Pour une utilisation préventive du régime “ catastrophes naturelles ”
L’ampleur de ces dégâts tient largement au fait que notre pays n’a engagé que très tardivement une véritable politique, dans le domaine de la gestion des eaux de surface et dans celui de la prévention des risques majeurs d’inondations.
Une prise de conscience, devant les conséquences de l’extension de l’urbanisation dans les zones exposées à des risques naturels, est née au début des années 1980.
Mais, c’est seulement au milieu des années quatre-vingt-dix que des avancées importantes ont été réalisées avec la mise en place d’une politique de prévention contre les inondations et les risques naturels.
Le dispositif législatif a connu des évolutions significatives au cours des vingt dernières années
Rappelons qu’en France les événements naturels étaient exclus des contrats d’assurance jusqu’en 1982.
La loi du 13 juillet 1982 a institué un régime spécifique d’indemnisation des victimes des catastrophes naturelles, qui est subordonné à deux conditions préalables :
- l’état de catastrophe naturelle doit avoir été constaté par un arrêté ministériel,
- les biens sinistrés doivent être couverts par un contrat d’assurance » dommages aux biens « .
Cette loi permet de définir des plans d’occupation des sols évitant les constructions dans les espaces exposés.
La loi du 22 juillet 1987, modifiée par la loi Barnier du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l’environnement, a mis en place des plans de prévention des risques naturels (PPR). L’élaboration des PPR, instruits sous la responsabilité de la Direction de la prévention des risques et des pollutions du ministère de l’Environnement, permet de réglementer l’urbanisme, la construction et la gestion des terrains dans les zones exposées. Depuis 1995, l’État est désormais en mesure d’exproprier des lieux exposés à des risques naturels.
Depuis 1994, l’État a renforcé la politique de prévention des risques naturels
La mise en place de plans de prévention à la charge du ministère de l’Environnement est essentielle mais elle ne concerne encore qu’une commune sur cinq au regard des risques d’inondations.
Actuellement, on dénombre 17 700 communes exposées à des risques naturels divers. Parmi celles-ci, 11 600 d’entre elles sont menacées par des risques d’inondations.
Or, au 1er août 1999, seules 2 120 communes étaient dotées d’un plan de prévention des risques naturels prévisibles. Plus de 2 000 autres communes font l’objet de PPR en cours d’élaboration.
L’objectif est que, d’ici 2010, les 10 000 communes les plus exposées du territoire national soient couvertes par un PPR.
Ce programme connaît une montée en puissance : 20 millions de francs ont été investis en 1993, 75 millions de francs en 1999. La loi de Finances rectificative pour 1999 a permis pour la première fois de financer des PPR par le fonds de prévention des risques naturels majeurs institué par la loi du 2 février 1995, destiné à financer les expropriations définitives des biens exposés aux risques naturels prévisibles.
En 2000, les moyens consacrés à la réalisation de cet objectif ont été portés à plus de 100 millions de francs. Pour les autres communes, pour lesquelles les risques pour les personnes et les biens sont peu importants, la prise en compte des risques se fait essentiellement via les plans d’occupation des sols.
Selon Philippe Vesseron, directeur de la Direction de la prévention des risques et des pollutions du ministère en charge de l’Environnement, l’objectif réaffirmé est que 5 000 communes soient couvertes par un PPR en 2005.
Si une nette accélération du rythme d’établissement des plans relatifs aux inondations est observée, le retard ne laisse toutefois pas espérer une couverture satisfaisante du territoire avant vingt ans.
- En complément, des atlas de zones inondables sont élaborés à l’échelle des bassins versants des cours d’eau.
Depuis 1994, l’État a consacré plus de 40 MF à la cartographie des principales zones inondables, qui est pratiquement achevée dans un tiers des régions. -
Un plan de restauration des cours d’eau a été engagé pour un coût global de 10 milliards de francs sur dix ans.
Le ministère chargé de l’Environnement intervient en faveur de la restauration des cours d’eau et des zones naturelles d’expansion des crues et la protection des lieux habités contre les crues. -
Les procédures de surveillance et d’alerte.
