prononcées chez certains groupes d’espèces (petits pélagiques, bivalves…).
Au niveau du stock, cette variabilité est amortie par le nombre de classes d’âge présentes dans la phase exploitée. En réduisant ce nombre, la surexploitation amplifie mécaniquement les fluctuations de l’abondance du stock, et, par voie de conséquence, celle des rendements. Le recrutement est aussi influencé, à une échelle supérieure à la décennie, par le climat. Il peut aussi être durablement modifié par les altérations anthropiques de l’environnement (pollutions, altérations physiques des habitats, changement climatique).
Aussi, même en l’absence de pêche, les stocks passent par des niveaux d’abondance différents sur des périodes de plusieurs années. Lorsque les conditions de milieu deviennent défavorables pendant plusieurs années consécutives, le stock peut être incapable de soutenir une mortalité par pêche qu’il avait supportée en période plus favorable. À cause du bruit dans la variabilité interannuelle du recrutement, les poids respectifs de l’environnement et de la pêche dans les baisses constatées du recrutement n’ont encore jamais été quantifiés.
Aussi, l’évaluation du risque d’une surpêche de recrutement est entachée d’une incertitude notable, qui n’est décelable de manière fiable que pour des niveaux avancés de dégradation. Ainsi, on a pu attribuer à la pêche la responsabilité de l’effondrement de certains stocks, sans que l’on sache si des causes » naturelles » n’auraient pas conduit de toute façon à un affaissement comparable.
Enfin, le volume des captures annuelles dépend de la répartition de l’effort de pêche sur les classes d’âge présentes dans le stock exploité. Au cours de son existence, la biomasse de chaque classe d’âge augmente tant que la croissance pondérale des individus excède le poids des morts naturels et des individus capturés.
Elle décline ensuite jusqu’à la disparition du dernier survivant. Si, à la différence des élevages, il n’est pas possible dans la pêche de capturer tous les individus à un âge déterminé, on peut, dans certaines limites et à effort de pêche constant, modifier le volume des captures, la biomasse du stock, et, donc, celle des reproducteurs survivants, en changeant le profil d’exploitation. La pêche des juvéniles peut ainsi être retardée en imposant une taille minimale aux mailles des filets, ou en interdisant de pêcher dans les zones ou aux saisons où les jeunes poissons sont concentrés. Ces possibilités, toutefois, sont restreintes par des contraintes techniques et opérationnelles qui limitent la sélectivité de la pêche, ainsi que par la diversité des tailles moyennes des espèces simultanément capturées sur les mêmes fonds.
Performances économiques des pêcheries
Selon la FAO, les capacités mondiales de production excèdent d’au moins un tiers le niveau nécessaire pour exploiter les ressources démersales au maximum de leur production soutenue. À la fin des années 1980, la Commission européenne évaluait déjà à plus de 40 % les surcapacités dans les pêcheries communautaires. Depuis, les programmes successifs de réduction des flottilles financés par la Politique commune des pêches n’ont pas réussi à réduire significativement ces surcapacités. Ces dernières accroissent artificiellement le coût de la pêche, tandis que la surexploitation qu’elles entraînent réduit le volume et la valeur des débarquements. La pêche des stocks nobles ne génère alors pas plus de profit que celle des stocks de faible valeur. Le patrimoine halieutique perd sa valeur économique.
Rejets de poissons
Beaucoup d’engins et de méthodes de pêche ont une faible sélectivité. De ce fait, de grandes quantités de poissons trop petits ou de faible valeur commerciale sont capturées. Même lorsqu’ils sont rapidement retournés à l’eau, les individus rejetés survivent rarement. Ces rejets sont particulièrement néfastes pour la productivité des stocks. À certaines saisons, les prises n’ont pas la qualité commerciale requise (poissons après la ponte, crustacés après la mue…). Les engins perdus (filets maillants, casiers, palangres…) entraînent également des mortalités non productives. Au niveau mondial, le poids des rejets est estimé à 27 millions de tonnes, soit environ le quart des captures totales.
L’importance des rejets varie selon les pêcheries. Dans celles où plusieurs espèces sont capturées simultanément, des espèces de petite taille peuvent cohabiter avec les jeunes d’espèces plus grandes. C’est le cas, par exemple, des pêcheries de langoustine du golfe de Gascogne et de la mer Celtique, dans lesquelles de grandes quantités de merlus inférieurs à la taille légale sont capturées.
Les organisations internationales (Conférence des Nations unies sur l’environnement et le développement, FAO…) se sont préoccupées du problème. Plusieurs pays (Islande, Namibie, Norvège, Nouvelle-Zélande…) ont décidé d’éliminer les rejets dans leurs pêcheries en imposant à leurs flottilles de débarquer toutes leurs prises.
Lorsque les surcapacités sont fortes, les conflits tendent à se multiplier. Ceux-ci affectent toutes les pêcheries dans lesquelles les pêcheurs ne disposent pas de droits de pêche clairement définis. Bien que, depuis 1982, le nouveau Droit de la mer donne aux États la capacité de réguler l’accès aux stocks présents dans leurs aires de juridiction, ceux qui l’ont fait sont encore peu nombreux : aussi, la pêche donne encore souvent lieu à de nombreux conflits entre les flottilles nationales.
La régulation de l’accès aux stocks transfrontaliers et océaniques dépend de la négociation d’accords de coopération entre les pays concernés. Dans le cas des stocks partagés – entièrement circonscrits à l’intérieur de deux ou plusieurs zones économiques exclusives (ZEE) -, la détermination et la réduction du nombre d’intervenants facilitent la négociation et l’application d’accords de coopération. Le statut juridique des stocks chevauchants (distribués sur une ou plusieurs ZEE et la haute mer) et océaniques (distribués en haute mer) n’a pas bénéficié de la même clarification. À tout moment, de nouveaux pays peuvent s’engager dans leur pêche. La dilution d’autorité qui en résulte accroît le coût des transactions dans la négociation et l’application des accords. Aussi restent-ils rares, insuffisants et précaires.
L’érosion de l’emploi ou du revenu des pêcheurs sous l’effet des innovations techniques – qui améliorent l’efficacité individuelle alors que la production est plafonnée par les ressources – rend la pêche vulnérable aux crises. Celles-ci surviennent lorsque des événements conjoncturels viennent rompre un équilibre déjà fragile (chute du prix du poisson comme en France au début des années 1990, ou accroissement du coût de la pêche comme lors de l’affaissement des stocks de morue dans la crise de la pêche atlantique canadienne à la même époque).
En l’absence de systèmes de régulation de l’accès adaptés, les pouvoirs publics traitent souvent ces crises dans l’urgence, en accordant des aides (construction navale, prix du carburant, prix de retrait des produits, régimes d’imposition, redéploiement des bateaux, campagnes de prospection…), qui peuvent représenter une part substantielle du coût de la pêche. La FAO a ainsi calculé qu’en 1984 le coût total de la pêche mondiale dépassait de 80 % le prix des débarquements. La Commission européenne finance aussi l’essentiel des compensations financières accordées aux pays émergents en échange de droits d’accès dans leurs eaux. En réduisant le coût de la pêche supporté par les armements, ces aides entretiennent les surcapacités, la surpêche et le malaise social.
Production de la pêche métropolitaine (Année 1999 – Source Ifremer) | ||
Groupes d’espèces | Tonnages (milliers de tonnes) | Valeur (million d’euros) |
Pêche Poissons, dont : – thon tropical – grande pêche |
491,3 131,2 63,5 |
756,9 84,2 32,2 |
Crustacés Coquillages Céphalopodes Algues (poids sec) |
22,7 47,9 22,7 15,0 |
93,0 65,3 52,3 3,0 |
TOTAL | 599,6 | 970,6 |
Les débarquements de la pêche métropolitaine atteignaient 720 000 tonnes au début des années soixante-dix. À titre de comparaison, la production de l’aquaculture métropolitaine a été de 213 000 tonnes en 1999 – dont 207 000 de coquillages (huîtres et moules principalement) –, pour un chiffre d’affaires de 378 millions d’euros. |
Régulation de l’accès aux ressources
Définition du problème
Lorsque les pêcheurs ne disposent pas de droits de pêche exclusifs sur des stocks définis, ils ne peuvent préserver le volume de leurs captures respectives qu’en accroissant continuellement leurs capacités. Ainsi, la dynamique de surpêche résulte de la mauvaise maîtrise des forces économiques à l’origine des surcapacités. Mais, si le problème est économique, la maîtrise de ces forces dépend de l’ajustement préalable des institutions (voir tableau ci-contre).