En 1999, l’État a consacré 39 millions de francs pour moderniser les réseaux d’annonce de crues.
Outre la prévention, le dispositif français est doté d’un système de couverture des risques naturels géré par les compagnies d’assurance relativement efficace…
Ce système s’articule autour de deux mécanismes de réassurance :
- Les compagnies d’assurance cèdent à la Caisse centrale de réassurance (CCR) une certaine proportion de primes encaissées au titre de la couverture des catastrophes naturelles, la CCR s’engageant en contrepartie à prendre en charge la même proportion de sinistres. En 1998, 46 % de ces primes versées par les assurés ont été recédées à la CCR. En août 1999, la cotisation des assurés au titre des catastrophes naturelles est passée de 9 % à 12 %, pour faire face à la multiplication des catastrophes d’ampleur limitée.
- La CCR intervient seulement dans le cas d’un sinistre majeur. Cet excédent de primes sur les sinistres permet d’alimenter, dans les comptes de la CCR, un fonds de réserve qui sert à la couverture des risques de très grande ampleur.
Le dispositif français dispose d’une Caisse centrale de réassurance qui intervient avec la garantie de l’État.
Un nouveau schéma de réassurance a été mis en place en 1997, pour laisser aux assureurs une part plus importante des risques.
Ainsi, le dispositif français, à partir d’une évaluation des dégâts, offre une indemnisation rapide.
L’efficacité de ce modèle inspire les pays voisins.
L’État intervient au Danemark, en Espagne, en Norvège, aux Pays-Bas et en Suisse, qui ont élargi leur système d’assurance aux dommages causés par les catastrophes naturelles. En Norvège et en Suisse, les dommages causés par les événements naturels et qui ne sont pas susceptibles d’être couverts par l’assurance sont indemnisés par un fonds de secours. Actuellement, la Belgique et l’Italie élaborent un nouveau système, inspiré du modèle français.
Toutefois, une certaine dérive du régime d’assurance des catastrophes naturelles est manifeste
» L’abonnement » de certaines communes à un risque en général
Au cours de la période 1982–1999, 82 % des 36 000 communes françaises ont bénéficié d’un arrêté catastrophes naturelles. Depuis la mise en place du régime d’assurance, certaines communes ont été déclarées en état de catastrophes naturelles plus de cinq fois, certaines quinze fois et plus.
La Caisse centrale de réassurance estime que 23 381 communes ont totalisé 50 554 arrêtés au regard du risque des inondations.
Les frais de gestion des contrats d’assurance sont élevés, de l’ordre de 25 %
Les frais de gestion français sont relativement élevés mais restent comparables à ceux que l’on observe dans les autres pays européens. Ils sont inférieurs en Suisse ou en Espagne mais l’indemnisation dans ces pays demande plus d’un an et demi.
Le dispositif actuel entraîne un effet de déresponsabilisation des citoyens et des élus
L’état de catastrophe naturelle est décrété trop systématiquement, ce qui a pour effet de déresponsabiliser les collectivités locales. Dans son dernier rapport annuel, la Cour des comptes souligne cet état de fait.En effet, en permettant l’indemnisation automatique des sinistrés et en offrant aux assureurs la garantie de l’État, ce dispositif provoque le manque d’implication des acteurs. Personne n’est responsable de l’inexécution des ouvrages nécessaires.
Les lacunes résultent des pratiques assurantielles
Si le régime français sert de modèle à l’étranger, il ne résout pas le problème des biens sinistrés qui, par nature, ne peuvent être assurés, comme les voies et les réseaux.
Des propositions pour privilégier une gestion des risques plutôt qu’une gestion des catastrophes
Citons les inondations de l’Aude et des départements voisins qui sont survenues les 12 et 13 novembre 1999 qui ont fait 34 victimes et probablement 5 milliards de francs de dommages.