La mobilité des stocks a deux conséquences :
- le rendement de chaque armement étant affecté par les prélèvements des autres pêcheurs exploitant les mêmes stocks, la régulation de l’accès doit s’effectuer à l’échelle des stocks et concerner tous les armements qui participent à leur exploitation ; en outre, dans les zones littorales et les mers bordières, où les écosystèmes aquatiques sont l’objet d’autres usages concurrents (accueil de rejets polluants, aquaculture…), la régulation doit porter sur l’ensemble des usages ;
- le partage direct des stocks entre les pêcheurs étant exclu, les droits de pêche doivent être exprimés sur les captures (quotas) ou sur les moyens de production (licences attribuées à des bateaux dont la puissance a été préalablement définie).
Ajustement des institutions aux nouvelles conditions
L’accès aux ressources est régulé par :
- les régimes d’exclusivité, qui définissent les droits et les obligations des personnes ou des associations de personnes qui assurent, à l’échelle des États (souveraineté), des ressources (propriété) et des armements (droits de pêche), les contrôles nécessaires à la régulation de l’accès ;
- les mécanismes d’attribution et d’échange des droits de pêche ;
- les structures chargées de la mise en œuvre des régulations.
Le nouveau Droit de la mer a étendu à une bande côtière de 200 milles le schéma qui, sur terre, régit la propriété des ressources naturelles. Selon ce régime, les titres de propriété privée (individuelle ou collective) sont garantis par la souveraineté et les fonctions régaliennes (armée, police, justice) des États. Avec ce nouveau droit, les États disposent maintenant de l’autorité nécessaire pour réviser leurs institutions. Certes les stocks chevauchants et de haute mer échappent à la régulation nationale, mais plus de 90 % de la production mondiale provient des stocks nationaux et partagés.
La nécessité d’ajuster le volume des droits de pêche des armements à l’échelle des stocks conduit à dissocier les fonctions relevant de la propriété des ressources et celles liées aux droits de pêche. Les premières peuvent être exercées par des structures publiques ou parapubliques, qui régulent l’accès aux ressources en deux étapes :
- elles fixent tout d’abord, pour chaque stock, un plafond d’exploitation fondé sur des évaluations de la productivité des stocks et des analyses économiques des pêcheries ;
- elles allouent ensuite aux armements des quotas de capture ou des licences de pêche dans la limite de ces plafonds.
Les droits de pêche sont ensuite attribués et échangés en s’appuyant sur :
- la structure sociale (histoires familiales, genre et âge), qui, dans les sociétés coutumières, définissaient les règles d’accès aux sites, les pratiques de pêche et les solidarités indispensables à la survie des groupes ;
- la voie réglementaire qui encadre les activités de production ;
- les systèmes de redevance ;
- l’échange marchand des droits de pêche.
Les deux premiers schémas sont classiquement utilisés pour conserver la productivité des ressources, par l’application à tous les pêcheurs des mêmes réglementations. Mais ces méthodes conviennent mal au nouveau problème de la régulation de l’accès, qui implique une sélection des pêcheurs et la fixation de leurs droits individuels.
Ce contingentement a, en effet, des répercussions directes sur la distribution des richesses qui, dans les activités commerciales, sont très difficiles à traiter effectivement par la voie réglementaire ou les contrôles sociaux.
Le système islandais de quotas individuels négociables (QIN)
En Islande, quatorze espèces produisant 95 % des captures de la ZEE sont exploitées dans le cadre d’un système intégré de QIN.
Pour chaque stock, des quotas individuels de capture, exprimés sous la forme de pourcentages permanents d’un plafond total de capture fixé annuellement par l’autorité publique chargée de l’aménagement, ont été attribués aux armements qui peuvent se les échanger sur le marché.
Ce système a engendré une réduction de deux cents à trente bateaux dans la pêcherie de hareng, et a divisé par deux ceux de la pêcherie de capelan.
Les stocks se sont reconstitués. Les pertes d’emplois directs dans la pêche ont été compensées par la création de nouveaux emplois dans le secteur de la transformation.
La valeur des droits de pêche, qui reflète la valeur économique du patrimoine halieutique, a beaucoup augmenté – de six fois dans la pêche démersale notamment.
La qualité du poisson s’est améliorée.
Toutefois, la concentration déjà en cours des entreprises et du capital s’est accélérée.
En outre, les systèmes coutumiers qui prévalaient dans les petites pêcheries traditionnelles sont affectés par la transformation de la structure sociale des collectivités rurales sous l’effet des innovations techniques, de la spécialisation et du développement des échanges, de la croissance démographique et de l’évolution des valeurs culturelles de ces sociétés. Mais parce que ces changements les fragilisent, ces groupes ont besoin d’être soutenus dans leur difficile évolution. L’exemple japonais montre que la reconnaissance formelle des privilèges d’antériorité dont ces collectivités jouissaient sur les ressources littorales peut fournir des solutions transitoires irremplaçables pour préserver leur bien-être et faciliter leur intégration aux économies nationales.
Parce qu’ils intègrent la valeur économique des ressources, les systèmes de redevance ou d’échange marchand des droits de pêche conviennent théoriquement mieux pour maîtriser la dynamique de surpêche. Avec un système marchand, la sélection des pêcheurs s’effectue par la concurrence pour l’acquisition des droits de pêche. Passée la période d’ajustement, le revenu des pêcheurs et de leurs investissements ainsi que la compétitivité des entreprises ne sont pas modifiés, car le coût des droits de pêche est alors couvert par le redressement des rendements. Parce qu’ils manquent de souplesse et répondent mal aux conditions d’un marché concurrentiel, les systèmes de redevance sont moins efficaces que les mécanismes du marché.
Dans les pêcheries où ils peuvent être appliqués, les systèmes de quotas individuels négociables confirment ces considérations théoriques (voir encadré). Les armements qui disposent de droits de capture garantis ont intérêt, pour accroître leur profit, à réduire leurs coûts de production et, donc, leurs capacités de capture, ce qui préserve les stocks. Toutefois, l’adoption de tels systèmes pose des problèmes d’application et d’acceptation qui ne sont pas toujours surmontables dans l’immédiat. Dans les pêcheries industrielles des pays du Nord, le contrôle des captures individuelles est facilité par le petit nombre d’espèces, de points de débarquement et de circuits commerciaux.
Ces conditions sont rarement réunies dans les pêcheries artisanales tropicales.
L’attribution marchande des droits de pêche soulève aussi souvent de fortes objections de la part des pêcheurs artisans, inquiets de ses effets immédiats sur la distribution des richesses et l’emploi direct (qui diminue).
Il n’existe donc pas de solutions institutionnelles toutes faites. Le choix des mécanismes d’allocation doit tenir compte des particularités écologiques, techniques, économiques, sociales et culturelles des pêcheries.
Quelles que soient les particularités des pêcheries, la modernisation des institutions qui régissent l’accès est nécessaire à la rationalisation de la pêche.
Dans une majorité de ZEE, il est possible d’envisager une décentralisation des fonctions de régulation, qui ouvrirait des perspectives nouvelles : les privilèges d’antériorité et le sentiment de possession des ressources locales par les populations riveraines seraient plus facilement pris en compte ; l’organisation, à l’échelle locale, de la collaboration entre les structures politiques, les administrations techniques et les associations d’usagers faciliterait le rapprochement des points de vue ; l’aménagement intégré des usages à l’échelle des écosystèmes pourrait progresser.
Ces principes sont déjà reconnus dans la gestion des ressources en eau, la gestion des forêts domaniales, la régulation de certains usages du Domaine public maritime (attribution des concessions conchylicoles notamment), ainsi que par les pays qui se sont engagés avec imagination dans la réforme de leurs systèmes de régulation de la pêche (Australie, Chili, Islande, Nouvelle-Zélande…).
Bibliographie
J.-P. Troadec, L’Homme et les ressources halieutiques. Essai sur l’usage d’une ressource commune renouvelable, Ifremer, 1989.