Un constat : le coût des travaux préventifs est nettement inférieur au montant consacré par la société à l’indemnisation
À l’issue de cette catastrophe, le Premier ministre a déclaré qu’il fallait réaliser les travaux indispensables pour protéger les zones urbanisées et entretenir les ouvrages de défense contre les inondations. Dans le cadre du contrat de plan, il a indiqué que l’État abonderait l’effort prévu en faveur des ouvrages hydrauliques destinés à prévenir les inondations en Languedoc-Roussillon.
Ces inondations montrent bien que seule une meilleure prévention des risques, assortie d’un programme de travaux adaptés, permettra de réduire la facture laissée par ces événements exceptionnels.
Imaginons une crue de la Seine identique à celle de 1910. Elle emporterait le système actuel d’assurance contre les risques naturels majeurs.
L’événement causerait 55 milliards de francs de dégâts. L’institution interdépartementale des barrages-réservoirs de la Seine estime que les 4 barrages réservoirs situés en amont de Paris seraient incapables d’absorber le volume des flots qui se sont écoulés en 1910. Pour prévenir les conséquences d’un tel débit, la construction des ouvrages nécessaires et leur maintenance pendant un siècle nécessiteraient 13 milliards de francs.
La crue de la Seine, au Pont-Neuf. © FNTP
Face à ce constat, quatre grandes orientations se dessinent :
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Réaliser un recensement des ouvrages de protection contre les inondations
Un programme de recensement a été lancé par le ministère de l’Aménagement du Territoire et de l’Environnement en mai 1999. Nous attendons les résultats qui permettront de définir les besoins de modernisation des ouvrages et de mettre en place un programme de travaux de protection des lieux sensibles.
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Engager un grand programme de petits travaux pour prévenir les catastrophes naturelles
Aujourd’hui, la réalisation de retenues à vocation d’écretage des crues, l’entretien des digues, la protection des réseaux routiers… restent insuffisants. Le lancement d’un programme de travaux d’entretien, de réhabilitation des équipements existants et de protection des ouvrages est indispensable pour prévenir les phénomènes de catastrophes naturelles et atténuer leurs impacts. C’est seulement au prix d’un vaste programme de travaux que nous pourrons préserver des vies humaines.
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Établir un lien entre l’indemnisation et la prévention
Si le régime d’indemnisation des catastrophes naturelles a montré son efficacité après plus de quinze ans d’existence, des progrès restent à accomplir pour mieux définir et répartir les indemnités versées par zone géographique et par péril.
Le député d’Indre-et-Loire, Yves Dauge, qui a conduit une mission sur les politiques publiques de prévention des inondations en France, propose une plus grande rigueur dans l’indemnisation des dégâts. Nous confirmons tout l’intérêt de lier le taux d’indemnisation à la réalisation de travaux préventifs.
Le risque zéro n’existant pas, Yves Dauge estime indispensable de développer une culture du risque. Nous devons, en effet, définir le niveau de risque acceptable par nos sociétés et donc le degré de protection indispensable.
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Affecter une partie des primes d’assurances au financement des travaux de prévention
Les cinq milliards annuels de primes d’assurances collectées au titre des » catastrophes naturelles » contribuent à la couverture des frais généraux des compagnies d’assurance et génèrent des produits financiers utilisés lors des indemnisations. Une partie de ces primes s’ajoutant à d’autres sources de financement (les agences de l’eau pour lutter contre les inondations) pourrait contribuer au financement des travaux nécessaires, pour réduire les risques encourus. Un taux d’indemnisation des conséquences des catastrophes naturelles, amputé de quelques pour cent en l’absence de mesures de prévention, permettrait de récupérer la contribution amont des compagnies d’assurance et de faire progresser les efforts de prévention. Dans tout système d’assurances, en effet, l’absence de ticket modérateur ou de bonus-malus favorise les comportements non responsables.
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En conclusion, l’amélioration des mécanismes d’indemnisation des victimes devra se doubler de progrès dans la prévention, assortie d’un programme de travaux d’envergure. Les deux mesures vont de pair pour mettre en place une politique de prévention des catastrophes naturelles pérenne et efficace. La mise en place d’une politique cohérente et à long terme pour renforcer la sécurité des biens et des personnes nécessitera, bien entendu, la participation de tous les acteurs concernés.